Livres
M ICHEL Braudeau : un surdoué de la littérature qui a décidé de devenir écrivain à onze ans et de publier son premier roman à vingt ans (« Amazone »), un poids lourd de l'édition à 55 ans, qui est juré du prix Médicis après l'avoir obtenu en 1985 pour « Naissance d'une passion » et qui, depuis cette date, est également grand reporter au « Monde » ; qui est aussi rédacteur en chef de la très vénérable revue de la NRF - pas moins de 2 500 exemplaires chaque trimestre - ce qui ne l'a pas empêché de délaisser - provisoirement, dit-on - Gallimard pour publier « L'interprétation des singes » (1) chez un éditeur concurrent !
Un roman de 680 pages écrit paraît-il en moins de six mois, qui lui a été inspiré par l'existence et les travaux du savant russe Serge Voronoff, qui obtint une chaire au Collège de France dans les années 30 et qui s'est notamment distingué pour avoir greffé des testicules de chimpanzé sur des hommes pour améliorer leur vigueur.
Le savant fou de son roman s'appelle Michel Sarastre et on le voit débouler dans une première scène hallucinante tout de noir vêtu et le visage protégé d'un masque de carnaval blanc, poursuivant à cheval un jeune Arabe éperdu de terreur et le tuant d'un coup de dague ; la paisible forêt de Meudon n'en revient pas encore ni Quentin, son collaborateur et Aliocha, un journaliste dépêché pour enquêter sur la disparition de plusieurs immigrés, qui avaient justement rendez-vous dans une clairière et qui assistent à l'exécution théâtrale de l'innocent.
Il apparaît que le très respecté professeur Sarastre multiplie, dans sa très chic et discrète clinique qui abrite nombre de célébrités, les expériences les plus aberrantes, transformant les corps, modifiant les caractères et tentant de s'emparer des âmes.
Quand la justice s'intéresse à lui, il se réfugie en Thaïlande, plus ou moins prisonnier, avec sa fille Hermione, qui est en réalité l'enfant de Quentin, et son jeune assistant Damien, peut-être son fils ou le résultat de ses recherches, dans un laboratoire-clinique où il poursuit ses expériences. Dans les bordels de Bangkok, chacun, à la recherche de son identité, découvrira ses propres ambiguïtés, jusqu'à l'évasion finale vers l'Australie et son désert rouge, ultime envolée vers la liberté.
Redonnant au roman sa pleine signification, Michel Braudeau multiplie les rebondissements, entre drames et comédies, suspense et métaphysique, éducation sentimentale et érotisme. Il pose aussi des questions fondamentales comme le danger de transformer la nature ou de vouloir à tout prix enlever son mystère aux êtres.
Sexe et amour
Michel Houellebecq : le trublion de la rentrée romanesque 2001, celui par qui le scandale arrive parce que, après « Extension du domaine de la lutte » en 1994 et les fameuses « Particules élémentaires » en 1998 qui, sur le thème de la génétique, avaient déjà suscité la polémique, continue de décrire la société telle qu'il la voit, telle qu'elle est.
La cible la plus évidente de « Plateforme » (2), c'est le tourisme sexuel, qui remplit les escarcelles de vendeurs de voyages, permet aux Occidentaux de satisfaire des manques et aux prostitués de Bangkok - un lieu parmi d'autres - de gagner quelque argent.
Le problème, c'est que Michel Houellebecq ne s'emploie pas à dénoncer les trafics et ignominies qui font des filles et des garçons des marchandises ; il constate, simplement. Et cela par l'intermédiaire de son héros qui s'appelle aussi Michel et lui ressemble comme un (faux) frère et qui a l'imprudence de parler à la première personne.
« Plateforme » est donc l'histoire d'un Français moyen, un petit fonctionnaire célibataire dans la quarantaine, qui part en voyage organisé dans le pays-roi de l'amour tarifé - et découvre, avec l'accompagnatrice Valérie, le grand amour, romanesque et néanmoins réaliste puisque les tourtereaux, après avoir sacrifié aux présentations d'usage auprès des beaux-parents, repartent en Asie créer des clubs de vacances baptisés Eldorador Aphrodite, qui offrent aux voyageurs la garantie de vivre l'aventure sexuelle qu'ils sont venus chercher. Un projet généreux et lucratif qui va faire long feu puisqu'une justice imminente concrétisée par le terrorisme islamiste, tue la belle héroïne et cause la mort de son amoureux.
Bien sûr des organisateurs de voyages et notamment ceux cités notamment par le Michel du livre (Nouvelles Frontières et le Guide du Routard) se sont élevés contre l'image donnée par l roman, des circuits organisés ; bien entendu il a été des tenants de l'islam pour condamner la haine de l'intégrisme exprimée par le narrateur ; et des voix de tous bords ont décrié cette défense et illustration du sexe sous toutes ses formes. Du lointain de sa Maison Blanche - le nom de la demeure qu'il a achetée sur une petite île de deux cents habitants au large de l'Irlande - en compagnie de son épouse et de son chien, Michel Houellebecq laisse passer les orages médiatiques et erronés. « je crois que j'écris bien et c'est ma vraie fierté », a-t-il confié à un confrère ; sûr de son talent d'écrivain, peut-être, certain surtout d'avoir « une espèce de flair de cochon pour déceler ce qui va faire mal à la société autour de moi »...
(1) Editions Stock, 681 p., 150,90 F (23 euros)
(2) Editions Flammarion, 371 p., 131,20 F (20 euros)
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