PARMI LES PERSONNES qui découvrent leur séropositivité en France, près de 40 % sont étrangères, la plupart (30 %) originaires d'Afrique subsaharienne. Or les migrants, au nombre de 5 millions, représentent 8 % de la population.
C'est à partir de la fin des années 1990, avec l'accroissement des flux migratoires, qu'émerge un nouveau profil épidémiologique de l'épidémie. Dans la cohorte hospitalière sur le VIH de Dominique Costagliola, ouverte en 1992, la proportion de personnes originaires d'Afrique subsaharienne passe de 4 % à 23 % entre 1993 et 2005. «Aujourd'hui, on parle assez facilement des migrants parmi les patients infectés par le VIH, cela n'a pas toujours été le cas», souligne le Dr Caroline Semaille (Institut de veille sanitaire), l'un des intervenants de la journée « VIH et spécificités culturelles », organisée par les Laboratoires Abbott dans le cadre de ses journées thématiques autour de la qualité de vie des patients.
En parler ou pas ?
Le premier rapport sur la situation du sida parmi les migrants est publié en 1999. «En 2002, l'étude réalisée sur le parcours socio-médical des personnes originaires d'Afrique subsaharienne n'a pas été simple à mettre en place en raison du risque de stigmatisation», se souvient l'épidémiologiste. En parler ou ne pas en parler ? Soupeser les mots sans stigmatiser, l'exercice est difficile mais nécessaire, compte tenu de l'enjeu : trouver les financements publics indispensables. Depuis 2001, les données par nationalité sont publiées dans le « Bulletin épidémiologique hebdomadaire » et les premières campagnes ciblées dans la communauté africaine ont démarré en 2002.
Les femmes migrantes, la plupart originaires d'Afrique subsaharienne, sont plus touchées que les hommes et découvrent souvent leur séropositivité au moment d'une grossesse (20 % des cas). L'incidence de la maladie est de 500 découvertes pour 100 000 femmes africaines vivant en France (contre 2 pour 100 000 pour les femmes françaises), alors qu'elle est de 300 pour les hommes. Des chiffres qui reflètent en grande partie les prévalences dans les pays d'origine mais pas seulement. Huit pour cent se sont contaminés dans les six derniers mois et près d'un migrant sur cinq est porteur d'un sous-type B, le sous-type le plus fréquent en Europe (en Afrique, c'est le non B).
Les découvertes tardives de séropositivité persistent. Toutefois, selon une enquête de l'INPES (Institut national de prévention et d'éducation pour la santé), 63 % des migrants originaires d'Afrique s'étaient fait dépister au moins une fois dans leur vie (51 % dans la population française). Cela montre «que la culture du dépistage n'est pas négligeable dans cette population», souligne le Dr Semaille.
Particularités socio-culturelles.
Certaines spécificités culturelles ont-elles un impact particulier sur la prise en charge ? Le Pr Sophie Matheron, chef du service des maladies infectieuses et tropicales à l'hôpital Bichat, récuse le terme : «Pourquoi parler de spécificités? L'évolution de la maladie est la même, quelle que soit l'origine géographique. Les moyens diagnostiques et thérapeutiques sont identiques.» La spécialiste préfère parler de particularités socio-culturelles : une infection plutôt féminine, une précarité plus grande avec des patients peu scolarisés qui, pour beaucoup, ont des problèmes de logement, vivent moins souvent en couple et ont plus souvent des enfants que les autres patients.
Certaines particularités doivent bien sûr être prises en compte, en particulier celles qui ont trait à la représentation de la maladie, à la stigmatisation, qui rend plus difficile le partage du diagnostic avec l'entourage surtout pour les femmes. Mais, somme toute, les prendre en compte relève de la pratique médicale : une prise en charge centrée sur les personnes et non sur la pathologie, sur l'individu et non le groupe et qui privilégie «l'écoute, le dialogue, l'explication et le raisonnement» pour s'assurer que le patient a bien compris.
Même la barrière de la langue n'en est pas une : «Je suis surprise du nombre de fois où j'ai pu entendre des étudiants affirmer qu'un patient ne parlait pas français pour constater en l'interrogeant que ce dernier parvenait parfaitement à se faire comprendre.» Quant à envisager le recours à des structures spécifiques avec du personnel dédié, la praticienne met en garde contre le risque de «ghetto».
> Dr L. A.
Des recommandations pour les Antilles
Après la Guyane, le Conseil national du sida (CNS) publie des recommandations sur la lutte contre l'épidémie aux Antilles. La Caraïbe est la deuxième région la plus touchée au monde, après l'Afrique subsaharienne. La transmission hétérosexuelle y est majoritaire et la part due aux injections intraveineuses de drogue est infime. Le premier frein à la lutte contre le VIH reste la stigmatisation et la discrimination, qui, selon le CNS, «n'ont jamais fait l'objet d'une réponse à la hauteur des problèmes qu'elles posent».
Dans un contexte social fragile, la situation des personnes séropositives est marquée par une grande précarité. Parmi les personnes suivies (800 en Martinique, 1 061 en Guadeloupe et 339 à Saint-Martin en 2006), la part des étrangers est importante, les Haïtiens étant les plus représentés. La proportion des plus de 50 ans est aussi notable : 37 % de la file active en Guadeloupe et en Martinique, 22 % à Saint-Martin. Les données du dépistage sont révélatrices de l'inadéquation des messages et actions de prévention. Le taux de dépistage est supérieur à la moyenne nationale : en Guadeloupe, par exemple, il est de 136 %, contre 109 % en Île-de-France, avec un taux de sérologie positive de 861 pour un million contre 492. Pourtant, le nombre de ceux qui découvrent tardivement leur infection est élevé (30 % des patients en 2006 en Guadeloupe). L'offre de dépistage n'est pas non plus ajustée. Le CNS préconise le développement des tests rapides et la proposition plus systématique du dépistage lors d'un contact avec le système de santé.
Parmi les autres recommandations, la mobilisation des acteurs politiques. Selon le CNS, le ministère en charge de l'Outre-mer devrait assurer, aux côtés du ministère de la Santé, la coordination des actions de lutte contre le VIH.
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