Les nouvelles technologies au service de l'Egypte ancienne

Publié le 20/10/2002
Article réservé aux abonnés
1276505822F_Img102807.jpg

1276505822F_Img102807.jpg

« C'est l'histoire de l'union de la carpe et du lapin », raconte Alain Zivie, directeur de recherche au CNRS et fondateur de la mission archéologique du Bubasteion, à Saqqarah (Egypte). Cette histoire, exemple d'interdisciplinarité, rassemble un archéologue et un chimiste.

Elle commence sur la falaise du Bubasteion, où ont été découvertes des tombes du Nouvel Empire (XVI-XIe siècle avant J.-C.), dont celle d'une famille de « directeurs des peintres » à laquelle appartenait un grand artiste nommé Thoutmès.
Selon Alain Zivie, l'artiste aurait lui-même décoré cette tombe, avec son frère. « Il y est d'ailleurs représenté avec sa palette personnelle, explique l'archéologue. Plus intéressant encore, ces décors ressemblent à ceux réalisés dans certaines des plus belles tombes de Louxor par, selon l'expression d'une égyptologue américaine, le "Michel-Ange égyptien inconnu". »
Afin de confirmer son hypothèse, Alain Zivie a voulu comparer, en plus de l'étude stylistique, les compositions des pigments, des liants et des vernis employés. Pour étudier ces pigments sans risquer d'abîmer les fresques, il a fait appel au chimiste Philippe Walter, chargé de recherche au CNRS, qui propose d'utiliser la fluorescence X. Cette technique non destructive, développée avec le CEA et le CNES dans le programme dans le cadre d'un programme spatial, consiste à doser des éléments constitutifs d'un matériau à l'aide de rayons X. Grâce à un laboratoire improvisé à l'intérieur de la tombe, un décor tel qu'on pourrait le voir dans un « James Bond », Philippe Walter a obtenu les spectres des composants des pigments représentés sur la palette de Thoutmès : le jaune est, par exemple, composé soit d'arsenic et de soufre, soit d'hydroxyde de fer. Une analyse approfondie permettra de déterminer les quantités et l'importance des mélanges. La comparaison des résultats avec d'autres tombes contribuera peut-être à identifier ce Michel-Ange égyptien.

Cosmétologie antique

En partenariat avec les scientifiques de L'Oréal et avec son équipe du laboratoire de recherche des Musées de France, Philippe Walter utilise d'autres instruments innovants pour percer les secrets de fabrication des maîtres cosmétologues égyptiens. Une étude en microscopie électronique à balayage a permis d'identifier les principaux ingrédients des fards, notamment des complexes de plomb, comme la galène (sulfure de plomb) ou la céruse (carbonate de plomb). Des analyses complémentaires par diffraction aux rayons X ont été réalisées grâce à la source de rayonnement synchroton de l'ESRF (Installation européenne de rayonnement synchrotron, Grenoble). L'ESRF est une source de rayonnement synchrotron produisant des faisceaux de rayons X durs d'une très grande intensité dans les hautes énergies. Les applications concernent la physique du corps solide, la cristallographie, l'étude des surfaces ou de la matière à très hautes pressions, ou encore le diagnostic médical et la radiothérapie.
Et les chercheurs ont ainsi détecté d'importantes quantités de laurionite et de phosgénite, deux composés très rares, produits dans la nature lors du contact du minerai de plomb avec de l'eau chlorée. « Leur formation accidentelle semble impossible vu l'excellent état de conservation des échantillons, indique Philippe Walter. La conclusion s'est imposée d'elle-même : les artisans égyptiens maîtrisaient les techniques complexes nécessaires pour synthétiser ces deux chlorures de plomb.
« L'étude du papyrus Ebers, où sont consignées les recettes de quelque 800 préparations médicinales, nous a appris que les Egyptiens attribuaient des propriétés thérapeutiques à ces composés de plomb et les incorporaient à leurs fards pour soigner certaines maladies oculaires », poursuit le chercheur. Des tests sont entrepris actuellement avec les chercheurs de la faculté de Chatenay-Malabry pour en connaître les éventuels effets bactéricides ou anti-inflammatoires.

Parfums d'Egypte, une exposition odorante au CNRS


Jusqu'au 15 novembre, le CNRS accueille, dans la galerie du campus Michel-Ange*, l'exposition Parfums d'Egypte, coordonnée par Philippe Walter. Grâce à des manipulations interactives (palette à parfums, tresses de cheveux, puzzle de l'œil d'Horus, etc.), les visiteurs peuvent découvrir les ambiances parfumées dans lesquelles les Egyptiens évoluaient. Une exposition de photographies de Patrick Chapuis présente également le site de Saqquara et les sépultures qui y ont été découvertes par la mission archéologique française du Bubasteion, dirigée par Alain Vizie. Une borne interactive permet aux visiteurs de surfer sur l'exposition virtuelle « Parfums et fards dans l'Egypte ancienne » que propose le Louvre (www.louvre.fr ou www.cnrs.fr/parfums-egypte).

* 3, rue Michel-Ange, 75016 Paris.

Stéphanie HASENDAHL

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7202