LE TEMPS DE LA MEDECINE
Si la préoccupation pour l'animal est aussi ancienne que l'expérimentation, ce n'est qu'en 1937 que naît en Angleterre, avec la création de l'UFAW (Fédération universitaire pour la protection animale), un mouvement qui énoncera clairement son objectif : puisque l'expérimentation animale est indispensable, autant faire en sorte qu'elle soit réalisée le plus correctement possible. De ce mouvement naîtra la règle des 3R formulée en 1959 par Russel et Burch, dans une publication intitulée « Principles of Experimental Technique », qui formule les stratégies à mettre en uvre pour réduire l'utilisation des animaux : « Replacement, Reduction, Refinement ».
« Cette règle qui était une règle de bon sens est restée lettre morte pendant près de quarante ans », explique au « Quotidien » Chantal Autissier, vice-présidente de l'association Opal*, qui organise, le 14 octobre, un colloque sur le thème : « Remplacer l'animal de laboratoire ? Réalités et perspectives».
Des progrès pensés pour l'homme
Dans les années 1980, le mouvement pour une éthique animale redonne de la vigueur à la règle des 3R qui suggère, au moins pour deux de ces termes, un développement des méthodes alternatives : remplacer, par des espèces moins évoluées ou par des modèles non vivants ; réduire le nombre d'animaux utilisés chaque fois que cela est possible, en particulier lorsqu'il existe des méthodes in vitro. Pourtant, assure Chantal Autissier, « la motivation éthique des chercheurs pour le développement de méthodes in vitro , bien que réelle, ne survient qu'a posteriori ».
En effet, ce sont les progrès scientifiques dans différents domaines de la biochimie, de la biologie cellulaire et moléculaire, mais aussi de l'imagerie médicale ou de l'informatique qui ont permis le développement des méthodes alternatives . Or « ces progrès ont d'abord été pensés pour l'homme, même s'ils bénéficient après coup à l'animal. Les scientifiques ont d'abord le souci de mettre au point le meilleur outil possible pour rendre la recherche plus efficace et plus précise ».
Les méthodes alternatives sont utilisées dans la recherche fondamentale, mais aussi dans l'industrie pour la mise au point de nouvelles substances. Schématiquement, avant la phase de développement clinique, deux étapes peuvent être distinguées : la recherche d'efficacité qui consiste à sélectionner les substances les plus intéressantes parmi de multiples entités chimiques à tester (screening). Seulement deux ou trois substances sur cent mille que l'on teste seront candidates pour un développement ultérieur. Cette phase bénéficie de l'apport des systèmes biologiques in vitro. « Mais on ne peut faire l'économie d'une recherche d'efficacité sur un modèle animal, même avant les études de sécurité (toxicologie) qui constituent la deuxième étape du développement », précise Chantal Autissier.
En toxicologie, à part quelques exceptions, peu de méthodes alternatives existent : « Les études sont réglementairement obligatoires sur l'animal. »
Les méthodes in vitro sont rarement substitutives, ne nécessitant pas du tout le recours à l'animal, la plupart permettent d'économiser ou de retarder le recours à l'animal. Elles appartiennent à six grandes catégories selon la technologie employée : le recours aux structures cellulaires ou subcellulaires, tissulaires et aux organes isolés ; l'utilisation d'organismes moins évolués (invertébrés, plantes ou micro-organismes) ou de cellules souches embryonnaires ; les méthodes de bio-informatique structurale et le criblage in silico ; la mise en commun de l'information ; le recours à l'imagerie médicale.
Si le recours à l'organe isolé est ancien (la technique du cur isolé de lapin Lagendorf a plus d'un siècle), le développement de la biologie cellulaire permet maintenant de travailler sur des cellules isolées (hépatocytes qui gardent leur efficacité fonctionnelle in vitro et peuvent être utilisés pour des tests de toxicité hépatique) ou sur des fragments subcellulaires (récepteurs membranaires, microsomes). Les lignées cellulaires et les cellules souches embryonnaires présentent l'avantage de pouvoir être conservées et stockées plus longtemps. Les cellules souches embryonnaires peuvent se différencier en différents tissus ou être utilisées pour la mise au point d'animaux transgéniques. Ces techniques, si elles offrent des avantages indéniables, conduisent à une simplification des systèmes biologiques qui n'est pas représentative de ce qui se passe in vivo.
Des modèles de cellules tumorales en 3D permettent aujourd'hui de visualiser sur écran le déplacement de ces cellules : « L'idée est d'aboutir à de nouveaux concepts d'anticancéreux capables de bloquer les métastases en empêchant la cellule de se déplacer. »
Criblage in silico
La bio-informatique et le criblage in silico ouvrent une nouvelle voie de recherche. Grâce aux nouvelles infrastructures informatiques, les hypothèses sur les fonctions et le rôle des gènes sont de plus en plus issus de l'analyse in silico, c'est-à-dire entièrement réalisée sur ordinateur, et permettent de commencer une expérimentation biologique en laboratoire. De même, l'optimisation et le partage des bases de données, encouragés au niveau européen, auraient un double avantage : ils permettraient d'économiser des manipulations déjà effectuées sur l'animal et mettraient presque à disposition une intelligence artificielle rendant possible une expérimentation virtuelle et la mise au point de concepts susceptibles d'être développés.
Enfin, les techniques d'imagerie médicale non invasives, comme l'IRM, permettent également d'épargner l'animal et sont considérées comme des méthodes alternatives. Elles permettent de suivre, par exemple, l'évolution et l'effet d'un nouveau médicament sur une lésion donnée sans sacrifier à chaque temps de l'observation un groupe d'animaux.
Toutes ces avancées se sont déjà traduites par une meilleure utilisation de l'animal, d'autres sont attendues. Cependant, les scientifiques semblent partager l'avis de Georges Chapouthier, chercheur au CNRS (pharmacologie du comportement de la souris), philosophe et auteur d'un « Que sais-je ? » sur les droits de l'animal : « Les modèles animaux sont utiles et même indispensables. Si l'on veut maintenir une activité de recherche médicale et pharmacologique, l'expérimentation animale n'est pas remplaçable et ne le sera pas dans un avenir lointain. »
* Tél. 01.47.53.09.12.
Tests in vitro en Europe
Au niveau européen, l'ECVAM (Centre européen de validation des méthodes alternatives), créé en 1991, est chargé de la validation des méthodes alternatives. Subventionné par des fonds communautaires, il est également chargé du système d'information sur les méthodes in vitro. Chaque méthode validée devient réglementairement obligatoire. Mais les procédures de validation sont longues et contraignantes et nécessitent la comparaison des résultats d'un grand nombre de laboratoires. Peu de tests ont aujourd'hui été validés et bénéficient surtout à la recherche en cosmétologie (tests de toxicité in vitro).
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