AVANT MÊME qu'on ait pu en mesurer les effets, le « tout incitatif » a-t-il vécu en matière de régulation de l'installation des médecins libéraux ? La question se pose désormais. A l'instigation de l'Elysée.
Car Nicolas Sarkozy vient de jeter une sacrée pierre dans le jardin de la médecine de ville – qui, rappelons-le, a massivement voté pour le candidat UMP le 6 mai dernier (1). «Il n'est pas normal, a-t-il dit mardi en dévoilant sa stratégie sociale, à la fois pour des raisons d'équité et d'efficacité, que la répartition des médecins sur le territoire soit aussi inégale.» En appelant à «la responsabilité individuelle», le chef de l'Etat a montré un chemin aux médecins : celui emprunté par les infirmières libérales qui ont «accepté de ne pas s'installer dans les zones où elles sont trop nombreuses».
Une fois épluchés la convention des infirmières et le protocole « démographique » qu'elles ont signés en juin dernier (les infirmiers réfléchissent avec l'assurance-maladie à un conventionnement conditionné dans les zones surmédicalisées au départ d'un confrère – voir « le Quotidien » d'hier), le message est clair. Abdiquez une partie de votre liberté d'installation, ralliez-vous au conventionnement sélectif, demande en substance aux médecins celui qui, candidat à la présidence de la République, promettait il y a six mois de ne pas toucher aux grands piliers de la médecine libérale.
La méthode, notent certains, n'est pas sans rappeler celle qui a prévalu lors de l'élaboration du plan Juppé. Des syndicalistes bien informés croient même savoir qu'il y aura les bases législatives de cette nouvelle donne dans le prochain Plfss (projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2008). En tout état de cause, la profession prend dans l'ensemble la suggestion du président comme une claque. Et il ne vient à l'idée de personne de tendre l'autre joue.
« Effets pervers ».
Michel Chassang, président de la Csmf (Confédération des syndicats médicaux français), est particulièrement furieux. Pour lui, Nicolas Sarkozy se trompe sur tous les plans. «Nous refusons le principe du conventionnement sélectif, explique-t-il. Nous ne sommes pas dans le système américain avec plusieurs offreurs de soins. Si, demain, l'assurance-maladie ne conventionne plus les médecins dans les zones excédentaires, il pourra lui venir par la suite à l'idée de ne plus le faire ailleurs.» Le Dr Chassang juge également que l'opération est infaisable et inefficace : «Les caisses sont incapables aujourd'hui de définir des zones déficitaires ou excédentaires. Comment on fait? Par ailleurs, si on empêche les gens de s'installer là où il y a “trop” de médecins, ils ne vont pas pour autant s'installer là où il n'y en a “pas assez”. Le résultat pervers de cette mesure sera que les jeunes ne s'installeront pas, ou bien qu'ils retarderont encore le moment de leur installation en faisant des remplacements.» Du côté de MG-France, on est – pour une fois – sur la même longueur d'onde que la Confédération. Provocateur, le Dr Martial Olivier-Koehret répond du tac au tac au président de la République : «Chiche, dit-il, allons-y. Mettons en oeuvre une mesure complètement contraire à celle dont on a besoin en ce moment!» La boutade passée, le patron de MG-France met en garde : «Ça n'a aucun sens de mener une politique coercitive en matière de démographie médicale; la méthode est mauvaise, on va faire fuir encore plus les gens.» Et le Dr Olivier-Koehret accuse : «Derrière tout ceci, il y a les intentions (pas très bonnes) du directeur de l'assurance-maladie qui continue à pousser ses pions, veut résoudre des vrais problèmes avec des fausses bonnes idées et, finalement, cherche à nous reprendre des avantages conventionnels.»
A la Fédération des médecins de France (FMF), on est moins virulent. Persuadé que l'on peut préserver le principe de la liberté d'installation « et apporter des réponses» au problème de la démographie médicale, son président, le Dr Jean-Claude Régi, un peu sibyllin, prône une voie moyenne. «De vraies incitations, plaide-t-il , sont possibles» ; elles doivent être inventées «en sortant du champ conventionnel» et en réfléchissant en termes d' «aménagement du territoire».
De tous les syndicats médicaux, c'est le SML (Syndicat des médecins libéraux) qui apparaît le plus conciliant dans cette affaire. «Souscrivant aux préoccupations du chef de l'Etat», le SML insiste toutefois fortement sur la nécessité de mener le chantier de la régulation de la démographie «en concertation avec les médecins».
Les PH sur des oeufs.
Et du côté de l'hôpital ? Comment les médecins réagissent-ils au changement de cap amorcé par Nicolas Sarkozy ? Le Dr Patrick Pelloux, président de l'Amuf (Association des médecins urgentistes de France), se distingue en mettant les pieds dans le plat : « Si le corps médical avait su réfléchir plutôt que de s'enferrer dans une doctrine où chacun fait ce qu'il veut où il veut, on n'en serait pas là. Il est grand temps de se pencher sur la démographie médicale, ce n'est pas possible de continuer ainsi. Dans le monde hospitalier, on a déjà des contraintes, on prend les postes où ils se trouvent. Et quand on ferme un service de chirurgie, on ne demande pas leur avis aux chirurgiens. (…) Dans un pays qui doit se réformer, tout le monde doit participer: ce n'est pas toujours aux mêmes de faire des efforts.»
Ailleurs, on se refuse à jouer avec la division du corps médical – «La démographie des professionnels de santé et notamment des médecins a trop souffert des clivages», regrette le Dr François Aubart, président de la CMH (Coordination médicale hospitalière). On préfère donc considérer que les médecins sont tous dans la même galère. Le Dr Aubart précise : «La question de l'installation est du même registre passionnel que celle de la cartographie des hôpitaux (quand on dit “Il faut arrêter d'opérer à Saint-Affrique”, par exemple).»
Reste que l'hôpital est convaincu de la nécessité d'un « nouveau deal » démographique. Du coup, on y étiquette volontiers « nécessaire mais pas suffisante » l'ébauche de proposition de l'Elysée. Rachel Bocher, qui préside l'Inph (Intersyndicat national des praticiens hospitaliers), explique : «Si Nicolas Sarkozy veut mener une politique globale de santé, il ne faut pas qu'il en reste à des mesures restrictives. Au niveau des médecins, il faut aller vers une harmonisation des rémunérations et des statuts.»
(1) Voir les sondages réalisés par « le Quotidien » dans ses éditions du 8 février et du 12 avril.
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