ON NE TRAITE plus un col du fémur mais un individu, on le sait depuis longtemps. La nouveauté, c'est qu'on ne traite plus seulement un malade, mais une personne avec un environnement social, familial, amical, professionnel, résidentiel qui va déterminer ses besoins et ses attentes de santé, sa capacité à faire appel au système de soins. Un être social dont les normes de santé et les expériences personnelles de soins vont influencer le comportement et déterminer les soins qu'il demandera ou pas, dont il bénéficiera ou pas.
S'appuyant sur les études de populations particulières, personnes incarcérées, personnes âgées dépendantes, en fin de vie, SDF, prostituées... les membres de l'équipe Avenir « Déterminants sociaux de la santé et du recours aux soins » de l'Inserm mettent en évidence l'amélioration de la prise en charge de ces populations par la prise en compte de l'individu dans son environnement.
Décrypter les codes.
Lilian Mathieu, sociologue, décrit la façon dont les associations s'occupant de prostituées dans le contexte de lutte contre le sida ont dû repenser leurs méthodes d'intervention, une remise en cause de la séparation classique entre le sanitaire et le social : « La prévention a été prise en charge par des acteurs et des organismes nouveaux et non par des dispositifs préexistant à l'épidémie. Pour s'adapter aux normes et aux valeurs du groupe auquel elles s'adressent, les associations communautaires de santé ont recours à un personnel inédit, les animatrices de prévention, issues de la prostitution et salariées au nom de leur connaissance du monde du trottoir. »
Ainsi les soins s'élargissent pour mieux intégrer une dimension sociale, l'accès aux soins des SDF ne peut se faire sans la prise en charge préalable des problèmes immédiats de survie, les professionnels s'ouvrent au travail en réseaux, notamment dans les quartiers difficiles.
« Des victimes cachées ».
Partant de situations de crise ou difficiles, les auteurs démontrent la nécessité de considérer l'usager du système de soins comme un être social inséré ou non dans un réseau propre. Les décès liés à la canicule de 2003 ont bien montré que, chez les personnes âgées, la faiblesse des liens sociaux a une influence négative sur la santé.
« Les soignants doivent davantage reconnaître le rôle des proches », souligne Sandrine Andrieu, auteur d'un chapitre intitulé « L'aide informelle apportée aux personnes âgées dépendantes ». Parmi les personnes âgées dépendantes maintenues à domicile, 80 % le sont grâce à la famille, poursuit cette épidémiologiste ; et même si le réseau d'aide potentielle est dense, le plus souvent, l'essentiel de la prise en charge repose sur une seule personne.
Il s'agit dans les deux tiers des cas d'une femme, âgée en moyenne de 65 ans. Son rôle présente un double intérêt. En premier lieu, l'aide informelle améliore incontestablement la qualité de vie du patient. Cette aide n'est pas sans limite et de nombreux travaux soulignent la fragilité de ce soutien. Les aidants apparaissent plus à même de développer une symptomatologie dépressive que la population du même âge. Ils sont plus souvent consommateurs de psychotropes. La qualité de vie du patient est influencée par l'état psychologique et physique de l'aidant.
« La maladie d'Alzheimer a modifié notre approche du malade et nous a conduits à considérer les aidants familiaux comme les victimes cachées de cette maladie. Les risques d'épuisement, de pathologies liées au stress sont importants. Le médecin du patient doit élargir sa prise en charge aux aidants. »
Autre avantage : l'aide informelle présente un intérêt économique certain. Mais le Dr Andrieu met en garde les pouvoirs publics. « Cette génération de femmes est en voie de disparition. Outre l'aspect démographique, les femmes aujourd'hui travaillent plus que leurs aînées. La nouvelle génération, qui a confié ses enfants aux crèches et gardes d'enfants, aura recours à un système de prise en charge extérieur à la famille pour ses parents. »
Le recours aux soins en situation extrême est le reflet des pratiques dans l'ensemble de la population. L'évolution des modes d'intervention face aux populations restreintes est source d'enseignement pour la prise en charge de la population générale qui rencontre, quoique de façon plus nuancée, le même type de difficultés, rappelle Pierre Chauvin, qui dirige l'équipe. Le travail mené auprès des personnes en situation précaire a remis en question l'idée préconçue que la santé serait une priorité dans la vie de tous les patients. Au-delà des ressources financières, les situations d'isolement, de rupture sociale, de traumatismes dans l'enfance ou de violences intrafamiliales, sont susceptibles d'avoir un impact négatif sur l'usage de soins.
La dernière partie du livre est consacrée à l'exposé des processus par lesquels l'environnement de résidence influe sur les comportements de santé des individus.
« Santé et expériences de soins ; de l'individu à l'environnement social », sous la direction de Pierre Chauvin et Isabelle Parizot, coédition Inserm-Vuibert, coll. Questions en santé publique.
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