DE NOTRE ENVOYÉE SPÉCIALE
LES MÉDECINS hospitaliers de l'Union européenne surveillent la directive européenne sur l'aménagement du temps de travail «comme le lait sur le feu», pour reprendre l'un d'eux.
Ce texte, dont la révision a été reportée plusieurs fois, sera à nouveau examiné par le Parlement européen à la mi-décembre. Soixante millions de travailleurs sont concernés dans 27 pays et, parmi eux, 1,2 million de médecins salariés. L'issue du vote est incertaine. Si le Parlement se range derrière le Conseil des ministres européens, qui a lui-même accepté les propositions de la Commission européenne en juin dernier, alors la révision sera entérinée.
Il y a quatre changements à la clé. Le maintien du plafond hebdomadaire de 48 heures de travail, avec la possibilité pour les volontaires d'atteindre 60 ou 65 heures (cette dérogation, dite opt-out, existe et est appliquée dans certains pays, mais elle devait n'être que transitoire). L'annualisation du calcul du temps de travail (la période de référence passerait de quatre à douze mois). Le report «dans un délai raisonnable» du repos de sécurité postgarde. Et, enfin, l'introduction de périodes de garde inactives, qui ne seront plus considérées comme du temps de travail.
Ce dernier point, en particulier, alarme les médecins hospitaliers de l'Union. Réunis en congrès à Varsovie à l'initiative de la FEMS (Fédération européenne des médecins salariés), plusieurs leaders médicaux ont jugé bon de durcir le ton (une douzaine de pays étaient représentés).
«S'ils veulent la guerre, ils l'auront», a déclaré le Dr Claude Wetzel, président de la FEMS. Une manifestation est envisagée la veille du vote du Parlement à Strasbourg. L'idée d'une Eurogrève des soins est également relancée.
Pour Claude Wetzel, anesthésiste strasbourgeois, l'enjeu est de taille, surtout pour l'Europe de l'Est. «En France, a-t-il expliqué à ses confrères européens , nous ne sommes pas menacés car nos ministres se sont engagés à ne pas appliquer ces dispositions. Mais, en Europe centrale et orientale, les gouvernements n'attendent que cela pour maintenir ouverts des petits hôpitaux à moindre coût. Les médecins devront travailler plus sans gagner plus.Et la qualité des soins diminuera, car l'on sait qu'après 24heures de travail un médecin est dans un état comparable à quelqu'un ayant 0,8gramme d'alcool par litre de sang. On voudrait autoriser ce médecin à s'occuper de patients, alors qu'il est interdit de conduire une voiture? Ce projet de révision constitue une régression sociale. Déjà, 14 des 27pays de l'Union n'appliquent pas l'actuelle directive, ce qui explique que beaucoup de médecins de l'Est migrent vers l'ouest, où les conditions de travail –et les salaires– sont meilleurs. La révision accélérera les migrations de médecins, les déserts médicaux à l'Est s'étendront.» Après le plaidoyer, la conclusion, sans appel : «Il faut bloquer le vote du Parlement.»
Dans le sillage de la Confédération européenne des syndicats (European Trade Union Confederation), la FEMS a commencé son travail de lobbying auprès des députés européens. Son projet d'une eurogrève des soins peut-il se concrétiser ? Des voix discordantes émergent au sein des 27 États membres, qui ont des systèmes de santé, des attentes et des contraintes bien différents (la Pologne et le Portugal sont des exemples, voir encadré). Le consensus n'est pas total, mais le président de la FEMS a bon espoir de convaincre l'ensemble de ses confrères étrangers dans les semaines à venir de la nécessité de faire grève. «Une grève dure de tous les soins non urgents.»
75 heures hebdomadaires en Pologne !
L' opt out, en Pologne, les médecins ne le jettent pas aux orties. Ils en redemandent, même. Non pas qu'ils soient des stakhanovistes nés. Mais avec 15 000 postes médicaux vacants – et même 30 000, selon les ONG –, les hôpitaux polonais baisseraient le rideau si ses blouses blanches s'en tenaient à 48 heures hebdomadaires. Plutôt que d'exiger la transposition d'une mesure qui mettrait à terre leur système de santé, les médecins polonais ont attaqué un autre front : les salaires.
En 2007, ils travaillaient 300 heures par mois pour 900 euros. Aujourd'hui, ils travaillent autant, mais, au-delà des 48 heures hebdomadaires, ils sont payés plus. Une grande grève est passée par là. L'action du Dr Czeslaw Mis également : «J'ai été le premier à porter l'affaire en justice. Et j'ai gagné, raconte l'intéressé . Depuis, 20000médecins ont déposé un recours. Il y a 1milliard d'euros en jeu.» Le paiement ne sera pas rétroactif, mais au moins le principe est-il acté dans la loi polonaise.
La Pologne, à cause de sa pénurie médicale, ne peut se passer de l' opt out. D'autres pays sont dans la même incapacité, pour des raisons démographiques ou bien financières. Au Portugal, par exemple, «les médecins ont besoin de l'opt out pour avoir des revenus décents», expose le Dr Maria Merlinde Madureira (Porto). Or l'eurogrève des soins, pour être efficace, doit être totale, martèle la FEMS (Fédération européenne des médecins salariés). Le mouvement a-t-il une chance de voir le jour ? «Ce sera très difficile à organiser en Pologne», prévient Dr Krzysztof Bukiel. «Mais c'est un concept à envisager», tempère son compatriote, Czeslaw Mis.
Pas si simple d'accorder les violons de 27 solistes à la partition si différente. Le chef d'orchestre, le Français Claude Wetzel, ne désespère pas. Il lui reste dix semaines pour mobiliser ses troupes avant le passage au Parlement.
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