La campagne présidentielle est-elle un moment privilégié pour tenter de faire pression sur les hommes politiques et obtenir satisfaction sur des revendications ? Plusieurs syndicats médicaux en doutent.
Le Dr Dinorino Cabrera, président du Syndicat des médecins libéraux (SML), relativise d'ailleurs l'élection présidentielle qui « n'est pas l'événement le plus important du monde ». Il affirme avoir commencé son lobbying « bien avant la campagne », au lendemain du plan Juppé de 1996, tant décrié par les médecins libéraux. Aujourd'hui, le Dr Cabrera préfère, non pas solliciter l'ensemble des candidats à l'Elysée, mais « s'en tenir aux gens qui sont au pouvoir », en l'occurrence Jacques Chirac et Lionel Jospin, afin de leur demander des comptes. Une fois n'est pas coutume, le Dr Pierre Costes, président de MG-France, semble sur la même longueur d'onde que le Dr Cabrera lorsqu'il dit « juger les hommes politiques seulement sur leurs actes et non sur des promesses électorales ».
Pour le Dr Costes, l'enjeu des élections, de toute façon, n'est pas si important pour l'avenir du système conventionnel. Le président de MG-France estime que la réforme en cours vers un système à trois étages (socle interprofessionnel, conventions professionnelles et contrats individuels) « se poursuivra au-delà des échéances électorales, présidentielle et législatives ».
Le président de l'Union collégiale des chirurgiens et spécialistes français (UCCSF), le Dr Jean-Gabriel Brun, ne se focalise pas non plus sur la campagne électorale. Le Dr Brun préfère concentrer les actions de « lobbying forcené » de son syndicat « au moment du vote de l'ONDAM [Objectif national des dépenses d'assurance-maladie, NDLR] par le Parlement », dans la mesure où la fixation de l'ONDAM détermine aussi les montants des enveloppes annuelles accordées respectivement à la médecine de ville et à l'hôpital. De même, le Dr Rachel Bocher, qui préside l'Intersyndicat national des praticiens hospitaliers (INPH), se montre assez sceptique sur l'impact des actions de lobbying pendant la campagne présidentielle. Et pourtant, elle « en fait, parce qu'il le faut pour faire contrepoids par rapport aux médecins libéraux et pour dire [aux décideurs politiques, NDLR] que l'INPH existe sur l'échiquier syndical ».
Une opportunité à ne manquer
Autrement dit, même si elle laisse perplexe, la campagne présidentielle constitue une occasion à ne pas manquer. Mine de rien, les centrales syndicales font donc pression de multiples façons.
L'union faisant la force, certains syndicats de médecins libéraux représentés par le Centre national des professions de santé (CNPS) ont participé récemment au coup d'éclat du mouvement « Santé en action », au côté des représentants d'autres professionnels de santé, de la fédération patronale des cliniques privées (la FHP), et des syndicats regroupant les industriels du médicament (SNIP) et des technologies médicales (SNITEM). Le mouvement « Santé en action » a choisi d'interpeller l'ensemble des candidats aux prochaines élections en présentant par voie de presse ses quinze propositions pour « moderniser notre système de santé, préserver et optimiser ses performances » (« le Quotidien » du 29 mars). Des cancérologues, associés à des administratifs et des malades au sein du « Cercle », viennent, à leur tour, de publier leurs propositions pour lutter efficacement contre le cancer.
Les rendez-vous en catimini avec les conseillers des candidats se sont bien sûr multipliés ces dernières semaines. Toutefois, les syndicats soulignent tous que, loin de harceler les états-majors politiques pour être reçus, ils se sont contentés de « répondre aux demandes » de part et d'autre, mais surtout de la droite.
Parmi les actions engagées par les différents syndicats médicaux, le questionnaire fait recette. Le Syndicat national professionnel des médecins du travail (SNPMT), l'Association des médecins urgentistes hospitaliers de France (AMUHF), et surtout la première centrale syndicale de médecins libéraux, la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF) se sont, entre autres, pliés à l'exercice.
Les douze questions de la CSMF
Le questionnaire de la CSMF a été adressé précisément à « sept candidats de l'élection présidentielle retenus pour leur capacité à constituer une composante parlementaire à l'issue des législatives », en l'occurrence François Bayrou, Jean-Pierre Chevènement, Jacques Chirac, Robert Hue, Lionel Jospin, Alain Madelin et Noël Mamère. Les douze questions de la CSMF portent à la fois sur le tarif de la consultation des médecins généralistes, la réforme de l'architecture conventionnelle, la place des cliniques, la retraite, l'ONDAM, et enfin sur les trois chevaux de bataille de la confédération que sont la régionalisation, la maîtrise médicalisée des dépenses et l'instauration d'un panier de soins remboursables. En attendant les réponses des sept candidats qu'elle a triés sur le volet, la CSMF prépare déjà un document d'une trentaine de pages. « Ce document, qui sera envoyé aux candidats fin avril, leur dira comment redonner confiance aux médecins libéraux en quatre-vingt-dix jours », explique le Dr Michel Chassang, nouveau président de la confédération. Dans ce catalogue de mesures-phares, on trouvera notamment la disparition des comités médicaux régionaux (CMR, devant lesquels comparaissent les médecins libéraux poursuivis par les caisses), la suppression des pénalités appliquées aux spécialistes du secteur I par le règlement conventionnel minimum, l'abrogation de l'article 77 du code de déontologie médicale sur la garde obligatoire, etc.
Le Dr Bocher a déjà envoyé aux QG de campagne la charte de l'INPH. La Fédération des médecins de France (FMF) envisage aussi d'envoyer aux principaux candidats à la présidentielle un courrier rappelant ses options et les préalables qu'elle pose pour négocier une convention médicale unique. « Ce sera peut-être sous la forme d'une lettre ouverte », précise le président de la FMF, le Dr Jean-Claude Régi. Quant à la coordination nationale indépendante des médecins généralistes, qui s'est constituée le 17 février en plein conflit, elle « a compris qu'(elle) n'aurait pas d'ouverture avant les élections » sur le C à 20 euros et se trouve aujourd'hui « en phase de réflexion », indique son porte-parole national, le Dr Jean-Marc Rehby. Cette organisation, qui fédère à ce jour 67 coordinations départementales, organise actuellement des « états généraux de la médecine ». « On va faire une synthèse des cahiers de revendications remplis dans les départements, si possible avant le premier tour de l'élection présidentielle », annonce le Dr Rehby. Selon lui, la coordination nationale des médecins en colère sera en mesure de proposer aux politiques « des réponses locales et spécifiques », tandis que « les technocrates ne connaissent pas les problèmes de base du terrain ». Pour l'instant, la coordination nationale n'exclut pas, d'ailleurs, de présenter des candidats aux élections législatives de juin.
Quoi qu'il en soit, il est clair que les syndicats médicaux ont déjà dans leur ligne de mire les législatives dont dépendra la composition du nouveau gouvernement et la place de la Santé parmi les autres ministères.
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