Numération plaquettaire
Evolution de la numération plaquettaire au cours de la grossesse.
Une thrombopénie, définie par une numération plaquettaire inférieure à 150 000/ml, est l’anomalie hématologique la plus fréquente au cours de la grossesse.
Le nombre de plaquettes est physiologiquement plus bas chez la femme enceinte, et cette diminution relative s’accentue au 3e trimestre, mais reste cependant modérée (1).
En effet, dans une étude concernant 6 770 femmes asymptomatiques au 3e trimestre de grossesse, le 2,5e percentile n’était pas à 150 000/ml comme dans la population générale, mais à 115 000/ ml (1). De fait, toute numération plaquettaire comprise entre 115 000/ml et 150 000/ml et stable ne doit pas être considérée comme une réelle thrombopénie ; il n’est donc pas nécessaire de pratiquer des explorations ; cela, sans mettre en jeu le pronostic de l’enfant et de la mère. Il est même licite de se demander si le seuil de définition d’une thrombopénie ne devrait pas être modifié pour les femmes enceintes.
Fréquence et étiologies
Entre 6 et 15 % des femmes enceintes ont des plaquettes inférieures à 150 000/ml en fin de grossesse. La thrombopénie est le plus souvent modérée (< 100 000/ml chez seulement 1 % des femmes) et elle est souvent découverte de manière fortuite (1).
La thrombopénie gestationnelle est l’étiologie la plus fréquente, représentant environ 75 % de tous les cas de thrombopénie.
Elle est caractérisée par :
– son caractère asymptomatique et modéré (plaquettes > 75 000/ ml) ;
– l’absence d’antécédent de thrombopénie (sauf lors d’une précédente grossesse) ;
– sa survenue au cours du 3e trimestre ;
– l’absence de thrombopénie foetale ou néonatale ;
– sa régression spontanée en quelques semaines dans le post partum.
La thrombopénie peut cependant aussi être associée à d’autres pathologies, soit spécifiques de la grossesse, comme la prééclampsie ou le Hellp Syndrome* (20 % des cas), soit non spécifiques de la grossesse, comme le purpura thrombopénique idiopathique (PTI) (5 % des cas) (2).
D’autres causes plus rares, le purpura thrombotique thrombocytopénique (PTT), le syndrome hémolytique et urémique (SHU) ou la coagulation intravasculaire disséminée (Civd) peuvent aussi être évoquées. Le diagnostic de PTI est le plus difficile car sa présentation peut ressembler à celle de la thrombopénie gestationnelle. Il doit cependant être évoqué :
– si la thrombopénie est découverte avant le 3e trimestre ;
– si la numération plaquettaire est inférieure à 75 000/ml ;
– si la thrombopénie persiste après l’accouchement.
Au cours du PTI, la thrombopénie peut s’aggraver pendant la grossesse.
De plus, le risque de thrombopénie néonatale associée est réel et secondaire au passage transplacentaire des anticorps maternels. De fait, de 25 à 40 % des nouveau-nés de mère avec PTI ont une numération plaquettaire inférieure à 150 000/ml à la naissance, mais les thrombopénies néonatales graves restent rares, de même que les hémorragies intracrâniennes (de 1 à 2 % des cas) (3). Il faut cependant noter que d’autres problèmes, tels que le retard de croissance intra-utérin ou les détresses foetales, peuvent y être associés.
Exploration
Quelles femmes faut-il explorer et comment?
En pratique, deux situations sont rencontrées.
•1ercas: thrombopénie à observer
Sont concernées les thrombopénies gestationnelles bénignes répondant aux critères suivants :
– survenue au 3e trimestre de la grossesse ;
– numération plaquettaire comprise entre 75 et 115 000/ml ;
– découverte fortuite au cours d’une grossesse dont le déroulement est normal.
Dans ce cas, un examen clinique attentif à la recherche de signes de pathologies vasculaires placentaires (HTA, OMI et protéinurie) associé à un frottis sanguin pour éliminer la présence de schizocytes sera réalisé.
Une surveillance mensuelle de l’hémogramme est suffisante et aucune prescription médicamenteuse (en particulier corticothérapie) n’est justifiée.
•2ecas: thrombopénie à explorer
Sont concernées toutes les thrombopénies répondant aux critères suivants :
– thrombopénie survenant avant ou au cours des 1er ou 2e trimestres de la grossesse ;
– plaquettes inférieures à 75 000/ml ;
– thrombopénie survenant au cours d’une grossesse compliquée.
Dans tous ces cas, il est recommandé de rechercher à l’interrogatoire des signes évocateurs de maladie auto-immune (éruption malaire, arthralgie), d’effectuer un examen clinique à la recherche d’un syndrome tumoral (hépato-splénomégalie, adénopathies périphériques) et de signes de prééclampsie. Une échographie foetale pourra être associée à la recherche d’un retard de croissance intra-utérin.
Les examens complémentaires adaptés sont :
– un frottis sanguin à la recherche de schizocytes ;
– un bilan de coagulation pour éliminer une Civd (TQ, fibrinogène, PDF) ;
– un dosage des transaminases hépatiques ;
– un dosage de l’acide urique ;
– des examens immunologiques (anticorps antinoyaux et anticorps anticardiolipides) ;
– des sérologies virales (VIH, HCV, EBV, CMV).
Selon les recommandations de la Société américaine d’hématologie (4), le myélogramme et la recherche d’anticorps antiplaquettaires ne sont pas obligatoires pour poser le diagnostic de PTI, qui restera donc un diagnostic d’élimination si l’ensemble du bilan précédent est négatif.
Prise en charge et traitement
En cas de thrombopénie gestationnelle, aucun traitement n’est justifié.
Il faut cependant distinguer une thrombopénie gestationnelle d’un PTI en raison du risque de thrombopénie néonatale encouru dans le deuxième cas.
Pour les mères, la prise en charge diffère peu car un traitement ne sera en général proposé que si la thrombopénie expose à un risque hémorragique à l’accouchement. Il faudra cependant évaluer les effets secondaires potentiels des traitements proposés (diabète gestationnel, tératogénicité).
En revanche, pour l’enfant, il est impossible de prédire le risque de thrombopénie néonatale. En effet, ni la numération plaquettaire maternelle ni le traitement ne peuvent rendre compte de la numération plaquettaire foetale. Seul un antécédent de thrombopénie néonatale semble être un élément prédictif.
Chez ces patientes avec PTI, une césarienne est souvent proposée pour diminuer le risque de traumatisme foetal à l’accouchement, sans que le bénéfice apporté ne soit évident.
Conclusion
En conclusion, la thrombopénie au cours de la grossesse est un problème fréquent, mais souvent bénin. Néanmoins, il est essentiel de ne pas méconnaître les thrombopénies révélant une pathologie obstétricale ou hématologique sous-jacente, pour permettre la prise en charge rapide en milieu spécialisé. Le problème majeur sera donc de rechercher une cause potentiellement grave lorsque cela est nécessaire, sans être toutefois trop invasif.
* Syndrome associant une hémolyse à une cytolyse hépatique et à une thrombopénie, d’où le nom de Hellp pour Hemolysis, Elevated Liver Enzyme and Low Platelet Count.
Références bibliographiques :
(1) Boehle F, Hohlfeld P, Extermann P et coll. Platelet Count at Term Pregnancy : a Reappraisal of the Threshold. « Obstet Gynecol », 2000 ; 95 : 29-33.
(2) Gill KK, Kelton JG. Management of Idiopathic Thrombocytopenic Purpura in Pregnancy. « Semin Hematol », 2000 ; 37 : 275-289.
(3) Webert KE, Mittal R, Sigouin C et coll. A Retrospective 11-year aAalysis of Obstetric Patients with Idiopathic Thrombocytopenic Purpura. « Blood », 2003 ; 102 : 4306-4311.
(4) Guidelines of American Society of Hematology. « Blood », 1996 : 88 : 1.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature