Le Temps de la Médecine
GERARD BERTOLINI, économiste et directeur du Cnrs (laboratoire d'analyse des systèmes de santé, université de Lyon) dans un article du « Courrier de l'environnement »* où il tente de démêler les liens entre santé et environnement, dresse un portrait de l'Hygie moderne. Poussée jusqu'à la caricature, elle prendrait les traits d'une femme « obnubilée par la propreté du corps et du domicile, une maniaque du frotte-astique... grosse consommatrice d'eau, de savon, d'eau de Javel ou autres produits désinfectants, de brosses et de gants jetables ». Dans la gestion des déchets, elle veut bien « participer aux collectes sélectives de matériaux "propres et secs" (emballages et journaux-magazines), mais elle est très réticente vis-à-vis des collectes sélectives de matières organiques fermentescibles, et en particulier des résidus de cuisine ; car il faut les stocker, et elle redoute les odeurs, les mouches et autres insectes, voire les rongeurs, ainsi que "les germes pathogènes" . » Quoi qu'il en soit, précise-t-il, « le déchet, sous différentes formes, est devenu phobique, qu'il s'agisse du toucher, de l'odorat ou de la vue : on l'éloigne ou on s'éloigne promptement ».
Des deux filles d'Esculape, Hygie est celle qui est chargée d'enseigner la manière dont les hommes doivent conduire leur vie pour se maintenir en bonne santé. La prévention est son domaine, contrairement à Panacée, sa sœur, qui utilise des remèdes pour soigner. Depuis son origine grecque jusqu'à sa caricature moderne, modelée par la révolution pastorienne et l'avènement de la microbiologie, elle a revêtu de multiples figures qui, toutes rendent compte d'une certaine perception du propre et du sale. Car l'histoire des pratiques de propreté ne peut faire l'économie d'une histoire des représentations du corps et de ses enveloppes.<\!p>
Logique du cloisonnement.
Ce qui caractérise la propreté à l'âge classique est la limite imposée à l'usage de l'eau. Les grandes épidémies de peste du Moyen Age rendent le bain et l'étuve dangereux car ils ouvrent le corps à l'air infecté. « Après qu'on en est sorti, la chair et l'habitude du corps en est ramollie et les pores ouverts et, partant, la vapeur pestiférée peut entrer promptement dedans le corps et faire mourir subitement », explique Ambroise Paré.
Les siècles suivants héritent de cette logique du cloisonnement. L'individu cherche à se protéger de l'air et de l'eau. L'attention sera surtout porté aux vêtements, choisis avec soin : satin ou taffetas, par exemple, « qui ne montrent point le poil et sont si lisses et serrés que malaisément le mauvais air et quelque infection que ce soit » ne peuvent s'y attacher et entrer. La toilette, nécessaire pour effacer certaines odeurs du corps, telle « cette puanteur des aisselles qui sentent le bouquin », sera sèche : il suffit de frictionner la peau avec du linge parfumé et d'utiliser le moins d'eau possible. Celle-ci est réservée au nettoiement de la bouche et des mains, mais garde un usage thérapeutique. C'est le linge qui lave. La sensation de sueur est le signe qu'il faut changer de vêtement. Ce dernier, surtout s'il est de couleur blanche, devient un signe de distinction. La société de cour privilégiera l'apparence, le fard, la poudre, les tenues, le spectacle. Saint-Simon, lorsqu'il voudra décrire Mme de Maintenon, la présentera comme une femme à la mise « noble et propre ». La propreté « ne saurait, à cet égard,<\!p>exister pour les plus pauvres », ajoutera Georges Vigarello**. Le parfum, s'il remédie à l'odeur corporelle, est censé avoir un effet purificateur sur les effluves fétides du dehors (eaux usées, voire excréments).
Une nécessité médicale.
Le dernier tiers du XVIIIe siècle marque une rupture : la crasse devient suspecte. Les artifices (fards et poudres) sont accusés de favoriser l'obstruction des pores et d'empêcher la peau de respirer. On prône plus de naturel. Les bains apparaissent de nouveau, ainsi que la « chaise de propreté » (bidet), inaugurant une pratique plus intime de la toilette. Surtout, « la propreté appartient maintenant au manuel du médecin, bien plus qu'au manuel de civilité », analyse Georges Vigarello. Elle devient une connotation de la santé. Les médecins luttent contre une certaine fatalité ambiante et se donnent pour objectif de prolonger « la durée de vie ». Pour cela, ils recensent les lieux d'accumulation des déchets et des immondices, les cloaques qui sont responsables de l'entretien des maux. L'accent est donc mis sur les propretés populaires et la salubrité publique. Les pratiques et les négligences du peuple sont dénoncées jusqu'au sein de leur espace privé : « Quand je tirais les bras des malades de dessous les couvertures, l'air qui sortait du lit faisait soulever le cœur et lorsque je voulais m'assurer de l'état de la langue (...) il en revenait des bouffées d'haleine qui auraient abattu un cheval », raconte un médecin. Il s'agit alors d'ouvrir les espaces, de faire circuler air, eau et lumière. Le médecin participe à la redistribution de l'espace : aménagement des villes et des lieux publics.
Hygiène publique et hygiène du corps.
Au XIXe siècle apparaît le mot hygiène. Une chaire d'hygiène est créée à la faculté de médecine de Paris. En parallèle à l'hygiène publique, l'hygiène du corps prend son essor. L'instrument de propreté par excellence devient le savon et la malpropreté est perçue comme la pourvoyeuse de tous les vices. Mais il faudra attendre Pasteur pour que s'ouvre l'univers bactériologique. A bien des égards, les certitudes s'effondrent. Car le danger existe en dehors de toute crasse et la seule perception ne permet plus de déceler le sale, cet ennemi invisible. La propreté consiste à écarter les microbes : il faut laver systématiquement ce qui ne se voit pas. L'asepsie des hygiénistes est érigée en morale, allant toujours plus profondément au cœur de l'intime.
L'Hygie d'aujourd'hui est l'héritière de celle du XIXe siècle, mais elle est loin du seul utilitarisme hygiéniste. La propreté, obligation morale, est devenue une nécessité sociale avant de se transformer en plaisir. En trente ans, les dépenses d'hygiène et de beauté ont doublé. Souci de soi et exigence pour soi, notamment quand survient l'infection inattendue, l'infection nosocomiale. Cependant, note Didier Sicard, réagissant à la vague de procès faits aux hôpitaux (Horizon/débats du « Monde » du 29 janvier), « Chacun oublie que tout être humain est un zoo ambulant de microbes, et heureusement car sinon nous ne pourrions pas vivre. Nous vivons en équilibre avec eux. Notre gorge, notre intestin, nos organes génitaux, notre peau, nos cheveux, nos poils sont sans cesse habités par des microbes. » Inoffensifs chez un sujet en bonne santé, ils sont dangereux chez un sujet affaibli. <\!p>
* N° 49, juin 2003.
** « Le Propre et le Sale, l'hygiène du corps depuis le Moyen Age », éditions du Seuil, 1985.
Du pot de chambre aux toilettes
. Le pot de chambre apparaît chez les Romains, mais c'est la nature qui accueille les excréments humains. En ville, c'est le seau, la rue ou la rivière.
. Les châteaux médiévaux et les monastères s'équipent des premières necessaria, mais la disparition des forteresses au XIVe siècle supprime les latrines des habitations. La chaise percée fait son apparition, à l'usage souvent des puissants. Et c'est le XVIe siècle qui popularisera le pot de chambre en faïence. Si la chaise percée est à la mode au XVIIe siècle, les gens du peuple utilisent toujours la rue comme latrines publiques. A la cour, on se soulage n'importe où, dans les jardins, mais aussi dans les appartements : cheminées ou angles des murs.
. Au XVIIIe siècle, le porteur d'aisances ambulantes, affublé d'un grand manteau et d'un seau, offre un peu d'intimité aux passants qui souhaitent se soulager. Les premiers water-closets sont mis au point en Angleterre en 1769, mais ne s'imposeront que très lentement.
. Les premières vespasiennes sont installées en 1839 et ne sont destinées qu'aux hommes. Les femmes attendront le début du XXe siècle : leurs jupes et jupons protègent encore leur intimité lorsqu'elles s'épanchent dans la rue.
Ce n'est qu'en 1880 que les hygiénistes recommandent les WC modernes qui vont s'imposer dans les années 1930.
D'après l'encyclopédie Encarta.
L'origine de l'OMS
L'OMS (Organisation mondiale de la santé), qui naît en 1946, est issue de l'ancien Office international d'hygiène publique qui s'est installé à Paris en 1907. Organisme qui est lui-même l'aboutissement des premières conférences internationales sur hygiène du XIXe siècle.
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