LE Dr FREDERIC ROUHANI EST médecin généraliste français. En juin 2007, attiré par une offre d'emploi émise par l'hôpital franco-émirien d'Abu Dhabi dans le golfe Persique, il se rend sur place pour en rencontrer le patron, le Dr Chawki Mounayer. Frédéric Rouhani se voit proposer par contrat un salaire mensuel de 14 000 dirhams (environ 2 800 euros), sur la base de 48 heures par semaine, le tout assorti d'un pourcentage d'intéressement qui, «théoriquement, doublerait, voire triplerait, ce salaire», selon ses propres termes.
Le Dr Rouhani découvre à cette occasion que les loyers sont hors de prix à Abu Dhabi (de l'ordre de 2 000 euros pour un deux-pièces), mais il décide malgré tout de «tenter l'aventure, sans trop savoir où je mettais les pieds», reconnaît-il cependant.
Mauvaises surprises.
Le 15 septembre 2007, Frédéric Rouhani commence à travailler pour l'hôpital. Mauvaise surprise, le Dr Chawki Mounayer lui confisque d'entrée son passeport. «Il est en effet de coutume, même si c'est illégal, qu'aux Emirats un employeur confisque le passeport d'un employé étranger», indique le Dr Rouhani, qui se trouve immédiatement affecté aux urgences de l'hôpital. «Pas plus de 15jours», lui assure cependant le Dr Mounayer. Frédéric Rouhani a vite une deuxième mauvaise surprise lorsqu'il s'aperçoit que les étrangers candidats à la location d'un appartement sont tenus de verser un an de loyer d'avance, somme dont il ne dispose pas. Mais le Dr Mounayer accepte de lui avancer la somme et remet au propriétaire un chèque de 68 000 dirhams (environ 13 000 euros) au nom de l'hôpital.
Selon le Dr Rouhani, le «piège» s'est très vite refermé sur lui : journées de 12 heures passées aux urgences, gardes de nuit et de week-end, il se sent prisonnier sans son passeport et avec la dette qu'il a contractée vis-à-vis de l'hôpital. Quand il manifeste son refus «de travailler dans ces conditions, les insultes et les menaces ont commencé à fuser», venant surtout, dit-il, du Dr Mounayer qui l'aurait gratifié de noms d'oiseau et l'aurait menacé de le laisser «pourrir aux urgences»…
Au bout de deux mois, Frédéric Rouhani décide de mettre légalement un terme à son contrat qui prévoyait une période d'essai de trois mois. Selon lui, il aurait alors été harcelé par le Dr Mounayer qui ne lui aurait laissé que 48 heures pour rembourser l'argent de l'appartement. Frédéric Rouhani fait appel à sa famille pour pouvoir rembourser cet argent, mais, sans passeport, impossible de retirer la somme qui lui a été envoyée. Il prend alors contact avec Maryse Laurenti, conseillère à l'Assemblée des français de l'étranger, et Carole Bouvier-Loisel, consule de France, qui lui donnent le coup de main nécessaire. Frédéric Rouhani parvient ainsi à récupérer l'argent que lui a envoyé sa famille avec la seule photocopie de son passeport, rend l'argent à l'hôpital et réclame en retour son passeport, mais le Dr Mounayer n'accepte de le lui rendre qu'en échange de la clé de son appartement. Or Frédéric Rouhani a besoin de son passeport pour acheter son billet et, s'il rend sa clé, il n'a plus d'endroit pour dormir. Après de nombreuses tergiversations et la menace d'une plainte, l'échange passeport contre clé finit par se faire, et Frédéric Rouhani prend l'avion le jour-même pour la France.
Contacté par « le Quotidien », le Dr Chawki Mounayer, qui est également médecin-conseil à l'ambassade de France, donne une tout autre version des faits : pour lui, le Dr Rouhani est un illuminé, qui serait arrivé à Abu Dhabi pour y travailler «sans un sou et sans les diplômes qu'il aurait dû me présenter. Il agressait tout le monde, et m'appelait régulièrement à 4heures du matin pour me dire qu'il était malade et ne pourrait pas venir travailler le lendemain».
Jugement de Salomon.
Mais surtout, pour le Dr Mounayer, Frédéric Rouhani, qui dispose également d'un passeport iranien, serait venu à Abu Dhabi essentiellement pour y intégrer des réseaux clandestins d'opposants au régime islamiste de Téhéran… Le Dr Rouhani reconnaît volontiers disposer de ce second passeport : «Ma mère est âgée, elle est iranienne, et j'ai fait la demande de ce passeport au cas où il lui serait arrivé malheur pendant mon séjour à Abu Dhabi, car elle a toujours voulu être enterrée là-bas.» Mais Frédéric Rouhani l'assure : «Jamais je n'ai rencontré un seul Iranien à Abu Dhabi, ni exercé quelque activité politique, secrète ou non, pendant mon séjour.» Bref, chacun campe sur ses positions.
Il reste que, contactée au téléphone par « le Quotidien », Carole Bouvier-Loisel, semble un peu gênée par cette affaire. Le Dr Mounayer est en effet le médecin attaché à l'ambassade de France. Et c'est à mi-voix qu'elle reconnaît : «Le DrRouhani peut donner l'impression d'être parfois un peu exalté,mais, dans cette affaire, je lui donne plus raison qu'au DrMounayer.» Quant à Maryse Laurenti, également contactée par « le Quotidien », elle se retranche derrière un jugement de Salomon : «Je dirai que dans cette affaire les torts sont partagés. Le DrRouhani espérait un emploi plus valorisant, et le DrMounayer a parfois des méthodes un peu brutales. Il y a eu incompréhension entre eux.»
Quoi qu'il en soit, le Dr Rouhani donne quelques conseils aux médecins tentés par une expérience dans les pays du Golfe : «Ne donnez jamais votre passeport à l'employeur, rien ne vous y oblige. Exigez un salaire mensuel minimal de 8000euros, car un salaire bas rend tout retour extrêmement difficile. L'organisme qui vous emploie est en outre tenu de mettre à votre disposition un appartement décent. Faites bien lire votre contrat par un avocat francophone avant de le signer. Enfin, en cas de problème, n'hésitez pas à contacter l'ambassade de France.»
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