L'HISTOIRE a fait le tour de France par Internet. Elle pourrait bien embraser les hôpitaux, tant les médecins sont révoltés par ce qui leur apparaît comme une profonde injustice.
C'est l'avis rendu par la justice le 19 septembre dernier qui a mis le feu aux poudres : la famille d'un médecin mort subitement en octobre 2006 s'est vu refuser la conversion monétaire du compte épargne-temps (CET) sur lequel l'homme avait stocké 64 jours de travail. La somme en jeu n'est pas du tout négligeable : 23 400 euros. De quoi assurer les études des trois enfants. Mais le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande, considérant qu'il n'y avait ni préjudice direct sur les ayants droit, ni obligation faite à l'AP-HP (le médecin était anesthésiste à Necker) de verser cet argent au regard des textes en vigueur.
La famille a déposé un recours. Son avocat espère que les praticiens hospitaliers se verront enfin reconnaître les mêmes droits que les salariés du privé. «Ce médecin a travaillé au-delà de la durée légale pour assurer la permanence des soins: pendant ce temps, il n'était pas avec sa famille, expose Me François Braud . Si ses proches n'obtiennent pas d'indemnisation, il s'agirait d'un enrichissement sans cause de l'établissement de soins employeur. Ce qui est juridiquement contestable. » A la justice d'en décider : le jugement au fond prendra quelque 18 mois.
Un droit non transmissible.
L'hôpital, lui, se refuse à tout commentaire. «La demande de la famille était légitime, reconnaît toutefois Magali Richard-Piauger, à la direction des affaires juridiques de l'AP-HP. Mais le tribunal a définitivement tranché: le CET n'est pas un droit transmissible. Il s'est éteint avec le médecin.»
Scandale, crie la communauté hospitalière. Le syndicat des anesthésistes-réanimateurs (SNPHAR) a publié un communiqué rageur appelant les médecins à liquider leur CET en 2008 pour paralyser les hôpitaux. Un ultimatum est posé : le gouvernement dispose d'un mois pour sortir un décret autorisant la transmission des CET aux ayants droit des médecins. «Sinon la mobilisation sera très forte, car chacun de nous est concerné, prévient la vice-présidente du SNPHAR, le Dr Nicole Smoslki. Moi, par exemple, j'ai cent jours sur mon CET. Si je meurs, mes enfants n'ont droit à rien.» Idem en cas d'invalidité, ou de longue maladie. Michel Dru, le président du SNPHAR, se rappelle le cas de cette consoeur atteinte d'un cancer. «Elle savait la fin proche, et m'a demandé si ses filles et son mari verraient l'ombre de son CET qu'elle n'avait pu poser. Elle est morte en 2005, et cela n'a pas été possible», s'indigne le Dr Dru.
Hier encore qualifiés de bombe à retardement, les CET seraient-ils sur le point de dynamiter l'hôpital public ?
Gagnés par la colère, les autres syndicats médicaux s'alignent et défient le gouvernement. «Les 35heures sont la plus grande escroquerie sociale jamais vécue à l'hôpital. Le CET devait améliorer nos conditions de travail, on s'est fait avoir. On va aller au conflit», s'emporte ainsi le Dr Patrick Pelloux, président de l'Association des urgentistes de France (AMUF). La présidente de l'INPH (Intersyndicat national des praticiens hospitaliers), de même, se fait pressante : «Les retraites, les comptes épargne-temps, les plages additionnelles, les jours de RTT: il faut régler au plus vite toutes ces questions, en discordance totale avec les engagements de Nicolas Sarkozy qui promet que travailler plus signifie gagner plus», dit le Dr Rachel Bocher.
Contournements.
La situation est d'autant plus bancale que certains hôpitaux ont accepté dans le passé de contourner la loi pour indemniser les ayants droit de médecins trépassés. Ainsi, le CHU de Nancy. Ainsi aussi, le centre hospitalier de Corbeil-Essonne, qui a versé près de 25 000 euros aux proches d'un médecin qui avait stocké 70 jours sur son CET. Les PH redoutent que la décision du tribunal de Paris ne fasse jurisprudence et que pareille pratique ne soit dorénavant plus possible.
«La loi ne le prévoit pas, mais nous avons pris cette décision par solidarité pour la famille de ce médecin qui avait une forte charge de travail dans une discipline où les effectifs étaient tendus», explique François Bérard, l'ancien directeur des affaires médicales de Corbeil-Essonne aujourd'hui directeur des projets de la stratégie. Ce qu'il pense des CET ? «C'est une bombe sur le point d'exploser. Beaucoup d'hôpitaux n'ont pas assez provisionné pour les financer. C'est notre cas. Nous avons10300journées stockées, correspondant à quelque 4millions d'euros. Cela représente 15% du temps médical de l'établissement. Autrement dit, s'ils décidaient de tout liquider d'un coup, 49médecins peuvent partir un an d'affilée en même temps. » De quoi paralyser complètement l'hôpital de Corbeil-Essonne, qui n'aurait pas les moyens de payer des remplaçants, et qui perdrait donc de précieuses recettes. «Sans médecin, pas de recette, avec 100% de tarification à l'activité. Les médecins sont en position de force: ils ont trouvé le moyen de pression pour se faire entendre», estime François Bérard. Le SNPHAR agite effectivement la menace : «L'activité des hôpitaux va diminuer en 2008, c'est clair», prévient son président.
Reste à voir si le gouvernement saura se montrer sensible à l'argument. Roselyne Bachelot promet de «rapides propositions» (voir encadré). Saura-t-elle convaincre Bercy de dégager les fonds nécessaires au financement intégral des CET et des heures supplémentaires ? C'est toute la question. Nicolas Sarkozy, en tout cas, a classé le dossier prioritaire.
Roselyne Bachelot promet d'agir vite
Au cours de l'entretien qui a été publié dans notre édition d'hier, « le Quotidien » a interrogé la ministre de la Santé sur le financement des comptes épargne-temps à l'hôpital.
Voici la réponse de Roselyne Bachelot : «Effectivement, le rapport Acker (rendu public cet été, ndlr) pose bien la question des journées stockées sur les CET, soit 1million de jours pour les médecins et 1,235million pour les personnels non médicaux. On se heurte à des problèmes plus juridiques que financiers, puisqu'il y a 348millions d'euros en réserve dans le Fonds pour l'emploi hospitalier (FEH). Par ailleurs, les établissements ont provisionné une centaine de millions d'euros pour les CET. Maintenant, nous sommes face à des questions législatives: 1)la possibilité de payer les jours épargnés aux ayants droit; 2)la monétarisation éventuelle du CET; 3)la transformation d'une partie des éléments en cotisation de retraite complémentaire... Et il est nécessaire de tenir compte du calendrier du ministre du Budget, des Comptes publics et de la Fonction publique et de celui du secrétaire d'Etat à la Fonction publique [Eric Woerth et André Santini] pour ne pas se trouver en décalage avec les autres fonctions publiques. En attendant, je suis de très près ce dossier et nous ferons très vite des propositions en concertation avec les organisations syndicales représentatives et les syndicats de praticiens hospitaliers. Cette question mérite un traitement rapide et humain.»
Bientôt 6 ans
C'est en passant aux 35 heures, le 1er janvier 2002, que les quelque 30 000 médecins de l'hôpital public ont pu ouvrir, tout comme les 800 000 agents de l'institution, des comptes épargne-temps ou CET. Il s'agissait alors de compenser les « trous » de main d'oeuvre créés à l'hôpital par la RTT, les embauches n'ayant pas pu, faute de moyens financiers, mais aussi faute de professionnels disponibles sur le marché du travail, être à la hauteur du temps libéré.
Depuis six ans, par choix ou par nécessité, les médecins ont accumulé des jours sur leurs CET sans, la plupart du temps, que les établissements aient provisionné d'enveloppes spécifiques.
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