Avocats, experts-comptables, associations agréées sont assaillis de questions sur l'intérêt de ces sociétés. Les syndicats et les associations professionnelles donnent leur point de vue sur la question, un organisme comme INTERFIMO, reconnaît qu'il finance la constitution de nombreuses SEL. Mais qu'en est-il exactement ? Avez-vous réellement intérêt à exercer dans le cadre de ces sociétés ? Les opinions sont très souvent divergentes.
Il faut reconnaître que le sujet est complexe et nécessite la prise en compte de nombreux paramètres, fiscaux, juridiques, comptables, sociaux et financiers. Nous vous livrons donc quelques idées pour alimenter la réflexion, sans prétendre être exhaustifs ni clore le débat.
Indiquons pour commencer que les SEL ont été créées pour permettre à plusieurs médecins d'exercer en commun dans de meilleures conditions juridiques que celles offertes par les sociétés civiles professionnelles. Elles concernent notamment les radiologues et les laboratoires d'analyses médicales et, plus généralement, les spécialités nécessitant des investissements importants.
Notre article ne vise pas ces sociétés - qui sont bien réelles -, mais les médecins qui, individuellement ou en s'associant pour les besoins de la cause, souhaitent utiliser ces structures pour payer moins d'impôts ou de charges sociales ou bien pour se procurer de la trésorerie. Peuvent-ils y parvenir ? Voici quelques éléments de réponse.
Au plan fiscal
Notons tout d'abord que si le fait de passer en société permettait de payer moins d'impôts, cela se saurait : tous les contribuables se retrouveraient en SARL ou en société anonyme.
Lorsque l'on exerce dans le cadre d'une SEL, les revenus peuvent être appréhendés de trois façons : en tant que salaires, en tant que revenus de gérant majoritaire ou en tant que dividendes. Si l'on compare l'imposition de ces trois catégories de rémunérations avec celle des « bénéfices non commerciaux » (BNC), on s'aperçoit qu'il n'y a pratiquement aucune différence.
Prenons l'exemple du Dr Pham, adhérent d'une AGA, dont les recettes sont de 900 000 F et le bénéfice imposable de 450 000 F. S'il a trois parts de quotient familial, son impôt sera de 59 000 F. Il lui restera donc après impôt 391 000 F.
Supposons qu'il passe en SEL, avec les mêmes chiffres et qu'il ait retiré uniquement des dividendes de sa société. Le bénéfice de 450 000 F sera tout d'abord soumis à l'impôt sur les sociétés, au taux actuel de 35,33 %. La SEL paiera donc 159 000 F. Il reste dans la société 291 000 F que le médecin prélève en dividendes.
Ces dividendes seront ensuite soumis à l'impôt sur le revenu. Pour qu'il n'y ait pas une double imposition, on va rembourser à l'associé de la SEL l'impôt déjà payé par la société, sous forme d'« avoir fiscal ». Cet avoir est égal à la moitié des dividendes, soit 145 500 F. L'impôt sur le revenu sera calculé sur le total : dividendes + avoir fiscal, c'est-à-dire 436 500 F, ce qui correspond à un impôt de 90 000 F. L'avoir fiscal étant de 145 500 F, on remboursera à notre praticien la différence, soit 55 500 F. Il disposera donc de : 55 500 + 291 000 = 346 500 F, c'est-à-dire moins que s'il avait continué tranquillement à exercer à titre individuel.
On obtient des résultats identiques si l'on augmente le bénéfice ou si l'on remplace une partie des dividendes par des salaires.
Il faut tenir compte également, avant de prendre sa décision, des changements fréquents de la fiscalité des sociétés : l'impôt sur les sociétés a été ramené à 26,5 % en 2001 sur les 250 000 premiers francs de résultat et il passera à 15 % l'année prochaine. Mais cela restera sans conséquence sur l'imposition des dividendes car la SEL devra payer un « précompte » sur les dividendes égal à la différence d'imposition entre 26,5 % ou 15 % et 35,33 %. La diminution d'imposition ne sera donc sensible que pour les SEL qui ne verseront que des salaires ou des rémunérations de gérant majoritaire. Mais dans ces deux cas, l'impôt sur les sociétés est quasiment nul puisque les salaires ou les rémunérations de gérant sont déductibles.
Première conclusion : le passage en SEL n'apporte donc aucun avantage sur le plan fiscal.
Au plan financier
L'un des avantages annoncés par ceux qui préconisent l'exercice sous forme de SEL, c'est la possibilité de transformer un emprunt privé, aux intérêts non déductibles, en un emprunt professionnel dont les intérêts sont déductibles. Idée qui peut sembler séduisante au premier abord mais qui l'est moins lorsque l'on tient compte de toutes ses conséquences et que l'on prend un exemple.
Il faut savoir en effet que lorsque l'on « apporte » son cabinet au capital d'une SEL, cet apport ne coûte pratiquement rien, le législateur ayant voulu faciliter la constitution de ces sociétés. L'imposition de la plus-value sur la clientèle est reportée au moment de la vente des parts de la SEL. En revanche, si l'on vend son cabinet à la SEL, la plus-value réalisée devient immédiatement imposable. Il s'agit alors d'une plus-value « à long terme » taxée à 26 %. De plus, la SEL doit payer des droits d'enregistrement d'un montant de 4,80 % sur la fraction du prix de vente excédant 150 000 F. Ce qui change beaucoup de choses.
Prenons l'exemple d'un médecin qui a un emprunt de 600 000 F pour sa résidence principale. Il décide de constituer une SEL et de lui céder son cabinet pour ce montant.
Les droits d'enregistrement (déductibles) s'élèveront à 21 600 F et l'imposition de la plus-value (en supposant que notre praticien a créé sa clientèle) sera de 156 000 F (dont 30 600 F de déductibles).
Le coût total de l'opération sera de 177 600 F, dont 52 200 F de déductibles. Dans une tranche d'imposition à 53,25 %, l'économie d'impôt sera de 27 800 F. Par conséquent, le coût réel sera de 149 800 F.
Pour que notre médecin puisse rembourser l'emprunt privé de 600 000 F, la SEL devra emprunter 750 000 F. En prenant comme hypothèse des emprunts sur 7 ans au taux de 6,5 %, les intérêts sont de :
- 148 500F pour l'emprunt privé,
- 185 500F pour l'emprunt professionnel.
La déduction des intérêts de l'emprunt professionnel procurera une économie d'impôt de 98 800 F (dans une tranche à 53,25 %), ce qui ramènera le coût réel de ces intérêts à 86 700 F. Le coût total de la cession du cabinet, en incluant les intérêts, sera de :
149 800 + 86 700 = 236 500 F.
Si l'on compare avec le montant des intérêts de l'emprunt privé, on voit que l'on a payé, en fin de compte, environ 88 000 F de plus... On peut bien entendu considérer que la plus-value imposée ne le sera plus ultérieurement mais cela suppose que l'on soit certain de revendre son cabinet dans 10 ou 15 ans. Or rien n'est moins sûr car le nombre de médecins qui cessent leur activité sans céder leur clientèle (ou en cédant uniquement leur fichier) augmente régulièrement.
Le sort des plus-values
D'autant que le passage en SEL ne facilite pas la vente du cabinet à un successeur puisque les intérêts d'un emprunt contracté pour acquérir des parts de SEL ne sont pas déductibles (alors qu'ils le sont pour l'achat de parts de société civile professionnelle). Votre SEL devra donc vendre la clientèle au successeur et vous devrez supporter le coût de la dissolution.
Autre élément défavorable : dans les SEL soumises à l'impôt sur les sociétés, les plus-values à long terme sont traitées comme les plus-values à court terme et elles supportent donc l'impôt sur les sociétés à 33,33 % (ou plus, en fonction du moment...). Si vous avez la chance de vendre votre clientèle plus cher que son prix d'achat par la SEL, vous serez pénalisé une nouvelle fois.
Il faut noter enfin que l'exonération d'imposition des plus-values quand les recettes sont inférieures à 350 000 F ne s'applique pas aux SEL soumises à l'impôt sur les sociétés. Si vous êtes propriétaire de votre local professionnel et si vous risquez de payer une plus-value importante comme on le voit souvent, réfléchissez à deux fois avant de changer votre mode d'activité !
Au plan social
Nous avons vu que lorsque l'on exerce dans le cadre d'une SEL, les revenus peuvent être appréhendés de trois façons: en tant que salaires, en tant que revenus de gérant majoritaire ou en tant que dividendes.
Les revenus de gérant majoritaire suivent le même régime social que les bénéfices non commerciaux.
Les salaires supportent des charges sociales beaucoup plus lourdes que les revenus libéraux. Il suffit pour s'en convaincre de consulter l'excellent ouvrage édité par la CANAM, « Objectif Entreprise » ou d'aller sur le site www.canam.fr. Les simulations faites sont parlantes : pour un revenu de 500 000 F, il reste, après impôt et charges sociales, 333 000 F au travailleur indépendant et 266 000 F au salarié !
Les dividendes ne sont pas soumis aux charges sociales. Par contre, ils supportent la CSG, la CRDS et le prélèvement social de 2 %, ces contributions (10 % au total, dont 5,1 % déductibles de l'impôt sur le revenu) étant calculées sur le total dividendes + avoir fiscal. Elles correspondent donc à 15 % du dividende perçu.
Les bénéfices libéraux des médecins conventionnés secteur II supportent :
- la cotisation d'assurance-maladie au taux de 0,6 % dans la limite du plafond de la Sécurité sociale et de 5,3 % dans la limite de 5 fois ce plafond ;
- la cotisation de la CARMF, avec une partie fixe et une partie proportionnelle aux revenus (en tout 10,4 % jusqu'à un certain plafond) ;
- la cotisation d'allocations familiales au taux de 5,4 % (non plafonnée...) ;
- la CSG et la CRDS, au taux de 8 %.
A noter que ces cotisations sont déductibles, à l'exception de 2,9 % de CSG et CRDS, et que ces dernières contributions sont calculées sur le bénéfice majoré des cotisations sociales obligatoires.
Un nouvel exemple
Prenons l'exemple du Dr Delacroix, médecin conventionné secteur II dont le bénéfice non commercial s'élève à 400 000 F. Ses charges seront les suivantes (arrondies) :
- assurance-maladie : 22 300 F,
- CARMF : 76 400 F,
- allocations familiales : 21 600 F,
- CSG-CRDS : 41 600 F.
Soit un total de 161 900 F (dont 146 820 F déductibles). Remarquons au passage que ces charges représentent 40 % du bénéfice.
Si l'on prend un taux moyen d'imposition de 40 %, l'économie d'impôt sur le revenu sera de 58 800 F et le coût réel de ces charges sera de : 103 100 F.
Supposons maintenant que notre médecin exerce dans le cadre d'une SEL et qu'il a retiré 400 000 F de dividendes. Il paiera uniquement 10 % sur le total dividendes + avoir fiscal (soit 600 000 F), c'est à dire 60 000 F, dont 30 600 F seront déductibles. A un taux moyen de 40 %, l'économie d'impôt sera de 12 200 F soit un coût réel de 47 800 F.
L'écart de charges entre 400 000 F de bénéfice libéral et 400 000 F de dividendes est d'un peu plus de 55 000F, soit 13,8 %. Si l'on augmente le montant du bénéfice, l'écart diminue puisque les charges sociales sont partiellement plafonnées. On tombe assez rapidement à un écart de 9 %. Il en est de même pour les médecins du secteur I puisque leurs charges obligatoires sont moins élevées que celles du secteur II.
Mais, dans notre exemple, nous avons supposé que notre praticien avait prélevé uniquement des dividendes. Ce qui se révèle impossible en pratique ou, pour le moins, très difficile à réaliser, puisque les dividendes ne peuvent être distribués qu'après l'approbation des comptes de l'exercice. Il faut donc attendre généralement un an à un an et demi avant de pouvoir commencer à prélever des dividendes et profiter de la diminution des charges. Si vous transformez 200 000 F en dividendes, vous économisez de 18 000 à 25 000 F. Le jeu en vaut-il la chandelle ?
NDLR : Les chiffres des exemples ont été volontairement arrondis pour être plus lisibles.
Des inconvénients à ne pas négliger
L'exercice dans le cadre d'une SEL a d'autres inconvénients que l'on ne doit pas oublier. La société doit en effet, tenir une comptabilité de type commercial, avec bilan, compte de résultat, etc. Ce qui suppose qu'elle soit faite par un expert-comptable, à des tarifs beaucoup plus élevés que ceux d'une simple comptabilité libérale. Les SEL ont également des obligations juridiques qu'il est indispensable de respecter, d'où des coûts supplémentaires. La diminution des charges sociales sert donc en partie à payer les experts-comptables et les avocats.
En outre, ces sociétés doivent déposer leurs comptes au greffe du tribunal de commerce où tout le monde peut les consulter. Il suffira donc à vos confrères, à votre secrétaire ou à votre petite amie de se connecter sur Minitel ou sur Internet pour connaître le montant de vos revenus ou le détail de votre activité.
Enfin, le fait d'exercer dans le cadre d'une SEL oblige à une plus grande rigueur financière, relativement contraignante, surtout si vous avez un vrai associé. Vous ne pouvez pas prélever votre bénéfice au fur et à mesure comme dans un exercice individuel. Si vous êtes salarié et si vous souhaitez vous verser des dividendes, vous devez vivre avec votre salaire dans l'attente de la prochaine distribution de ces dividendes. Vous ne devez plus confondre votre poche avec la caisse de la SEL.
Cela étant, il est vrai que chaque cas est particulier et que ce n'est qu'après une étude précise (fiscale, sociale, juridique et financière) que vous pouvez prendre une décision.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature