Les AINS pris en cas de sinusite pourraient-ils provoquer de graves complications chez l’enfant ? Telle est la question qui se pose depuis plusieurs années, les ORL et neurochirurgiens ayant remarqué, chez l’enfant, une augmentation des cas d’hospitalisations pour complications de sinusites fronto-ethmoïdales. « Dans la majorité des cas, l’interrogatoire a permis de mettre en évidence un traitement antérieur par ibuprofène, lors de la sinusite aiguë », indique le Pr Richard Nicollas (ORL, hôpital de la Timone, Marseille). Le doute sur l’impact possible d’un traitement antérieur par ibuprofène s’est alors installé.
Pour vérifier cette idée, l’équipe du Pr Nicollas a réalisé une étude rétrospective en étudiant les dossiers d’enfants hospitalisés sur 24 mois consécutifs pour sinusite fronto-ethmoïdale, entre janvier 2011 et décembre 2012. 16 patients ont été inclus, avec 11,5 ans de médiane d’âge. Ils ont été classés en deux groupes : ceux qui ont pris de l’ibuprofène (6 enfants) et ceux qui n’en ont pas pris (10 enfants). Dans le premier groupe, 5 patients (86%) ont présenté une complication intra-crânienne (empyème dont un patient avec thrombose veineuse associée du sinus sagittal supérieur) et le sixième était porteur d’une importante cellulite orbitaire. Tous les patients de ce groupe avaient reçu de l’ibuprofène sans antibiotique. Dans le deuxième groupe, aucune complication intracrânienne n’a été relevé et 4 ont eu un abcès sous-periosté modéré, dont un seulement a dû subir une intervention chirurgicale.
Pour Richard Nicollas, le possible effet néfaste des AINS que tend à montrer cette petite étude pourrait très bien s’expliquer sur le plan de la physiopathologie : « Les AINS sont connus pour favoriser l’extension des processus infectieux dans les tissus mous », explique-t-il.
Angines et œdèmes péri-amygdaliens
Les complications de sinusites ne sont pas les seules à être à la hausse. Les ORL constatent une augmentation ces dernières années des complications d’angines, notamment des œdèmes péri-amygdaliens. Pour le Pr Emile Reyt (ORL, CHU de Grenoble et président du Collège National d’ORL), cela pourraît être dû à « un recours trop fréquent aux anti-inflammatoires, dans un contexte de diminution des prises d’antibiotiques ». Une étude a cherché à vérifier cette tendance, menée par le Pr Gilles Potel, (urgences, CHU Nantes), chez 412 patients porteurs d’un abcès péri-amygdalien (inclus sur 18 mois, dans 13 CHU). « En regardant rétrospectivement, 71 % des patients avaient pris un anti-inflammatoire, sur prescription ou en automédication, rapporte Gilles Potel, et je peux déjà affirmer qu’il y a un lien de causalité entre prescription d’AINS en automédication et survenue d’un abcès péri-amygdalien. » Par ailleurs, l’étude indique que le TDR est peu utilisé (chez 19% des patients), et que 62% des patients ont reçu un antibiotique pour leur angine, « mais peut être pas forcément bien ciblé, comme des macrolides », commente Gilles Potel.
Face à ces premiers constats, la SFORL conseille de ne pas proposer d’ibuprofène ou autre anti-inflammatoire dans les tableaux cliniques qui peuvent faire évoquer une sinusite aiguë chez l’enfant, comme des céphalées et de la fièvre, ainsi que dans les angines chez l’adulte comme chez l’enfant. La prise de paracétamol reste alors préférable. Malgré cela, un problème demeure : celui de l’automédication avec les AINS qui reste aujourd’hui difficile à contrôler.
Dans ce contexte, les ORL s’alarment également face au récent arrêté (11 juin 2013) élargissant aux pharmaciens d’officine la pratique du TDR. Un test jusqu’alors réservé aux généralistes, pédiatres et ORL.
Pour ou contre les TDR chez le pharmacien ?
Le Conseil national professionnel d’ORL (CNPO) et le Syndicat National d’ORL ont à ce sujet adressé un courrier au ministère de la Santé et à la DGS, indiquant notamment s’inquiéter des « conséquences pratiques d’une telle procédure, dans l’éventualité où, à l’issue de ce test, un patient pourrait être incité à ne pas consulter une médecin quand le test a permis d’éliminer la présence de streptocoque A ». Les ORL avancent que « de nombreuses angines bactériennes existent, notamment à bactéries anaérobies à l’origine de complications redoutables et qui relèvent d’une antibiothérapie spécifique. De plus, certains aspects d’angines correspondent parfois à des maladies non infectieuses, comme des tumeurs ou des hémopathies. Dans tous ces cas, le TDR est négatif. Et le pharmacien, en ne disposant que de ce seul résultat, et qu’il n’est pas habilité à porter un diagnostic clinique, pourrait prendre le risque de renvoyer le patient sans avis médical, entrainant de ce fait un retard au traitement ». L’argument financier, quant à lui, n’a pas été avancé…
Toutefois, on ne sait trop quoi penser lorsque l’on analyse la situation : la prescription d’antibiotiques repart lentement à la hausse et le recours au TDR en médecine générale est loin d’être systématique devant une angine erythémato-pultacée typique, comme le montre une étude* publiée en 2012 menée sur un échantillon représentatif de 369 généralistes français. 34% des généralistes disposant du TDR ne l’ont pas utilisé devant une angine erythémato-pultacée typique. De plus, parmi ceux qui l’ont utilisé, 13% ont tout de même prescrit un antibiotique devant un TDR négatif. Les auteurs ont mis en évidence trois barrières à l’utilisation de ce test diagnostique : le manque de temps, la demande d’antibiotiques de la part des patients et la perception que l’examen clinique suffit pour prescrire un antibiotique. Alors, aux yeux des autorités de santé, faire appel aux pharmaciens, dans le cadre d’une collaboration avec le médecin, serait un moyen supplémentaire pour mieux contrôler l’usage des antibiotiques.
Toutefois aujourd’hui, le dispositif n’est pas encore en place, et les pharmaciens n’ont pas encore la possibilité de réaliser ces tests. Toutes les modalités restent à définir (formation et rémunération des pharmaciens, prix des tests, vérification du respect de la confidentialité, collaboration médecin-pharmacien…)
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