Un entretien avec le Pr Serge Evrard*
Parmi les nouvelles approches thérapeutiques, le concept de vectorisation occupe une place prépondérante. Il existe en effet une inadéquation entre l'importance du développement tumoral et le pouvoir discriminant de l'il du chirurgien : un gramme de tissu, correspondant à la limite de la visibilité, représente déjà 109 cellules. D'où l'intérêt d'accroître cette visibilité grâce à divers procédés comme les colorants vitaux, permettant une imagerie photodynamique, des radio-isotopes à l'origine de la chirurgie radio-immunoguidée, des anticorps monoclonaux ou encore de marqueurs métaboliques. Si la technique de vectorisation actuellement la plus répandue est celle du ganglion sentinelle, il existe de nombreuses autres perspectives particulièrement attendues dans ce domaine. Ainsi, la mise au point d'anticorps anti-ACE totalement humanisés, à laquelle travaille Schneebaum, de Tel-Aviv, permettra vraisemblablement de faire un grand pas en chirurgie radio-immunoguidée. Ce concept de vectorisation est par ailleurs décliné à l'imagerie, puisque l'introduction du PET-scan pourrait faire envisager, même s'il ne s'agit actuellement que d'une voie de recherche, la possibilité d'une imagerie peropératoire métabolique.
L'ablation tissulaire réalise sans doute une autre révolution thérapeutique puisqu'elle se démarque radicalement du principe de la chirurgie oncologique classique, à savoir une résection monobloc avec respect de marges saines très larges. Il s'agit de fait de détruire des lésions tissulaires in situ en s'affranchissant des contraintes anatomiques conditionnant la réalisation d'une intervention classique. Cette ablation, mini-invasive, et donc moins délétère pour les tissus sains que la chirurgie classique, est permise par l'injection de produits chimiques comme l'acide acétique ou l'alcool, mais aussi par le froid (cryothérapie), les ultrasons ou l'emploi de radiofréquences. Dans ce dernier cas, il s'agit de produire un échauffement local grâce à l'administration d'un courant alternatif. Plusieurs équipes travaillent aujourd'hui sur ce nouveau concept particulièrement étudié dans les lésions hépatiques, mais qui pourrait s'appliquer à d'autres organes tels le poumon, le rein et le sein. Si la démonstration d'une efficacité aussi importante que celle de la résection, au prix de complications moindres, peut être apportée, l'ablathérapie pourrait alors représenter une nouvelle option thérapeutique pour les petites lésions, en particulier juxtavasculaires, lorsque celles-ci sont une contre-indication aux interventions classiques. Mais il existe encore bien d'autres pistes dans ce domaine. L'avenir pourrait notamment être celui d'une ablation non thermique, telle l'ablation électrolytique testée par Guy Maddern (Adelaïde, Australie) provoquant une destruction tissulaire grâce à la création d'un champ électromagnétique, mais sans augmentation de la température locale susceptible de léser les tissus avoisinants. La chimiothérapie hyperthermique locorégionale est en revanche une approche beaucoup plus lourde, à la morbidité importante, utilisée dans les carcinomatoses. Il s'agit notamment de combiner les effets de la chimiothérapie à ceux de l'hyperthermie dans le but de compléter les bénéfices de la chirurgie : après résection, les viscères sont plongés, à ventre ouvert, dans un « bain » de chimiothérapie chauffé à 42-43 °C. La perfusion de membres isolés constitue une approche similaire permettant la délivrance de produits hautement toxiques par voie systémique comme le TNF-alpha et ainsi d'accroître les possibilités de sauvegarder le membre. Cette même technique de membre isolé, perfusé, a également été étudiée, chez l'animal, pour réaliser une thérapie génique. Il est ainsi probable que, dans l'attente de la mise au point de vecteurs suffisamment performants permettant une thérapie génique par voie générale, le recours à la technique d'organe perfusé exclu constituera, au moins, une étape intermédiaire que l'on sait d'ores et déjà pouvoir être appliquée à de nombreux organes (foie, rein, poumon, etc.), et même au pelvis.
Enfin, il faut citer la télémanipulation, certes employée en clioscopie, mais qui le sera peut-être, à terme, aussi en chirurgie ouverte, qui permet d'optimiser le geste chirurgical en augmentant son degré de liberté, sa reproductibilité et sa sécurité. S'y ajoute une vision tridimensionnelle sur laquelle on imagine pouvoir bientôt superposer une réalité reconstituée (scanner ou IRM).
*Institut bergonié, Bordeaux.
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