S'IL Y AVAIT un palmarès de la lutte anti-dopage, les jeux de la 28e Olympiade décrocheraient haut la main la première place. Alors que, depuis l'instauration des contrôles, en 1968 à Mexico, le nombre de dopés repérés n'avait jamais excédé la dizaine, sauf en 1976 à Montréal avec 11 sportifs piégés, cette fois, le Dr Patrick Schamasch, directeur médical du CIO, peut affirmer à bon droit : « Nous avons donné un coup d'accélérateur à la lutte antidopage. »
Vingt cinq athlètes au total ont été exclus ou se sont retirés des Jeux entre leur ouverture le 30 juillet et leur clôture le 29 août. Ce sont les haltérophiles qui ont payé le plus lourd tribut à cette impitoyable répression, avec 11 exclusions. Les médaillés eux-mêmes n'ont pas échappé à la curée, pour sept d'entre eux, dont trois d'or, qui, pris en flagrant délit, ont dû restituer leurs trophées. Du jamais vu. Le Dr Jacques Rogge, chirurgien de son état, président du Comité international olympique, peut certes se vanter d'avoir taillé dans le vif de la tumeur, saluant comme une « bénédiction » d'avoir pu étoffer son tableau de chasse. Que l'image des Jeux ait pu être polluée par les annonces quasi quotidiennes de nouveaux cas ne l'inquiète nullement : « Plus il y a de contrôles positifs, plus on gagne en crédibilité », se félicite-t-il au contraire, lui qui avait annoncé, avant les Jeux, que plus de 20 tricheurs seraient démasqués.
Un coup de chapeau particulier doit être adressé au comité organisateur d'Athènes ainsi qu'aux autorités grecques qui ont manifesté une résolution sans faille jusqu'à s'en prendre à leurs plus illustres champions : les sprinters Costas Kenteris et Ekaterini Thanou ont dû se retirer des Jeux, menacés qu'ils étaient d'être exclus pour leur absence lors d'un contrôle antidopage inopiné ; l'haltérophile Leonidas Sampanis a, quant à lui, été disqualifié après avoir été testé positif à la testostérone et il a dû rendre sa médaille de bronze. Dans ces trois cas, la justice grecque a ouvert une enquête, le gouvernement annonçant un « contrôle total » de tous ses athlètes nationaux. Aucun pays organisateur ne s'était encore engagé aussi loin.
Menu fretin.
La nasse est donc pleine comme jamais. Mais d'aucuns déplorent qu'on n'y trouve que du menu fretin. A l'exception de trois Russes, aucun athlète des dix nations les mieux classées au tableau des médailles ne figure parmi les réprouvés. Et aucun des noms qui tiennent le haut de l'affiche dans les grands meetings n'a été épinglé. La plupart des contrevenants sont des ressortissants de l'ex-bloc de l'Est, ou de pays en voie de développement sportif, qui ont hérité d'entraîneurs formés à l'école du dopage d'Etat.
Somme toute, Athènes aura été marqué par une hécatombe de ce que le Dr Gérard Dine qualifie de « dopage du pauvre », alors que, observe-t-il, « le dopage du riche est passé à travers les mailles du filet ». Pratiquement en effet, le président de l'Institut des biotechnologies de Troyes, professeur à l'Ecole centrale de Paris (ECP), souligne que « tous les dosages effectués à Athènes qui ont abouti à des sanctions portaient sur des substances classiques (amphétamines et anabolisants), et des tests de détection qu'on est censé pratiquer depuis une vingtaine d'années. Plus qu'un bulletin de victoire pour 2004, c'est donc un aveu d'échec pour les deux dernières décennies de la lutte antidopage, estime le Dr Dine. A Athènes, on a enfin cessé de parler la langue de bois et le CIO, soumis à la pression internationale de certains pays et de certaines fédérations sportives très en pointe (comme celle du ski ou du cyclisme) , n'a pu faire moins que de mettre réellement en œuvre les outils de détection. »
« Une dynamique, en effet, s'est instaurée, en particulier avec la création de l'Agence mondiale antidopage, souligne le secrétaire général du Comité de prévention et de lutte contre le dopage (Cpld), Emmanuel Triboulet. Il faut bien sûr s'en réjouir, déclare-t-il au « Quotidien », même si des zones d'ombre subsistent dans le tableau : par exemple, le CIO s'était engagé à pratiquer plusieurs centaines de contrôles sanguins, mais il n'a communiqué aucun bilan chiffré à cet égard. Par ailleurs, on ne peut se départir d'un sentiment d'inquiétude quand on voit que les autorisations de produits à usage thérapeutique ont été distribuées à profusion, avec plus de 500 athlètes qui ont pu en bénéficier. »
Ecuries dopantes.
D'autres réserves sont émises : « Il reste extraordinairement surprenant qu'aucun Américain n'ait été contrôlé positif, observe ainsi le Dr Dine ; faut-il en déduire que les Etats-Unis ont complètement épuré leur milieu sportif de produits interdits, ou bien ne faut-il pas plutôt en conclure que leurs écuries dopantes maîtrisent suffisamment bien leurs technologies pour les rendre indécelables lors des contrôles ? »
Un même sentiment de malaise plane au sujet de la nature des tests effectivement pratiqués : alors que les Jeux de Salt Lake City avait été marqués par la victoire remportée sur l'EPO, le Dr Schamasch avait confié au « Quotidien » (29 juillet) que les Jeux d'Athènes seraient, « pourquoi pas », marqués par la victoire sur l'hormone de croissance ; mais le coup d'éclat n'est pas venu. Faute de dopés, ou faute de preuves pour les confondre ? L'histoire olympique entretient un mystère qui peut avoir les effets bénéfiques d'« une épée de Damoclès », comme l'espère Emmanuel Triboulet, mais qui « contribue à alimenter, comme l'estime le Dr Dine, les suspicions sur le dopage high tech ». « Chemin faisant, ajoute-t-il, un clivage scientifique, technologique, politique et historique est en train de se creuser, exposant de plus en plus les pauvres aux punitions, tandis que les riches, forts de leur suprématie biologique et biochimique échapperaient impunément aux gendarmes anti-dopage. A quand des stratégies de détection croisée qui combineraient analyse sanguine et analyse urinaire, pour détecter à la fois l'EPO et l'hormone de croissance ? A quand des profils biologiques complets effectués en amont tout au long de l'année qui précède une épreuve de haut niveau, pour disposer d'une traçabilité qui seule fournit les moyens de détecter toutes les anomalies ? »
La bataille d'Athènes a sans doute posé un jalon appréciable dans une guerre contre le dopage qui restera encore longtemps incertaine. « Quand même, souligne le Pr Pierre Rochcongar, coordinateur national du Desc de médecine du sport (CHU de Rennes), la prise de conscience des enjeux médicaux et sportifs est maintenant internationale. On ne peut que se réjouir des avancées accomplies à Athènes. L'AMA, en particulier, a apporté la preuve de son efficacité. »
L'agence mondiale met maintenant le cap sur Pékin 2008, avec d'ambitieux projets, comme la lutte contre le dopage génétique.
La rocambolesque affaire Kenteris-Thanou
Médaillé d'or au 200 m aux Jeux de Sydney 2000, le sprinter grec Costas Kenteris s'est retiré spontanément des Jeux d'Athènes le 18 août, en même temps que sa compatriote Ekaterini Thanou, médaillée d'argent à Sydney. Le 12 août, à la veille de la cérémonie d'ouverture, tous deux n'avaient pu être localisés par une équipe mandatée par le Comité international olympique pour procéder à un contrôle antidopage inopiné. Cette absence avait été suivie d'un mystérieux accident de moto, jugé « fabriqué » par une source judiciaire de haut niveau.
L'avocat de Kenteris et Thanou a cependant réitéré la thèse selon laquelle ses clients n'avaient été prévenus qu'en début de soirée, plus de quatre heures après l'arrivée des contrôleurs venus à leur recherche au village olympique. De son côté, la mission olympique soutient qu'elle a prévenu sans délai l'entraîneur des deux athlètes pour les informer qu'ils devaient satisfaire à un contrôle.
La justice grecque instruit l'enquête en liaison avec les procureurs américains qui travaillent sur le dossier Balco, du nom de ce laboratoire californien spécialisé dans la nutrition et qui est soupçonné de distribution de produits dopants (un stéroïde synthétique inconnu et donc indécelable, la THG, et un anabolisant, la norboléthone).
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