UNE des critiques les plus violentes adressées à la réforme des parcours de soins autour du médecin traitant portait sur la remise en cause de l'accès au spécialiste ou, plus précisément, sur le risque de mise en place d'une « double file d'attente » chez le spécialiste, selon le mode de recours du patient.
Pour les détracteurs du nouveau système, le fait d'accorder un dépassement autorisé (DA) aux spécialistes lorsqu'ils sont consultés en accès libre risquait, à situation médicale comparable, de les encourager à prendre plus rapidement les patients dans ce cadre « hors piste » quitte à repousser les rendez-vous pour des malades moins « rentables » respectant le passage préalable par le médecin traitant. Une « discrimination » dans la prise de rendez-vous par les spécialistes qui aurait été contraire à l'éthique médicale la plus élémentaire, mais qui (le législateur est prudent) avait abouti à la mise en place de « conciliateurs » dans les caisses primaires (article 58 de la loi sur la réforme de l'assurance-maladie).
Des médiateurs soumis à un module de formation spécifique intitulé, cela ne s'invente pas, « travailler la relation à trois au service de la recherche d'une solution acceptable ».
Premier cas de saisine : le choix du médecin traitant.
Nommés progressivement, depuis mars, dans les caisses primaires, ces médiateurs rompu à la relation avec la clientèle (la majorité d'entre eux sont issus des services « contentieux » ou « qualité de service » de l'assurance-maladie) étaient donc susceptibles d'être saisis à tout moment par des patients adressés par le médecin traitant et estimant que tel spécialiste ne les recevait pas dans un délai compatible avec leur état de santé.
S'il est trop tôt pour tirer des conclusions définitives, le premier bilan des saisines des conciliateurs, dont « le Quotidien » a eu connaissance, montre que les dérapages sont rarissimes dans ce domaine. Alors que 31 millions de patients ont choisi un médecin traitant, moins de 3 000 saisines des conciliateurs (2 700, exactement) ont été recensées par la Caisse nationale d'assurance-maladie (Cnam), dont seulement 17 cas portaient sur des délais de prise en charge trop longs chez le spécialiste. L'écrasante majorité des recours (2 000 cas) est motivée par les difficultés rencontrées par les patients dans leur démarche de choix du médecin traitant : soit, rarement, que plusieurs médecins aient successivement refusé d'être choisis, soit que l'assuré exige des « précisions » ou de « conseils » sur le dispositif. Le reste des saisines (environ 650) est pour l'instant classé par la Cnam dans une rubrique « autre motifs » qui réunit toutes les « réclamations » possibles et imaginables des patients (refus de paiement, par exemple, lettres à la Cpam sans réponse...).
Chassang : « Délire mensonger ».
Même si le dispositif de conciliation n'en est qu'à ses débuts, et sans doute pas connu de tous les usagers, les syndicats signataires trouvent dans ces premiers chiffres un argument pour expliquer que les nouveaux parcours de soins se mettent en place sans trop de heurts ni d'effets pervers. « Le conciliateur est quasiment au chômage ! ironise déjà le Dr Michel Chassang, président de la Csmf. C'est la preuve que les médecins sont des gens responsables : avoir pu imaginer que les spécialistes organiseraient deux carnets de rendez-vous distincts, l'un pour les patients rentables, l'autre pour les moins rentables, est une pure folie, un délire mensonger qui procède du dénigrement pur et simple. Si on avait écouté les Cassandre, qui nous promettaient le grand saut vers l'exclusion des patients, on n'aurait jamais instauré le parcours de soins. »
Non seulement il n'y aura pas de « mauvaise surprise » sur l'accès au spécialiste, mais il n'y en aura pas non plus, affirme le Dr Chassang, sur l'application du nouveau dépassement autorisé (DA) par les spécialistes de secteur I, à l'heure où la question de certains dérapages tarifaires revient sous les feux de l'actualité (à noter que la question des dépassements n'est pas du ressort des médiateurs).
Pour le Dr Dino Cabrera, président du SML, le « nombre minime de procédures sur les délais de rendez-vous chez le spécialiste permet de tordre le cou à l'affaire de la double file d'attente montée en épingle et qui frisait le ridicule ». Pour autant, explique-t-il, le conciliateur aura toute son utilité dans les prochains mois pour « désamorcer » les litiges et conflits impliquant caisses, usagers et médecins « qui peuvent souvent se régler simplement ».
Selon nos informations, la mise en place de ces médiateurs devrait permettre, à terme, de faire baisser de 30 à 40 % le nombre de contentieux.
« On prend nos marques »
MEDIATEUR pour les caisses de Villefranche-sur-Saône et de Lyon (la Cpam de France), Patrick Carton a enregistré « 27 demandes » de patients depuis le début du mois de mai pour un unique motif prévu dans la convention : les difficultés dans le cadre de la déclaration de choix du médecin traitant. Les délais d'obtention de rendez-vous chez le spécialiste n'ont motivé aucune saisine. Il estime que la part des recours liés aux « contentieux » et réclamations devrait prendre de plus en plus d'importance, conformément à l'esprit de la loi. « Notre travail consiste à améliorer les relations des caisses avec ses usagers », rappelle-t-il .
Yves Bonin, conciliateur à la Cpam de Nantes, nommé dès le mois de mars, fait état, quant à lui, de « 54 recours » de patients sur les six premiers mois. Les demandes des usagers concernaient majoritairement des contentieux sur les arrêts de travail (souvent en lien avec des accidents du travail) et des litiges liés à l'invalidité. Le « choix du médecin traitant » est également cité comme motif de recours de même que les « modalités d'application du forfait de 1 euro » ou encore « la CMU ». En revanche, les conditions d'accès au spécialiste dans le cadre des nouveaux parcours de soins n'ont justifié aucune saisine.
Un autre médiateur, anonyme, admet qu'il n'est « pas débordé pour l'instant », mais se dit convaincu que la réforme de l'assurance-maladie, en accentuant les contrôles tous azimuts (arrêts de travail, protocoles, gestion des ALD...) le conduira à être davantage sollicité dans les prochains mois. « Pour l'instant, on prend nos marques. »
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