C’est une inégalité de naissance, colporte la rumeur, qui fait que les dyptères nous aiment, ou ne nous aiment pas. Une histoire de peau. Lors d’un déjeuner sur l’herbe, l’un des convives se fait dévorer tandis que les autres échappent aux piqûres. Comme le confirme l’entomologiste américain Jerry Butler, « les moustiques ont des préférences, dans tout groupe de dix personnes, une d’entre elles fera office d’aimant pour ces petites bêtes ».
Serait-ce donc le type de peau qui « aimanterait » ainsi les dyptères ? On évoque les peaux sucrées, les peaux qui dégagent des odeurs perçues de loin par l’agresseur. De fait, les entomologistes ont dénombré pas moins de 340 odeurs différentes perçues par l’odorat ultra performant du moustique.
Des olfactomètres (appareils qui mesurent la concentration des odeurs) ont détecté une nette préférence pour les personnes qui présentent une forte concentration de cholestérol ou de stéroïdes à la surface de la peau. Ils ont constaté également une attirance pour les peaux qui dégagent des effluves acides, tels que l’acide urique, mais aussi les odeurs ammoniaquées de la sueur – ce qui confirme l’intérêt des moustiques pour les personnes qui produisent des efforts, sportifs et travailleurs manuels au soleil.
L’expression de « peaux à moustiques » reflète donc bien une réalité, mais ce sont les bactéries de la peau qui attireraient particulièrement les moustiques et non le type de peau proprement-dit, même si, selon Jean-Sébastien Dehecq, entomologiste à l’ARS (agence régionale de santé) de l’Océan indien, « l’épaisseur de la peau entre sans doute en ligne de compte. On le voit avec les touristes qui se font matraqués quand ils arrivent à la Réunion, sans doute parce que leur peau est trop fine par manque de soleil ».
Sur 48 volontaires dont la communauté bactérienne de l’épiderme a été étudiée, les 9 qui ont été tout particulièrement piqués par l’anophèle gambiae (un des principaux vecteurs du paludisme) portaient une très grande quantité de bactéries, en particulier des Leptotrichia sp., Delftia sp. Et Actinobacteria Gp3 sp, aux composés volatiles et attractifs. En revanche, chez les sept volontaires qui n’ont quasiment pas été piqués, on a relevé surtout des Variovorax sp. Et des Pseudomanas sp. Ce repérage bactériologique ouvre des pistes pour piéger le vecteur du paludisme (PLoS ONE, 28 décembre 2011).
Une étude dirigée en 2013 par l’IRD de Montpellier a montré que les personnes qui ont bu de la bière augmentent leur risque d’être piquées de 15 %. L’enquête a été menée au Burkina Faso, où les chercheurs ont comparé le comportement de l’anophèle gambiae en présence de deux groupes témoins : des buveurs d’eau et des volontaires qui avaient consommé de la bière locale. (PLoS ONE 5(3): e9546.)
Dr Pascal Delaunay, entomologiste et parasitologue, spécialiste des arboviroses au CHU de Nice
« Plus que des peaux à moustiques, ce sont les sensibilités aux piqûres de moustiques qui doivent être tout d’abord prises en considération. Plus qu’une allergie, c’est cette sensibilité qui fera dire à un travailleur agricole qu’il n’a pas été piqué, alors qu’on relèvera sur lui une dizaine de piqûres de moustiques tigres ; inversement, un enfant piqué une seule fois sur le visage pourra présenter une réaction sévère.
Quant aux préférences des moustiques pour aller piquer quelqu’un plus qu’un autre, leurs mécanismes sont connus : les moustiques sont guidés par le flux de CO2 qu’ils détectent par infra-rouge. Ce qui explique qu’une personne accomplissant un effort physique est ciblé en priorité ; ils détectent aussi l’épaisseur de la peau, la vitesse du pouls, les éléments d’acide lactique ainsi que l’acidification de la peau, par exemple chez les consommateurs de bière.
Ces divers facteurs d’attirance s’observent pour toutes les espèces de moustiques, mais nous sommes incapables de les gérer concrètement. Même s’il y a des publications intéressantes, nous restons dans le ressenti et le flou artistique. Nous ne sommes pas prêts à lancer des campagnes de sensibilisation sur les facteurs humains de vulnérabilité, la consommation de bières ou autres.
La lutte contre les moustiques restera donc axée sur les règles environnementales basiques comme la chasse aux bidons d’eau, le recours au répulsifs, ainsi que divers conseils : porter des vêtements blancs plutôt que noirs, en raison des capteurs infra-rouges des moustiques qui repèrent moins bien le blanc. »
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature