Les patients greffés ont 2,8 fois plus de risque de déclarer un cancer que la population générale. Les cancers viro-induits sont fréquents et sont en partie liés à une baisse de l'immunité innée et une modification du phénotype des cellules NK.
UNE AUGMENTATION de l'incidence des cancers est observée chez les patients ayant eu une transplantation d'organes, comme le confirment de nombreuses études épidémiologiques de différents pays. En France, l'analyse du registre des greffes permet d'estimer cet excès de risque par rapport à la population générale, en fonction de l'organe transplanté et du type de cancer. En effet, la base de données Cristal est un enregistrement prospectif exhaustif des malades inscrits en attente de greffe et des greffes d'organes réalisées en France. Les patients sont ainsi suivis par les équipes de greffe jusqu'à l'arrêt de fonction du greffon, et toutes les complications et les causes de décès sont notées. Cette base de données a permis d'étudier près de 47 000 greffes effectuées entre 1990 et 2005. Ont été incluses les greffes pulmonaires, hépatiques, cardiaques et rénales, à l'exception des greffes de foie pour cancer. Les tumeurs de la peau non mélaniques ont été exclues de l'analyse, pour des problèmes d'exhaustivité, ainsi que les tumeurs diagnostiquées au cours du premier mois postgreffe. La comparaison avec le taux de cancer dans la population générale s'est appuyée sur le recueil des registres du cancer et de projections issues des taux de mortalité par cancer.
Risque élevé de lymphomes non hodgkiniens.
Parmi les 47 000 receveurs greffés, dont près des deux tiers de transplantés rénaux, 3 300 ont eu au moins un cancer diagnostiqué, soit 7 %. Le lymphome non hodgkinien est le plus fréquent (642 cas), suivi du cancer pulmonaire et des cancers digestifs. Le risque relatif de cancer, tous types confondus, par rapport à la population générale, est de 2,8, avec une incidence cumulée à dix ans de 8,6 %. Il existe des variations importantes en fonction de l'organe greffé et du type de cancer. Ainsi, le risque est majoré en cas de transplantation thoracique : cœur et poumons (RR respectivement de 3,2 et 5,5). D'autre part, en ne considérant que les lymphomes non hodgkiniens, le risque relatif est de 14,4 tous types de greffes confondus et de 66,6 en cas de transplantation pulmonaire. Le risque de cancer du poumon est plus élevé dans les greffes pulmonaires, et celui de cancer du rein dans les greffes rénales.
En analyse multivariée, le risque de cancer est plus élevé chez l'homme (RR par rapport à la femme de 1,4, p < 0,001). Il augmente significativement avec l'âge du receveur, avec une incidence cumulée à dix ans de 15 % chez les plus de 60 ans, à l'exception du lymphome non hodgkinien, pour lequel il existe un pic avant l'âge de 10 ans et entre 60 et 70 ans. En revanche, il n'est pas mis en évidence d'augmentation de l'incidence des cancers entre les périodes 1995-1999 et 2000-2005. Il existe même une diminution de l'incidence des lymphomes non hodgkiniens, alors que, dans le même temps, on observe une élévation globale de l'incidence des cancers dans la population générale.
Fréquence des cancers viro-induits.
Cette étude n'a pas inclus les cancers cutanés non mélaniques, pour un problème d'exhaustivité, ce type de cancers n'étant que rarement suivi par les équipes de greffe et donc moins rapportés dans le registre national des greffes. Cependant, les carcinomes cutanés, et en particulier le carcinome squamo-cellulaire, sont parmi les plus fréquentes des tumeurs chez les transplantés, avec une incidence cumulée à vingt ans qui atteindrait 82 %. Plusieurs facteurs pathogéniques sont impliqués : génétiques, environnementaux, iatrogéniques... Leur prévalence augmente avec l'âge des patients, la durée d'immunosuppression, la durée d'exposition au soleil et les kératoses multiples.
Certaines de ces tumeurs sont viro-induites. Les patients transplantés développant un sarcome de Kaposi sont tous infectés par le virus HHV8 (Human Herpes Virus 8), l'infection précédant en règle générale la transplantation. Le traitement immunosuppresseur, nécessaire pour prévenir le rejet de greffe, crée un déficit immunitaire qui favorise la réactivation des virus persistants oncogènes. L'HHV8, le papillomavirus ou le virus de l'hépatite B ont la capacité d'induire une prolifération des cellules infectées. L'expression d'oncogènes viraux participent à la dérégulation de la croissance cellulaire, à la croissance tumorale, au maintien de la latence virale ou encore à la modulation de la surveillance immune.
Implication des cellules NK.
En effet, chez les sujets immunocompétents, ces virus sont contrôlés par la réponse immune innée (cellules Natural Killer ou NK) ou adaptative (lymphocytes T), alors que chez les transplantés, le déficit immunitaire conduit au maintien du réservoir viral, par absence d'élimination des cellules infectées, et à la croissance incontrôlée de ces mêmes cellules. Il semblerait que les virus oncogènes, comme HHV8, puissent modifier l'expression de récepteurs des cellules NK ou de leurs ligands, induisant une baisse de l'activité cytotoxique des cellules NK, et permettant ainsi aux cellules infectées d'échapper à la reconnaissance précoce par la réponse innée. L'étude des nombreux récepteurs des cellules NK et de leurs ligands (récepteur NKG2D, KIR, ligand MICA...) devrait permettre, dans le futur, de mieux comprendre les mécanismes de développement des cancers après transplantation d'organe et en particulier des tumeurs viro-induites.
D'après la session « Cancers après transplantation d'organe », sous l'égide de l'AP-HP, avec la participation du Dr Fabienne Pessione (agence de la biomédecine, Saint-Denis), du Dr Sophie Caillat-Zucman (hôpital Saint-Vincent de Paul, Paris) et du Pr Céleste Lebbé (hôpital Saint-Louis, Paris).
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature