LE DECRET organisant la permanence des soins (PDS) n'était même pas encore publié au « Journal officiel » que Philippe Douste-Blazy prévenait : « Si dans six mois, à l'évaluation de ce décret, je vois que ça ne fonctionne pas (la PDS, ndlr), je prendrai mes responsabilités. » Une petite phrase que l'ensemble des commentateurs et acteurs de la PDS traduisirent par « je n'hésiterai pas à revenir sur le volontariat ».
Jeudi dernier, à Roubaix, au cours d'une conférence de presse, le ministre de la Santé a précisé à nouveau sa pensée : « C'est une obligation pour les médecins libéraux de faire des gardes de nuit et de week-end. »
Alors que le décret, sorti le lendemain même de ses déclarations (voir ci-contre), précise clairement dans le premier alinéa de l'aricle concerné que « les médecins participent à la permanence des soins sur la base du volontariat ». Ces propos du ministre de la Santé ont été précédés par les déclarations du Dr Patrick Pelloux, président de l'Association des médecins urgentistes de France (Amuf), qui a accusé en substance le désengagement des médecins libéraux de la permanence des soins d'être la cause de l'engorgement des urgences, et les acteurs de terrain sont rapidement montés au créneau pour défendre leur point de vue.
« La politique du yo-yo ».
Le Dr Pierre Bozzi est médecin généraliste et président de l'Union départementale des gardes et urgences médicales du Gard. Il estime que les propos de Philippe Douste-Blazy sont déplacés d'autant que le décret n'était pas encore paru lorsqu'il les a tenus : « Il faudrait déjà savoir ce que recouvre le mot volontariat : volontaire pour faire des gardes jusqu'à minuit ou jusqu'à la fin de la nuit ? Sur un grand ou petit secteur ? Rémunéré correctement ou indignement ? Au forfait ou à l'acte ? Pour l'instant, on ne sait pas grand-chose. » Un propos que ne renie pas le Dr Simon Filippi, président de la fédération des Maisons médicales de garde et président également de la MMG de Gap, dans les Hautes-Alpes : « Cela ne fait pas très sérieux de prôner le volontariat par décret, et de s'exprimer dans le même temps de cette façon. C'est la politique du yo-yo, et je pense que le ministre n'est plus crédible du tout sur les questions de PDS. » Le Dr Pierre de Haas, vice-président de la MMG de la Plaine-de-l'Ain, estime que « vouloir coller aux médecins la responsabilité du problème de l'engorgement des urgences et prétendre en retour qu'on va obliger les libéraux à faire des gardes est vraiment stupide ».
Car, des problèmes, il y en a. Les médecins interrogés jugent que parler de désengagement des libéraux de la PDS n'est pas sérieux, et qu'il vaudrait mieux parler de désengagement des patients. Le Dr Filippi fait le point sur la fréquentation de sa MMG : « A Gap, s'agissant de l'astreinte pour les visites à domicile pour les week-ends de 8 h à 20 h, pour l'ensemble du mois de janvier nous avons eu trois visites. Ce qui signifie que la structure existait et que personne ou presque n'y a eu recours, pas même le Centre 15. Au mois de février, pour le même créneau, nous avons fait zéro visite. Cela signifie que maintenir les visites à domicile et une astreinte pour les visites n'a aucun sens. En fait, pour la PDS, que ce soit en consultations ou en visites, il n'y a plus d'activité ou presque entre 20 h et 8 h .» Pierre de Haas fait le même constat : « Dans notre MMG, qui couvre une population d'environ 60 000 personnes, entre 18 h et 8 h du matin, il y a 0,5 déplacement au domicile du patient par nuit. Et entre minuit et 8 heures, l'activité frôle le zéro. Il est clair que, durant la nuit, les gens n'ont pas besoin d'actes en médecine générale. »
Un système attrape-tout.
Reste à savoir pourquoi la PDS réalise aussi peu d'actes. Les explications données sont toutes les mêmes, et le Dr Filippi met les pieds dans le plat : « Pourquoi les urgences ou le Centre 15 ne renvoient-ils pas à la PDS ou aux structures de type MMG les patients qui se présentent aux urgences et qui ne relèvent pas de l'urgence ? Parce que, dans ce cas, le volume d'activité des urgences baisserait, donc moins de budget et moins de personnel pour les services. »
Le secrétaire général d'un conseil départemental de l'Ordre de l'ouest de la France, qui souhaite garder l'anonymat, ne dit pas autre chose : « Les urgences hospitalières sont un système attrape-tout qui accueille tout le monde pour ne pas voir leur budget diminué. Ensuite, ils en rejettent la responsabilité sur les libéraux qui ne feraient pas leur boulot. »
Et chacun de proposer la même solution : pour le Dr Filippi, « Douste parle d'évaluation de la PDS, mais il faudrait aussi évaluer les urgences. Nous libéraux, on aimerait bien connaître la ventilation par pathologie des accueils aux urgences, ils les ont en interne mais, nous, on a du mal à les avoir. » Le secrétaire général du conseil départemental de l'Ordre est même plus cru : « Jamais les hospitaliers n'accepteront une régulation à leur service de porte, mais c'est pourtant la seule solution : on désengorgerait les urgences et on alimenterait la PDS. »
Eduquer les patients.
A part la régulation aux services de porte, quelles solutions faudrait-il mettre en place pour tout à la fois désengorger les urgences et alimenter en patients la PDS ? Chacun répond en chœur : l'éducation des patients. Le Dr Claude Bronner, responsable d'une association de PDS dans le Bas-Rhin, estime que « l'éducation des patients serait un moyen assez efficace pour les aiguiller vers la PDS. Mais on préfère ne rien faire et jeter l'anathème sur les libéraux ». Pour sa part, le Dr de Haas croit en une plus grande symbiose entre libéraux et hospitaliers : « L'avenir se situe sans doute dans la mise à disposition, au sein d'un service d'urgence, d'un médecin généraliste, ou d'une MMG installée dans l'enceinte hospitalière. »
Menaces de grève.
Quant à l'horizon de six mois fixé par le ministre de la Santé avant de prendre « ses responsabilités », et de revenir éventuellement sur le volontariat, les médecins interrogés ne le voient pas sous un jour radieux. Le Dr Bozzi estime que « si Douste-Blazy ne change pas de discours et de méthode, il va foutre en l'air sa convention. Elle suppose que les médecins libéraux s'investissent davantage, notamment dans le dispositif du médecin traitant, et dans le dossier médical. Si ces gens qui nous demandent ces efforts supplémentaires reviennent sur des promesses comme le volontariat, ils vont avoir un retour de manivelle qui va leur faire mal. Je ne vois pas Chassang et Cabrera avaler la couleuvre, ils vont exploser ».
Pour le Dr Bronner, « si Douste revient sur le volontariat, les médecins feront vraiment grève et il faudra réquisitionner en masse. Les médecins réquisitionnés iront au tribunal administratif pour contester la validité de la réquisition et réclamer de l'argent ».
Enfin, pour le Dr Filippi, « dans cette hypothèse, tous les syndicats lanceraient un mot d'ordre de grève, la Fmmg aussi, les centre de régulation libéraux aussi, et partout où il y aurait des libéraux, ce serait la désaffection totale, et aucune loi ne les en empêchera. De plus, les préfets devraient réquisitionner à tours de bras, ce qui serait pour eux impossible à gérer. On peut réquisitionner durant quelques semaines, mais pas à vie ». Amers mais pas résignés...
Le décret publié au « Journal officiel »
Il était temps ! Le décret « relatif aux modalités d'organisation de la PDS et aux conditions de participation des médecins à cette permanence » a été publié au « Journal officiel » du vendredi 8 avril. Son contenu est sans grande surprise car largement connu depuis plusieurs semaines. Si les horaires de la PDS restent la tranche 20 h-8 h, un nouvel alinéa précise que « la durée de la permanence des soins peut être modulée en fonction des besoins de la population ». Quant aux secteurs, leur définition pourra désormais « varier en fonction des horaires et des périodes de l'année ». Le décret prévoit également que « l'accès au médecin de permanence fait l'objet d'une régulation préalable qui est organisée par le Samu », ce que prévoyait déjà l'ancien décret. La nouveauté vient de la suite : « toutefois l'accès au médecin de permanence peut également être assuré par des centres d'appels des associations de permanence des soins si ceux-ci sont interconnectés avec le Samu », qui officialise la place prépondérante prise par certaines associations dans la PDS à visage urbain.
Côté syndicats, la satisfaction est de rigueur. Pour le SML, « ce décret débloque la situation », pour la Csmf, sa publication « va surtout nous permettre de réorganiser la PDS », quant à la FMF, non signataire de la convention et donc écartée, tout comme MG-France, de la négociation de l'avenant conventionnel sur la PDS qui aura lieu jeudi prochain, elle n'en estime pas moins que « cette nouvelle disposition réglementaire est globalement positive pour les médecins généralistes ». Enfin, MG-France se dit « satisfait de voir redéfini le cadre légal de la PDS », mais « regrette qu'il ait fallu attendre ce décret aussi longtemps ». MG adresse un « avertissement aux pouvoirs publics : les généralistes ne reviendront pas en arrière sur la PDS ».
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