> La santé en librairie
REPRESENTANT aujourd'hui 38 % du corps médical (28 % en 1988), nous oublions trop souvent ce que nous devons aux femmes qui nous ont précédées. C'est une singulière et saisissante épopée que nous conte Josette Dall'Ava-Santucci, offrant une lecture passionnante de l'histoire de l'humanité, mi-roman d'aventure, mi-travail d'historienne. La vie et le sort des femmes médecins depuis l'Antiquité est la « chronique savoureuse d'une résistance tenace », nous dit l'auteur.
Pourtant, tout n'a pas toujours été noir pour la gente féminine désireuse de calmer les maux de ses pairs. Les guérisseuses des sociétés primitives sont écoutées, considérées, protégées. L'Antiquité donne aux femmes une place respectable, leur permettant d'exercer leurs talents médicaux à égalité avec leurs collègues masculins, d'écrire et d'être lues ; les récits d'Homère en témoignent. Plus tard, Galien les cite dans ses écrits.
Dans la clandestinité.
Jusque-là, même les pères de l'Eglise ne sont pas trop misogynes en matière de soins et reconnaissent largement les talents de Théodosia, de sainte Nicérate ou de Fabiola, qui fonda le premier hôpital en Italie en 380. C'est au XIIe siècle que les choses se gâtent avec la condamnation, au Moyen Age, des femmes qui osent se mêler de médecine telles des suppôts de Satan. Pourtant, les femmes qui soignent résistent, exercent dans la clandestinité. Femmes déguisées en hommes pour se faire accepter sur les lieux de soins, contraintes de signer leurs écrits d'un nom masculin d'emprunt, risquant leur vie en bravant les interdits, sacrifiant leur vie privée pour poursuivre leur travail avec une « opiniâtreté solitaire ».
C'est à cette époque que la médecine féminine populaire connaît la persécution avec le début de la chasse aux sorcières. Les femmes plus fortunées n'ont pas, elles non plus, accès aux études médicales.
A partir de la fin de la guerre de Cent Ans, alors que l'humanisme donne à l'individu une autre valeur, les femmes ne sont pas davantage autorisées à étudier. Jusqu'à la Révolution, elles sont plutôt invitées à cultiver leurs charmes que leur esprit.
Résistantes.
Il y a bien sûr de nombreuses résistantes, dont la ténacité et le talent forcent l'admiration. Josette Dall'Ava-Santucci raconte à merveille l'histoire de bon nombre d'entre elles. De la chirurgienne de Charles II d'Angleterre, Mrs Holder, à l'Italienne Anna Manzolini, première femme professeur en 1755. Condorcet affirme qu'on ne peut prôner des droits égaux pour tous les êtres humains en en privant d'emblée la moitié de l'humanité. La Révolution française promet l'égalité ; elle sera pourtant longue à conquérir. A partir du XIXe siècle, puis au cours des guerres qui marqueront le XXe siècle, la participation des femmes sera tolérée et extrêmement efficace ; c'est ainsi qu'elles démontreront ouvertement leur ingéniosité et leur savoir-faire sans gloire ni reconnaissance.
Les dernières décennies du XXe siècle ouvriront enfin une nouvelle ère malgré une obstruction sociale tenace pour accepter les femmes aux postes de responsabilité
(5 % environ de femmes professeurs dans les facultés de médecine en France).
Si le XXe siècle marque des changements profonds pour le monde médical féminin avec la possibilité, dans le monde occidental au moins, d'accéder aux diplômes, l'accès aux fonctions sociales et hiérarchiques dépendra alors moins des lois que des mentalités de la société et de la pugnacité des intéressées.
Reste aujourd'hui beaucoup à faire et de profondes inégalités, qu'il s'agisse du régime de retraite, des congés maternités ou du poids des charges domestiques ultérieures. Reste aussi beaucoup de pièges à éviter, cantonnement des femmes dans certaines spécialités ou certains modes d'exercices soit-disant plus adaptés, et d'obstacles à contourner tels que la méfiance des confrères de sexe masculin ou celle des patients. Qui est responsable, dira-t-on ? « Comme Monsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir, la société sécrète des inégalités sans le savoir (...). Où sont donc les sexistes ? Nulle part bien sûr, c'est pour cela qu'il est si difficile de les combattre », souligne J. Dall'Ava-Santucci. « Ce livre n'a rien d'un pamphlet féministe. Simplement les faits qu'il relate inciteraient le plus orgueilleux des phallocrates à revêtir son armure de chevalier pour venir au secours de ces dames en quête de caducée », dit non sans malice J. Dall'Ava-Santucci. A bon entendeur...
« Des Sorcières aux mandarines », Josette Dall'Ava-Santucci, Calmann-Levy, 261 pages, 20 euros.
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