Décision Santé. Dans votre livre, que disiez-vous au sujet des relations entre directeurs et médecins ?
Jean-Loup Durousset. D’abord je reconnais la compétence technique des médecins ; il n’y a aucune ambiguïté sur ce point. Ce sont tout de même les médecins qui assurent l’activité de nos établissements ; et souvent, ce sont eux qui les ont créés. Pour autant, il y a un certain nombre de remarques que nous pouvons formuler. J’ai constaté plusieurs dysfonctionnements chez eux, en particulier au chapitre de la relation tissée avec les patients, et du rapport à la rémunération. Ces dysfonctionnements ne sont pas pour autant de leurs faits. En libérant la rémunération, on a rompu ce pacte, qui est l’absence de reste à charge. J’avais clairement dit qu’il fallait réviser cette position.
D. S. Il faut donc contenir les dépassements d’honoraire ?
J.-L. D. Il faut en effet réunir les médecins autour d’une table pour en discuter. Ce n’est pas simple, car ils ont des difficultés pour déterminer la juste rémunération de leur exercice. Toujours est-il que cette réflexion doit être menée, car les praticiens sont rémunérés par un système économique solvabilisé.
D. S. Pensez-vous que les dépassements d’honoraire ont pris une tournure inquiétante ces derniers temps ?
J.-L. D. Il y a certains praticiens dont la rémunération est composée à 50 % de dépassements d’honoraire ! Autre problème : la surspécialisation. Là, où, auparavant, un praticien exerçait seul, dorénavant, ils sont quatre ou cinq ! Puisqu’ils sont plus nombreux à opérer un même patient, forcément, leurs revenus ont été divisés ! Il y a un réel problème concernant l’hyperspécialisation, que les médecins ne veulent pas aborder.
D. S. Ressentez-vous les conséquences économiques de ces dépassements d’honoraire et de cette surspécialisation ?
J.-L. D. La surspécialisation nous pose des problèmes quant à la permanence de soins.
D. S. La surspécialisation est une tendance de fonds, qui touche aussi bien le public que le privé…
J.-L. D. La surspécialisation a été encouragée par les professeurs de médecine qui ont subdivisé leur activité. Exemple : auparavant, il y avait des professeurs d’orthopédie générale. Mais, pour conserver auprès d’eux leur assistant, les professeurs ont créé des postes spécialisés, par exemple professeur de chirurgie de l’épaule. Maintenant, certains professeurs en chirurgie du foie n’arrivent même plus à recruter des internes, tant l’activité s’est spécialisée. Qui plus est, pour accompagner cette hyperspécialisation, il aurait fallu fermer des structures, ce qui n’a pas été fait.
D. S. Donc, vous pensez que la surspécialisation n’est pas inéluctable ?
J.-L. D. Oui, tout à fait. La gynécologie-obstétrique a fait l’inverse et s’est généralisée. Auparavant ils n’étaient qu’obstétriciens. Maintenant, ils sont aussi échographistes, généticiens, gynécologues, chirurgiens, obstétriciens… Ils ont acquis plus de compétences, donc c’est possible.
D. S. Les dépassements d’honoraire sont-ils préjudiciables aux cliniques en période de crise ?
J.-L. D. On en ressent les conséquences, en constatant que les patients viennent moins nombreux chez nous.
D. S. Le regain d’activité de l’hospitalisation publique, en chirurgie en particulier, est-il dû aux dépassements d’honoraires trop importants ?
J.-L. D. C’est multifactoriel. Le passage à la T2A à 100 % a totalement boosté l’activité dans les hôpitaux publics. Mais il est certain que le coût des soins dans le privé est un autre facteur. On peut comprendre que les Français soient attentifs au coût d’une intervention. Mais nous avons tout de même la chance d’avoir dans nos cliniques une médecine de qualité. Chez nous, c’est toujours le médecin senior qui soigne. C’est un des critères les plus importants dans le choix de l’hospitalisation privée.
D. S. Pour responsabiliser les médecins, l’actionnariat médical est-il une solution ?
J.-L. D. Il faudrait que l’on ouvre ce débat. Je pense en effet qu’une bonne clinique a trois têtes : un financier, un gestionnaire et un médecin. Il faut néanmoins trouver la bonne formule de l’actionnariat médical ; je ne suis pas sûr que les médecins doivent investir dans l’outil de travail. Cela pourrait être à un niveau supérieur, avec une garantie sur la liquidité, la rentabilité des actions. Il y a un double avantage à l’actionnariat médical : ce serait tout d’abord de faire participer les médecins à la prise de décision. Deuxième avantage : les médecins sont des investisseurs à long terme. C’est très important pour les établissements sanitaires : nous ne pouvons pas fonctionner avec des investissements à court terme. Il faut des investissements qui vont au-delà de sept ans.
D. S. Pouvez-vous citer des exemples de cliniques qui auraient développé l’actionnariat médical ?
J.-L. D. Il y a de beaux groupes de cliniques privées qui sont propriétés du corps médical : il y a le groupe Courlancy à Reims, le groupe HPM à Lille. Ces deux exemples-là sont importants, puisque Courlancy comptabilise 800 lits, et HPM 1 100 lits. Dans ces deux groupes, les médecins sont actionnaires majoritaires, alliés à quelques financiers. Tout en sachant que les financiers n’ont pas le rôle prédominant.
D. S. Autre solution envisagée : le salariat des médecins. Qu’en pensez-vous ?
J.-L. D. Vous savez que nous avons défendu cette option, au sein de la FHP. Je crois que c’est adapté à certaines spécialités. Comme la médecine, les soins de suite, la psychiatrie. Ce ne doit pas être une obligation, cela doit rester optionnel. Plus on offre de choix, et plus les médecins sont libres. Contrairement à ce que pensent les médecins, le salariat leur offre une nouvelle possibilité d’exercer leur métier, et par conséquent leur offre plus de liberté.
D. S. Y a-t-il des cliniques où l’on offre ce choix ?
J.-L. D. La mienne, par exemple, HPEL à Lyon : 60 % de mon chiffre d’affaires sont générés par des médecins salariés, en soins de suite et en médecine. Mais en chirurgie, les médecins exercent en libéral. Cela dépend vraiment des spécialités.
D. S. Connaissez-vous des chirurgiens salariés en secteur privé ?
J.-L. D. À ma connaissance, pas encore. En revanche, nous voyons naître de nombreuses sociétés d’exercice libéral (SEL). Au sein de ces SEL, les médecins sont salariés. En chirurgie, il y en a foison. Mais je voudrais ici ajouter une chose. L’hospitalisation privée ne doit pas subir les événements ni les évolutions ; elle doit les devancer, inventer des réponses aux nouveaux besoins des professionnels et des patients.
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