La séance de négociation conventionnelle qui se tient ce matin, au dernier étage de la Caisse nationale d'assurance-maladie (CNAM), ne devrait pas être décisive.
Toutefois, elle coïncide avec une « phase délicate » des discussions entre les caisses et les syndicats de médecins libéraux, comme l'a indiqué le président de la CNAM, Jean-Marie Spaeth, aux Journées de l'assurance-maladie à Nice (« le Quotidien » d'hier). La CNAM n'admet pas le comportement d'une partie des spécialistes sur le terrain qui « tentent d'imposer le fait accompli, en s'ingéniant à banaliser la pratique de dépassements tarifaires non remboursables ». Le même jour, le ministre de la Santé, Jean-François Mattei, a rappelé la nécessité d' « effacer des années de conflits » entre caisses et médecins libéraux. « On ne peut admettre le litige permanent au plan local, sauf pour rétablir le respect de la loi », a-t-il ajouté.
De leur côté, les syndicats médicaux ont répété inlassablement qu'il leur serait impossible de signer une convention d'ici au 31 mars en l'absence de nouveaux « espaces de liberté tarifaire ». Or les caisses et les médecins n'ont pas trouvé le compromis qui permettrait à la fois de respecter l'objectif national de dépenses d'assurance-maladie (ONDAM) fixé par Jean-François Mattei, et de revaloriser les honoraires des médecins spécialistes après un blocage tarifaire de huit ans. Le Dr Dinorino Cabrera, président du Syndicat des médecins libéraux (SML), « espère qu'on trouvera le compromis par le dialogue ».
La coordination des soins en question
Plusieurs pistes ont déjà été discutées à l'occasion des réunions de suivi de l'accord du 10 janvier, et notamment un mode d'emploi de la coordination des soins (« le Quotidien » du 24 février). « La coordination des soins, c'est le chantier de fond qui porte la valorisation des métiers et des honoraires », souligne le président de MG-France, le Dr Pierre Costes.
Le mode d'emploi évoqué dans les discussions encadrerait l'accès aux soins spécialisés en contrepartie d'une majoration d'au moins trois euros de la consultation (CS). Par défaut, ce même mode d'emploi autoriserait les spécialistes à appliquer un dépassement non remboursable, en cas de non-respect des règles du jeu par le patient (sur le modèle de la visite à domicile non justifiée). Mais, parmi les pistes déjà évoquées, « rien n'est acquis ni rejeté définitivement », prévient le Dr Cabrera. Dans les deux semaines à venir avant la date butoir du 31 mars, le président du SML « n'exclut aucun scénario » et pense que « le risque de rupture n'est pas négligeable ».
Le Dr Michel Chassang, président de la CSMF, majoritaire, ne cache plus son pessimisme et son impatience. « Cela fait dix mois qu'on négocie à coup de séminaires, de déjeuners, de dîners, de rencontres formelles ou informelles et on n'a toujours pas écrit une ligne [de convention, NDLR] ensemble! », dit-il, avant de reconnaître que « les choses n'avancent plus beaucoup ».
Accusateur, le président de la Confédération met désormais en doute la volonté des responsables de l'assurance-maladie d'aboutir à un accord. « Aujourd'hui, j'ai l'impression que les caisses ne sont pas forcément sur une stratégie de signature et j'assume ces propos, affirme-t-il. La nervosité extrême des dirigeants de la CNAM et le fait que plusieurs directeurs de caisse montent au créneau pour sanctionner un mode de contestation (les dépassements tarifaires, NDL) font que je m'interroge... »« Ce n'est pourtant pas le moment de jeter de l'huile sur le feu », ajoute le Dr Chassang. Un argument que les caisses retournent contre les spécialistes qui utilisent trop souvent le DE. Pour autant, le président de la CSMF n'exclut « aucune hypothèse », lui non plus, pas même un succès au finish. « En ce moment, c'est assez négatif mais si on nous écoute enfin, j'espère qu'on pourra reproduire à la fin de mars ce que nous avions réalisé en juin (1) car personne n'a intérêt à l'échec, ni les caisses, ni le gouvernement, ni la profession médicale ». « De guerre en guerre, on va se retrouver avec des situations négatives pour tous », renchérit le Dr Cabrera.
Toujours le problème de l'espace de liberté tarifaire
Le Dr Félix Benouaich, président du syndicat Alliance, signataire de l'accord du 10 janvier, « ne pense pas qu'une convention sera signée le 31 mars ». Considérant que « les choses n'évoluent plus », et même « reculent », le Dr Benouaich a décidé de ne pas se rendre à la négociation et de se faire représenter par son vice-président, le Dr Jean-Gabriel Brun. Pour le Dr Benouaich, chaque partenaire a sa part de sa responsabilité. « Les caisses refusent de mettre de l'eau dans leur vin, elles font des blocages de principe sur les espaces de liberté tarifaire mais je regrette aussi la division des syndicats », estime-t-il.
Marginalisée parce qu'elle n'a pas signé l'accord du 10 janvier, la Fédération des médecins de France (FMF) revient à la charge. La FMF a toujours défendu la généralisation du secteur II, secteur à honoraires libres qui fut créé en 1980 à sa demande. Aujourd'hui, consciente que cette revendication n'est « pas politiquement correcte », elle la formule autrement et réclame « un domaine d'exercice conventionnel unifié, libéral et régulé », dans lequel chaque médecin pourrait appliquer à la fois des tarifs opposables donnant droit aux avantages sociaux conventionnels et des honoraires libres sur une fraction de son activité. La régulation se ferait « par le médecin lui-même et par la loi du marché », précise le Dr Jean-Claude Régi, président de la FMF. Il fait valoir que, dans le secteur à honoraires libres, « les consultations sont plus longues et les prescriptions moins nombreuses statistiquement ».
En attendant la réforme de la Sécu
Sur le terrain, les médecins spécialistes issus des coordinations veulent faire monter la pression, en interpellant par courrier les responsables de l'assurance-maladie et le gouvernement. Bien qu'ils essayent d'unifier leur discours officiel, les médecins des coordinations ne partagent pas tous les mêmes revendications. Parfois tentés par le déconventionnement, comme en Basse-Normandie ou dans les Pyrénées (autour de Pau et Tarbes), ils aspirent à une plus grande liberté tarifaire, avec ou sans contreparties. Certains aimeraient que la négociation de la convention soit suspendue jusqu'à la réforme de l'assurance-maladie promise à l'automne par le ministre de la Santé. « On ne peut pas dissocier le système de santé du système de remboursement : c'est aberrant de négocier la convention pour cinq ans tant qu'on ne connaît pas la réforme », estime le Dr Guy Schucht, président de la Conférence nationale des associations de médecins libéraux (CNAMLIB, qui affirme parler au nom de 5 000 médecins). Pour le Dr Cabrera, jouer la montre réduirait au contraire la marge de négociation, compte tenu de « l'évolution des dépenses » et des « contraintes budgétaires imposées par Bruxelles ». Le Dr Costes a un avis plus nuancé : « Il n'y a aucune raison d'attendre le projet de nouvelle gouvernance de l'assurance-maladie et le rapport du groupe de travail Chadelat pour prendre des mesures, mais elles doivent pouvoir s'intégrer dans l'approche panier de soins-régime complémentaire de base qui est remboursé dans sa totalité. »
(1) A l'époque, l'ultime nuit de négociations avait abouti au C à 20 euros et au V à 30 euros pour la visite médicalement justifiée.
L'arrêté sur le CS à 23 euros est paru au « J.O. »
Comme prévu (« le Quotidien » du 10 février), « le Journal officiel » (édition datée du 12 mars) vient de faire paraître l'arrêté fixant le tarif de la consultation du spécialiste à 23 euros avec un effet rétroactif au 1er février. Les médecins et l'assurance-maladie attendaient la publication de ce texte avec impatience afin qu'aucune ambiguïté ne subsiste sur la date d'application de cette revalorisation d'honoraires prévue par l'accord signé le 10 janvier entre les caisses et les syndicats médicaux. A noter que, pour La Rréunion, le CS est fixé à 27,60 euros et à 25,30 euros pour les Antilles et la Guyane.
Le même arrêté abaisse également à 5 euros (contre 5,13 euros) le forfait pédiatrique qui permet de continuer à facturer à 28 euros la consultation du pédiatre pour les enfants de moins de 2 ans. Ce forfait est en vigueur depuis l'été dernier et cette baisse de 13 centimes d'euro tient compte de la revalorisation du CS. Enfin, l'arrêté arrondit de 60,98 euros à 61 euros la majoration de sujétion particulière pour l'ensemble des actes liés à chaque accouchement réalisé la nuit, le dimanche et les jours fériés.
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