Le vote du premier tour ne traduit pas simplement une bouffée d'exaspération de l'électorat. Il modifie la carte électorale de la France. Il affaiblit non seulement la gauche, mais la droite classique. Il représente, sinon pour le second tour de la présidentielle, mais sûrement pour les élections législatives, un casse-tête pour ceux qui vont essayer de faire émerger une majorité parlementaire.
La riposte des partis démocratiques a été unanimement positive. La gauche votera Chirac et Chirac rejette tout compromis avec Jean-Marie Le Pen. Le président choisit donc la voie étroite, car, s'il refuse tout compromis avec le Front national, comme il semble s'y être engagé, il court le risque de se retrouver avec une assemblée majoritairement à gauche. C'est le prix, peut-être coûteux, mais à payer pour préserver la démocratie.
La gauche blessée
Il n'est pas question pour nous de dicter leur choix à nos lecteurs, sauf peut-être pour le second tour de la présidentielle. Jamais la gauche ne nous a paru plus digne et plus respectable que dans son attitude après sa défaite. En même temps, il apparaît clairement, dans les résultats électoraux, que la gauche dite plurielle a souffert du report d'une partie de ses électeurs vers le Front national mais aussi d'une poussée de la gauche trotskiste. Le phénomène traduit une contradiction dans le comportement de l'électorat de gauche. Il a exprimé son mécontentement, mais il ne dit pas s'il trouve la gestion des affaires par Lionel Jospin trop « sociale » ou insuffisamment sociale. Bien entendu, personne ne sera surpris de la confusion qui règne dans les esprits : le premier tour a été celui de toutes les « folies », en partie à cause de la multiplicité des candidatures et en partie aussi à cause d'une grogne qui reflète souvent une détresse, mais exprime parfois le plaisir d'envoyer paître tout ce qui est institutionnel dans le pays.
Ne nous y trompons pas : quelles que soient les motivations des électeurs, ceux qui ont contribué à la défaite de Lionel Jospin sont gagnés par la tentation anarchiste, anti-électorale, anti-institutionnelle. La responsabilité du candidat Chirac et celle de tous les candidats aux législatives appartenant à la droite et à la gauche parlementaires consiste donc à les ramener dans le giron de la démocratie, ou plutôt de faire triompher les institutions actuelles, en dépit de leurs défauts flagrants. Il sera toujours temps, après les législatives, de réfléchir sur le thème de VIe République, et sur les nombreuses réformes dont le pays a un urgent besoin. La première bataille, c'est la préservation de la démocratie.
Contrebalancer un éventuel triomphe de Chirac ?
Comme il est généralement admis que Jacques Chirac sera élu à une très forte majorité, la question se pose pour la gauche, malgré son durable affaiblissement, de savoir s'il n'est pas de son devoir de contrebalancer un éventuel triomphe du président candidat par une majorité de gauche à l'Assemblée. Et si ce n'est pas son devoir, c'est sûrement sa volonté.
D'une part, elle est désormais bien mal armée pour réaliser son objectif : elle ne sort pas du premier tour dans une forme éblouissante ; d'autre part, et même si les électeurs de gauche ne sont nullement disposés à rejoindre la droite, d'autant qu'ils souhaitent réparer l'erreur que nombre d'entre eux ont commise en ne votant pas Jospin au premier tour, on est en droit de se demander si le pays n'a pas besoin, après le coup terrible qu'il vient de subir, de retrouver sa stabilité politique.
C'est une question de conscience personnelle. L'électorat de gauche, qui votera massivement pour Chirac le 5 mai, ne souhaitera sans doute pas prolonger ce vote en favorisant une majorité parlementaire de droite. Tout ce que l'on peut dire, c'est que les efforts de regroupement amorcés depuis lundi par les deux grands courants politiques sont de bon augure. L'idée, qui se répand partout, d'une candidature unique pour la droite et pour la gauche dans chacune des circonscriptions électorales nous semble excellente.
A droite, François Bayrou et Alain Madelin ont craint lundi que le danger lepéniste ne conduise M. Chirac à exiger la création d'un parti unique de la droite. On semble plutôt s'orienter vers une fédération des droites qui favoriserait les désistements tactiques sans porter atteinte aux courants incarnés par l'UDF et Démocratie libérale.
La gauche, sonnée, n'en est pas encore là. Mais le Parti communiste, les radicaux de gauche, le Pôle républicain et, à un moindre degré, les Verts mesurent aujourd'hui le prix que leur prétention à défier le Parti socialiste a coûté à la gauche dans son ensemble et, au-delà, à la France. La prétention du communisme de bazar, branché et rappeur, qui essuie sa plus grave défaite de l'histoire, celle du « troisième homme » qui n'aura été que sixième, celle de Noël Mamère, investi par un parti qui en avait choisi un autre, puis a changé d'idée, celle de Mme Taubira, dont les 2 % auraient fait passer Jospin devant Le Pen.
Ils ne peuvent réparer les dégâts que s'ils consentent enfin à mettre un terme, au moins provisoirement, au conflit de tendances qui les a tellement absorbés qu'ils n'ont pas vu venir la catastrophe. D'une manière ou d'une autre, c'est pour eux, aujourd'hui, un impératif catégorique de trouver une forme d'unité et d'atténuer ainsi le mal qu'ils ont fait.
La réélection de Jacques Chirac exprimera l'hostilité d'une immense majorité de Français au Front national et à ce qu'il représente.
Le FN se nourrit de la misère
Cependant, d'une part, nul n'a le droit de condamner ou de ridiculiser ceux qui ont accordé leurs voix à Le Pen : après tout, ils n'ont fait qu'exercer le droit dont nous bénéficions tous. Il ne faut pas, au nom du combat contre l'extrême droite, les rejeter ou les ignorer. Droite ou gauche, cohabitation ou non, il faut répondre à leurs revendications. Il faut cesser de considérer l'insécurité comme un problème transitoire, cesser de s'enorgueillir des emplois créés et se souvenir qu'il y a encore plus de deux millions de chômeurs : le Front national ne se nourrit que de la misère, de cette cassure entre une population qui gagne sa vie en travaillant 35 heures et une autre qui est exclue parce qu'elle ne travaille pas. Il faut réformer l'Etat et la Fonction publique et ne plus prendre de gants avec les corporatismes et les bastions où s'accumulent les avantages acquis pendant que d'autres n'ont aucun avantage. Il faut décentraliser un pays aux ordres de Paris et accorder aux collectivités locales la gestion de leur budget, comme le réclame avec insistance le maire de Valenciennes, Jean-Louis Borloo, qui mérite un poste ministériel.
Démystifier Le Pen
Il faut enfin démystifier Le Pen. Il est clair que les gouvernements ont laissé aux médias le soin de le faire, mais les médias n'ont pas plus de crédibilité que les gouvernements. Le Pen, c'est la répression pure et simple de toutes les expressions de singularité ; Le Pen, c'est le racisme, et la poignée de Français de confession juive qui ont voté pour lui sont des imbéciles ; Le Pen, qui exalte Jeanne d'Arc, nous ramènerait au temps de Jeanne d'Arc. Le Pen est un danger mortel pour la République et la démocratie.
Nos divisions entre gauche et droite, entre étatistes et libéraux, entre plus ou moins d'impôts, entre pro-européens et anti-européens relèvent toutes du débat politique tel qu'il doit exister dans une démocratie parlementaire. Elles ne nous empêchent pas du tout de nous dresser comme un seul homme contre le néofascisme et nous débarrasser de lui, avant de reprendre le débat là où nous l'avons laissé.
De même, ne sous-estimons pas les ravages que le discours d'extrême gauche a faits en France. Lutter contre le Front national, ce n'est pas rejoindre son symétrique totalitaire. S'émouvoir pour la fragilité apparente de Mme Laguiller, la plus féroce des polémistes, ou pour l'allure juvénile de ce brave Olivier Besancenot, dangereusement incompétent, c'est risquer une régression économique et politique sans précédent dans l'histoire de France.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature