PLONGÉE DANS LE VIF du sujet dès les premiers articles du projet de loi sur l'assurance-maladie (dossier médical personnel - DMP -, protocoles de soins pour les patients en ALD, dispositif de médecin traitant), l'Assemblée nationale a été, depuis le début de la semaine, le théâtre d'une intense bataille sur les enjeux, les modalités et les conséquences des nouveaux outils de la maîtrise médicalisée, dont le gouvernement attend jusqu'à 3,5 milliards d'euros d'économies à partir de 2007.
La principale originalité de ce débat a tenu au fait que l'opposition ne condamne a priori ni la création du dossier médical personnel (DMP), ni la nécessité de renforcer la coordination des soins pour les malades chroniques, ni le filtrage de l'accès aux soins de deuxième intention (examens spécialisés, hôpital) via un médecin « référent » (que le gouvernement préfère appeler « traitant »). Mais ce consensus droite-gauche sur les principes et l'objectif (améliorer la coordination des soins) a volé en éclats avec l'examen des articles, la politique reprenant ses droits. « Votre DMP, c'est un Dossier Mal Parti », a, par exemple, ironisé Jean-Marie Le Guen (PS), en redoutant un « fiasco » du même ordre que celui du carnet de santé. « En parlant de DMP, on pourrait plutôt parler de Députés Mal Préparés ! », a rétorqué le ministre de la Santé, provoquant un tollé à gauche. Même si les députés ont parfois avancé à un train de sénateur, la discussion n'a pas été stérile. Le gouvernement a modifié sa copie, et pas seulement à la marge. Etat des lieux.
• Dossier médical
D'ici au 1er juillet 2007, chaque assuré social disposera de son dossier médical personnel (DMP) et informatisé dans lequel seront consignées ses données de santé. En adoptant l'article 2 du projet de loi, les députés ont posé un important jalon de la réforme de Philippe Douste-Blazy. Lors de son discours inaugural devant les députés, le ministre de la Santé a présenté le DMP comme le « premier élément de cohérence du système de soins ». Le DMP a pour objectif de favoriser la coordination des professionnels de santé, d'améliorer la qualité des soins et d'éviter les traitements redondants.
Son adoption par les députés ne s'est pas déroulée sans heurts. L'opposition (PS et PC) a voté contre le projet après avoir exprimé ses nombreuses inquiétudes sur sa mise en œuvre. Rappelant le « fiasco » du carnet de santé en 1995, Jean-Marie Le Guen a dit que le DMP était une « bonne idée qui risque d'échouer ».
Selon le porte-parole du groupe socialiste, le dossier médical n'est qu'une « arme de régulation financière » qui pourrait se transformer en « instrument de sanction des assurés ». Le patient devra en effet présenter son dossier au médecin pour bénéficier du remboursement des actes et des prescriptions. Le respect de la confidentialité des patients a nourri les débats et plusieurs amendements ont été adoptés pour limiter l'accès au dossier médical. Une disposition interdit aux complémentaires l'accès au DMP lors de la conclusion d'un contrat d'adhésion, « même avec l'accord de la personne concernée ». De même, le DMP ne sera pas « accessible dans le cadre de la médecine du travail ». Des sanctions pouvant atteindre un an d'emprisonnement et 15 000 euros d'amende sont prévues par le texte de loi.
Le DMP préalable au conventionnement.
Les députés n'ont pas oublié les médecins sans qui le DMP ne pourra jamais fonctionner. Yves Bur (UMP), soutenu par les socialistes, a souhaité renforcer le caractère obligatoire de la tenue du dossier médical par les médecins. Le DMP devient donc « une des conditions d'adhésion aux conventions nationales régissant les rapports entre les organismes d'assurance-maladie et les professionnels de santé ». Le but avoué de cette disposition, applicable au 1er janvier 2007, est d'éviter « les manœuvres de retardement » comme celles observées lors du passage à la carte Vitale. Les décrets d'application devront être précédés de l'avis du Conseil national de l'Ordre des médecins. Ce dernier a fait savoir qu'il refusera le dossier médical si celui-ci n'apporte pas des garanties, notamment la préservation du secret médical. Le Cnom souhaite que le dossier contienne uniquement « les données médicales pertinentes nécessaires à la coordination, à la qualité et à la continuité des soins ». Il demande que la responsabilité des différents intervenants soit engagée en cas de rupture de la confidentialité pouvant porter atteinte à l'intimité des personnes. Afin d'assurer le stockage des données médicales, plusieurs hébergeurs spécifiques seront agréés. En cas de non-respect des garanties, « cet agrément pourra être retiré à tout moment », a souligné Philippe Douste-Blazy devant les députés.
Xavier Bertrand a, en outre, affirmé que l'agrément des hébergeurs privilégierait la « sécurité, mais aussi l'indépendance vis-à-vis de toute entreprise qui pourrait intervenir dans le domaine de la santé ». Concernant le calendrier, le secrétaire d'Etat à l'Assurance-maladie a confirmé que le DMP serait accessible dès le début de 2005 dans des sites pilotes qui concerneront deux millions de Français. « Le dispositif sera généralisé en 2006 et 2007, et j'espère qu'il sera opérationnel un peu plus tôt que prévu », a conclu Xavier Bertrand.
• ALD : des protocoles de soins signés par le patient
Les députés ont adopté l'article 3 qui renforce l'encadrement du dispositif actuel de prise en charge des patients atteints d'une ALD (ce régime concerne 5,7 millions de personnes, mobilise 48 % des dépenses de soins et contribue à hauteur de 62 % à l'augmentation du poste des soins de ville). Ainsi, le protocole de soins établi conjointement par le médecin traitant et le médecin conseil (instauré dans la loi de financement pour 2004), qui définit les actes et les prestations pour lesquels la participation de l'assuré « peut être limitée ou supprimée », devra dorénavant être signé par le patient ou son représentant légal. Sauf urgence, le patient devra obligatoirement présenter son protocole au médecin consulté pour bénéficier de l'exonération du ticket modérateur.
Quant au médecin, il devra lui aussi certifier lors de ses prescriptions qu'il a bien pris connaissance du protocole. Autrement dit, l'opposabilité du protocole est prévue à l'égard du malade et de tout praticien. La Haute Autorité établira les recommandations concernant ces protocoles. « La nouveauté, c'est que les professionnels autres que le médecin habituel seront informés sur la nature de l'ALD et le motif de l'exonération, explique le Dr Pierre Costes, président de MG-France . L'autre avancée, c'est que ces protocoles iront sans doute plus loin dans la description des soins en rapport avec l'ALD, on définira plus précisément le recours aux spécialistes, les examens, leur fréquence... »
Le vote du dispositif a donné lieu à des débats houleux. Pour Jacqueline Fraysse (PC), l'article 3 est « dicté par le seul souci de réaliser des économies » sur le dos des malades les plus lourds et « sous couvert de médicaliser les ALD, vise à réduire le périmètre des prises en charge ». Maxime Gremetz, autre élu communiste, a évoqué une démarche de « culpabilisation des malades les plus atteints ». Jean-Marie Le Guen (PS) a accusé le gouvernement de « passer à côté » du sujet (la prise en charge des malades chroniques, les dépenses qu'ils occasionnent) en agissant exclusivement par le biais de la « liquidation Sécurité sociale » et en n'apportant « rien en matière de santé publique ».
Philippe Douste-Blazy a expliqué que le seul objet de cet article était d'améliorer la coordination des soins en « impliquant les patients » dans leur traitement. Il s'est défendu de remettre en cause le remboursement intégral des soins relevant de l'ALD. « Mais, a-t-il rappelé, il arrive que des personnes se fassent rembourser intégralement d'autres soins, et il n'y a pas de raison de le laisser faire. »
Après l'échec relatif de l'ordonnancier bizone, ce nouveau dispositif devra néanmoins faire ses preuves. Yves Bur (UMP), président de la commission spéciale, a souhaité en tout cas qu'il permette « de faire la part de ce qui relève des ALD et de ce qui n'en relève pas ». Les quatre affections entre lesquelles sont partagées 84 % des entrées en ALD sont les maladies cardio-vasculaires, les cancers, les troubles mentaux et le diabète.
• Médecin traitant : une bonne idée « dénaturée », selon le PS
Le gouvernement a présenté ce dispositif « vertueux » comme une des clés de la réussite de la réforme et de son plan d'économies. En désignant le médecin traitant (la plupart du temps un généraliste) comme le praticien-pivot qui coordonnera le dossier médical et organisera le parcours individuel de soins de ses patients (qu'il orientera vers d'autres professionnels), Philippe Douste-Blazy compte assurer un « accès optimisé au système de santé », et notamment lutter contre le recours « anarchique » à certains spécialistes.
La gauche, comme l'a rappelé Elisabeth Guigou, ne condamne pas la définition d'une « porte d'entrée » dans le système de soins. Mais les socialistes estiment que le gouvernement a complètement « dénaturé » cette bonne idée en l'assortissant d'une « double peine » : moindre remboursement pour les patients qui refusent de s'inscrire dans ce dispositif et « pénalisation » lorsqu'ils consulteront directement certains spécialistes (autorisés à pratiquer des dépassements). « Votre médecin traitant, c'est une dragée au poivre, s'est emporté Jean-Marie Le Guen. Derrière une mesure sympathique se cache la fin des tarifs opposables des spécialistes, vous essayez de faire passer la pilule du secteur II généralisé. » Maxime Gremetz s'est interrogé sur la réalité du « nomadisme » contre lequel le gouvernement entend lutter.
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