GUERRE du Golfe, opérations sur le théâtre de l'ex-Yougoslavie, intervention en Afghanistan, guerre en Irak : autant d'opérations extérieures (OPEX) qui soumettent, ou ont soumis, les militaires à des risques nouveaux, avec de fortes répercussions psychologiques. «À la phase de rapide victoire des combats classiques ont succédé de grandes difficultés pour assurer dans la durée l'occupation et la sécurisation du terrain conquis, souligne, à l'occasion de la 3e Biennale de la recherche du service de santé des armées, le médecin en chef Patrick Clervoy (hôpital d'instruction des armées Sainte-Anne, Toulon). Il faut aborder une opération de conquête qui se termine comme ouvrant sur une nouvelle guerre. On mesure, après coup, la difficulté de penser cette “guerre après la guerre”, avec une armée structurée pour le combat classique, qui doit faire face à des actions de guérilla.»
Inutilité et impuissance. Revenant sur sa participation à des conférences de l'US Army Center for Health Promotion and Preventive Medicine et analysant la diversité des approches médicales au sein des armées de l'OTAN, le Pr Clervoy observe que, dans les armées occidentales, «les soldats sont confrontés à des actions dures de combat, où leur vie est directement menacée, parfois sur une période prolongée. Leurs camarades peuvent être touchés et tués. Préparés à faire face à un adversaire identifié et armé, les militaires ont du mal à se repérer en milieu urbain dans les opérations de police et de maintien de l'ordre. Pas de front, note le Pr Clervoy, pas d'arrière, pas de répit, pas de sanctuaire. À tout moment et de partout peut surgir une menace sous la forme d'une voiture piégée, d'une personne armée qui se dissimule dans la foule, d'un attentat-suicide. À Pristina, Abidjan ou Bagdad, les militaires sont mal préparés. Si la confrontation à l'horreur et à l'insoutenable constitue un facteur potentiellement traumatogène, l'ennui lors de déploiements prolongés, avec le sentiment délétère de l'inutilité et de l'impuissance face à la barbarie peut aussi être un nouveau facteur de souffrance psychologique».
Présenté lors de la 9e Conférence annuelle du soutien santé des forces de l'US Army, le recueil épidémiologique constitué à l'occasion de la démobilisation de chaque soldat fait état de 31 % de dépressions,de 21 % de PTSD (troubles psychiques posttraumatiques), de 4 % d'idéations suicidaires et de 3,6 % de cas de dépendance-abus d'alcool. Développée à l'époque de la guerre du Vietnam, la notion de PTSD fait aujourd'hui l'objet de discussions. Des traumatismes préexistants (EPTS) sont retrouvés dans 24 % des cas et des diagnostics sont portés sur des personnalités pathologiques, avec des carences affectives liées à l'enfance (12 %). Émerge par ailleurs une nouvelle entité clinique, la commotion cérébrale modérée. Consécutive aux chocs céphaliques et aux effets de souffle auxquels sont exposés les soldats, ces «blessures signatures», comme les appellent les médias, connaissent une réduction symptomatique plus rapide que les PTSD, après un traitement approprié.
Équipes antistress.
Pour prévenir tous ces risques, les militaires du rang reçoivent une formation ciblée. Ils sont le premier secours psychologique de leurs camarades (Battle Buddy), avec une formation sur la prévention du suicide et son dépistage chez le partenaire ; sur le terrain, des Combat Stress Teams sont montées, à raison d'une équipe par division, qui associent un psychiatre, un psychologue, un travailleur social, un infirmier psychiatrique et un aumônier ; un DVD d'information est distribué, « Battlemind Training », pour signaler les difficultés de retour à une vie civile ordinaire, après une mission. Malgré ces efforts, le Pr Clervoy souligne que seulement 25 % des soldats qui présentent des difficultés psychologiques reçoivent des soins appropriés. Sans doute en raison de la stigmatisation dont les troubles psychiques continuent de faire l'objet. Mais les moyens restent nettement insuffisants, tant en personnels qu'en structures de soins et en formation, déplore le Dr Charles W. Hoge (département de psychiatrie du Walter Reed Army Institute of Research). Avec parfois des initiatives surprenantes, tel le «papa plat» : l'US Army offre à chaque famille de militaire une photo en taille réelle du soldat en mission, histoire de réduire virtuellement l'éloignement.
Débats éthiques
Après la révélation des comportements déviants à la prison d'Abu-Ghraib, en mai 2004, les Américains ont été épouvantés de découvrir qu'eux aussi étaient concernés par la banalité du mal. Un suivi psychiatrique a été instauré, avec un hôpital de campagne déployé sur le site même de la prison. Doté d'une équipe d'hygiène mentale associant un psychiatre, des psychologues et plusieurs techniciens, cet établissement a prodigué des soins de haute technicité à des détenus en opposition avec leurs gardiens. L'attitude des psychiatres a consisté à ne pas médicaliser les attitudes d'hostilité et d'opposition lorsqu'elles ne menaçaient pas la vie du détenu. En cas de grève de la faim, il a été jugé éthique de procéder au nourrissage forcé des prisonniers.
Autre débat éthique délicat, la participation de psychiatres de l'US Army aux interrogations des prisonniers. Une mission discutée devant un comité national d'éthique, ainsi que devant l'Association américaine de psychiatrie. Les deux instances ont validé cette participation médicale dès lors que l'interrogatoire se déroulait dans de bonnes conditions de sécurité pour le détenu, qu'il suivait les règles du droit, que des informations précises en étaient escomptées.
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