LA PRINCIPALE MESURE du plan démographie médicale de Xavier Bertrand est sans conteste la possibilité pour un médecin exerçant en cabinet de groupe en zone sous-médicalisée de percevoir des honoraires majorés de «20% au moins».
Des honoraires qui, selon ses mots, ne seront «ni à la charge du patient ni à celle des complémentaires, mais à celle de l’assurance-maladie» qui versera directement ce complément de rémunération au praticien. Un médecin généraliste installé en groupe dans les zones concernées percevra alors 24 euros au lieu de 20. Au cabinet de Xavier Bertrand, on admet ne pas savoir exactement quand cette mesure entrera en vigueur, même si le ministre a souhaité qu’elle s’applique dès la fin du mois de mars 2006.
Mais l’affaire n’est pas bouclée. Cette majoration doit être discutée dans le cadre des négociations conventionnelles, si bien que les 20 % de majorations annoncés ne sont pour l’instant qu’un voeu pieu.
Même problème pour la majoration de 20 % des honoraires lors du remplacement en zones sous-médicalisées, dans un cabinet de groupe ou dans un cabinet isolé. Cette disposition doit également être négociée entre les partenaires conventionnels.
En dévoilant son plan, le ministre a toutefois précisé que le supplément d’honoraires pour remplacement dans les zones désertifiées serait versé, non au remplaçant, mais au médecin remplacé. Au cabinet de Xavier Bertrand, on précise que cette décision est dictée par le souci de ne pas immiscer les caisses dans la relation contractuelle entre le remplaçant et le remplacé.
Si bien qu’aucune obligation de reversement au médecin remplaçant ne sera attachée au bonus, les deux parties devant régler la question de la rétrocession d’honoraires dans un cadre contractuel.
« Le Quotidien » a recueilli les réactions de médecins ruraux à ces mesures incitatives.
Dr Thomas Bourez,généraliste dans l’Eure: effet d’annonce
La majoration de la consultation va dans le bon sens. Elle met l’accent sur la pénibilité du travail dans ces zones. Mais ça se jouera à la marge : il faut remplir deux conditions, exercer en zone sous-médicalisée et en cabinet de groupe. Le nombre de médecins à en profiter sera donc infime, c’est un effet d’annonce. Quant à la mesure sur les remplacements, si ça peut motiver un collègue pour aller remplacer à la campagne, pourquoi pas. Je pense que tout argent versé par les caisses aux médecins doit faire l’objet d’une contractualisation entre les deux parties. Il faut aussi que l’assurance-maladie comprenne que jeter de l’argent dans la nature sans contrepartie est sans effet.
Dr Pierre-Marie Linet, généraliste en zone sous-médicalisée, dans la Loire-Atlantique: le problème n’est pas uniquement financier
Ces mesures ne sont pas inintéressantes. Quant à savoir si elles produiront un effet incitatif, je suis dubitatif, car le problème n’est pas tant le financement que l’évolution des mentalités : la notion d’effort est dévalorisée et les jeunes confrères ne veulent plus travailler 70 heures par semaine comme le faisaient leurs aînés. On parle toujours de mesures incitatives. Mais je me demande si on ne devrait pas obliger les étudiants en médecine à effectuer au moins un stage chez un médecin généraliste rural. Ils verraient qu’on peut y avoir une bonne qualité de vie.
Dr Jean-Luc Sautel, généraliste en zone sous-médicalisée dans l’Ardèche: cela convaincra les hésitants
Ces mesures vont dans le bon sens. Mais elles ne résoudront pas totalement le problème de l’attractivité des zones rurales. Je travaille 12 heures par jour, sans compter les gardes. Et au moins 50 % de mon temps de travail sont consacrés à des tâches non médicales. C’est ça, le problème ! De plus, j’apprends que la majoration de 20 % du C ne concerne que les cabinets de groupe. Si mes collègues de la région et moi ne sommes pas regroupés, c’est que les conditions locales ne s’y prêtent pas, sinon nous l’aurions fait depuis longtemps. Je pense que ce plan ne favorisera pas vraiment les vocations, mais convaincra les hésitants.
Dr François Lavarenne, généraliste en zone sous-médicalisée dans l’Aveyron: un effet pervers
Avec mes collègues, on réfléchissait depuis longtemps à un regroupement ; cette mesure va nous y inciter encore plus. Quant à savoir si elle favorisera de nouvelles installations, je n’en sais rien, car les jeunes veulent du mouvement. Soit c’est une zone rurale dont la population quitte le pays, auquel cas c’est mauvais signe pour un médecin qui voudrait s’y installer. Soit le coin est très attirant, et dans ce cas le médecin qui veut s’y installer ne trouve aucune maison à acheter. Or vous ne vous installez pas en zone rurale pour vivre dans un appartement mis à votre disposition par la commune. Avec ces mesures du plan de Xavier Bertrand, je crains un effet pervers : il est possible que le candidat à l’installation en zone rurale se sente pieds et poings liés par toutes ces aides et... préfère rester en zone urbaine.
Dr Thierry Blineau, généraliste exerçant dans une zone sous-médicalisée dans le Rhône: la clé, c’est la charge de travail
Je ne pense pas que la mesure soit efficace car beaucoup de médecins quittent ces zones à cause de la charge de travail et non à cause de l’argent. Les gardes à répétition pèsent lourd dans la décision : chaque fois que je cherche un remplaçant, sa première question est de connaître la fréquence des tours de garde. S’il y en a trop, c’est non ! J’ai l’impression qu’on ne nous donne de l’argent que pour nous faire taire.
Anonyme en cabinet de groupe dans le 77: plutôt simplifier l’administratif
C’est apparemment une bonne nouvelle, mais nous exerçons déjà en secteur II, et je ne pense pas pouvoir cumuler des dépassements et cette majoration de 20 % des honoraires par l’assurance-maladie. Je crains que les jeunes généralistes continuent à préférer faire des remplacements, car il y a beaucoup moins de contraintes. Au lieu de distribuer de l’argent à des médecins qui, par définition, n’en manquent pas dans ces zones sous-médicalisées, l’assurance-maladie ferait mieux de faciliter l’exercice en simplifiant le travail administratif qu’elle impose aux médecins.
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