L ES médecins norvégiens ne sont pas différents des autres praticiens et, comme la plupart, vivent des expériences professionnelles négatives. Ce qui les rend originaux, c'est qu'ils ont fait l'objet d'une étude de chercheurs de l'université du Sud-Danemark (Ivar Sonbo Kristiansen et coll.), qui ont voulu savoir si ces expériences négatives avaient un effet sur les décisions médicales qu'ils prennent. L'étude a été lancée à l'initiative de l'Association médicale norvégienne face aux plaintes - stress, insatisfaction - de plus en plus nombreuses exprimées par les médecins du pays.
Un questionnaire a été adressé à 1 260 praticiens norvégiens (parmi les 11 266 membres de l'Association médicale norvégienne). Il leur demandait s'ils avaient été confrontés à des expériences négatives du type plaintes des patients auprès des autorités sanitaires locales ou nationales, publicité négative dans la presse, demandes d'indemnisation, saisie de la police. Le questionnaire était accompagné de cinq scénarios avec, au choix, plusieurs stratégies thérapeutiques. Dans le premier scénario, le patient avait un ami mort récemment d'un infarctus du myocarde et présentant lui-même des douleurs thoraciques, avec, deux semaines auparavant, un examen cardiaque négatif. Le deuxième scénario mettait en scène un patient souffrant de migraines récurrentes depuis trois ans, liées au stress, avec irradiation au cou et aux épaules, les examens neurologiques étant négatifs. La moitié des médecins avaient droit à des scénarios avec menaces : pour les douleurs thoraciques, l'entourage menaçait d'en appeler à la presse ; pour les migraines, le patient affirmait son intention de porter plainte s'il n'était pas adressé à un spécialiste de neurologie
Près de 80 % des médecins ont renvoyé le questionnaire, 47 % (463 praticiens) faisant état d'expériences négatives, les hommes (51 %) et les médecins de famille (58 %) davantage que les autres. Mais ces expériences n'avaient pas d'influence sur les choix dans les études de cas.
Des dizaines de décisions par jour
En revanche, les médecins choisissent plus souvent une stratégie défensive (prise en charge plus lourde et/ou plus onéreuse) lorsqu'il y a menace : dans 44 % des cas contre 30 % (s'il n'y a pas menace) face à des douleurs thoraciques et dans 57 % des cas contre 25 % face à des maux de tête.
Certes, commentent les auteurs, les médecins doivent être à l'écoute des souhaits de leurs patients ; mais, ajoutent-ils, ces souhaits peuvent entraîner une utilisation non raisonnable des ressources d'un système où les soins ne sont pas payés directement par les malades. Sans compter que le recours plus fréquent aux tests diagnostiques peut multiplier le nombre de faux positifs si la probabilité de la maladie est faible. Les cliniciens prennent des dizaines, voire des centaines, de décisions médicales chaque jour, relèvent-ils encore, et il n'est pas surprenant que certaines soient incorrectes. En Norvège, d'ailleurs, peu de médecins, sur les 14 000 en exercice, ont eu à faire face à des critiques substantielles : en 1997, le Bureau national de la santé a délivré 85 avertissements et réprimandes, et 26 médecins ont perdu l'autorisation d'exercer ; en 1998, sur 1 457 demandes d'indemnisation, 481 ont été accordées, mais pas toutes pour mauvaise décision médicale. Si l'on en croit l'étude, les plaintes n'induisent pas davantage de pratiques défensives mais, comme le montre l'exemple américain, la communauté médicale tout entière est touchée par la judiciarisation de la société. Autant de sujets de réflexion pour tous les médecins, pas seulement ceux de Norvège
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