DEPUIS quelques jours, les responsables de syndicats médicaux ne pensent qu'à « ça », ou presque. Le taux de l'objectif national de dépenses d'assurance-maladie (Ondam) que fixera le gouvernement pour 2006, ou, plus précisément, sa répartition entre la médecine de ville et l'hôpital, est même devenu une obsession chez les principaux représentants des médecins libéraux, qui mesurent l'importance des arbitrages actuels (dans le cadre du projet de loi de financement de la Sécu) et multiplient les contacts, tractations et manœuvres de lobbying. En jeu : les marges de manœuvre financières qui seront octroyées aux divers secteurs soins l'année prochaine [ville, hôpital, cliniques, médico-social (1)] et, donc, la perspective pour les uns et les autres de se serrer la ceinture ou d'entrevoir une possible revalorisation de leur métier.
Les libéraux ont de bonnes raisons de se mettre en alerte. Selon nos informations, le gouvernement a l'intention d'appliquer aux soins de ville un taux d'évolution des dépenses nettement moins élevé que celui qui sera accordé à l'hôpital. Xavier Bertrand a en effet acquis la conviction que le secteur hospitalier public, soumis à de fortes tensions financières (les trois quarts des établissements sont dans le rouge) et sans aucune lisibilité budgétaire cette année en raison de la T2A, doit absolument bénéficier d'un « geste » en 2006 pour éviter l'explosion . Même si ce geste ne répondra pas, loin s'en faut, aux exigences de la puissante Fédération hospitalière de France (FHF), qui a réclamé un Ondam hospitalier en progression de 4,32 %.
En revanche, les soins de ville (honoraires, prescriptions, indemnités journalières, transports, etc.), dont la croissance sur les sept premiers mois de l'année reste modérée (+ 1,4 %), ne bénéficieraient pas des mêmes égards. Au ministère de la Santé, on planche sur un taux d'évolution compris entre 1 et 1,5 % au maximum, très éloigné des doléances des syndicats, qui rêvaient au moins du double. Un objectif proche de 1 % pour les soins de ville serait, en tout état de cause, historiquement bas.
Chassang : le spectre de 1995.
Pour Xavier Bertrand, toute la difficulté est donc de convaincre les syndicats de médecins libéraux (notamment ceux qui ont signé la convention) que le taux fixé pour la médecine de ville, dans un contexte particulièrement morose (il manque 900 millions de recettes pour la Sécu), reste « raisonnable » et permettra d'accorder certaines revalorisations d'honoraires en 2006, en particulier pour la médecine générale, priorité affichée de l'année prochaine. Xavier Bertrand devrait s'expliquer sur ce point dès les Universités d'été du SML et de la Csmf (la première s'ouvre aujourd'hui à Opio, la seconde se tiendra les 23, 24 et 25 septembre à Ramatuelle), au cours desquelles le ministre interviendra longuement devant les cadres syndicaux des deux principales organisations signataires. En fin politique, Xavier Bertrand devrait s'inscrire dans la perspective de 2007 en expliquant aux médecins libéraux que, pour eux, mieux vaut un gouvernement qui continue de leur faire confiance qu'une alternance politique aux conséquences risquées.
Il devra se montrer pédagogue.
Pour le Dr Michel Chassang, président de la Csmf, un taux de croissance des dépenses inférieur à 1 % pour la médecine de ville serait « intenable » et assombrirait immédiatement l'horizon tarifaire des praticiens concernés, alors que des négociations conventionnelles vont s'ouvrir dans les prochains mois pour explorer les pistes de revalorisation (elles portent sur l'acte de base - C -, la majoration des consultations auprès d'enfants âgés de 2 à 6 ans comme le prévoit la convention, des forfaits prévention...) . Sans parler de casus belli, et, alors que rien n'est arrêté, le Dr Chassang juge que le « spectre de 1995 est réel ». En renvoyant ainsi aux heures sombres du plan Juppé, ce durcissement dans le discours de la principale organisation partenaire sonne comme un avertissement au gouvernement quant à l'implication des libéraux dans la réforme de l'assurance-maladie. « Jamais les médecins n'ont été aussi sages (l'évolution des honoraires est en recul sur les sept premiers mois de cette année), analyse le Dr Chassang . Nous sommes en passe de tenir l'objectif fixé en 2005 pour la médecine de ville (+ 2,1 %, mais 3,1 % en prenant en compte l'euro payé par le patient) , ce n'est surtout pas le moment de revenir à une enveloppe pifométrique et comptable. » Surtout si l'hôpital, lui, est soumis à un régime beaucoup moins draconien. « En termes d'affichage, c'est terrible : on entérine la dérive hospitalière », met en garde le Dr Chassang.
Le Dr Dino Cabrera, président du SML, partage ce discours. Estimant que l' « effet-réforme » se confirme mois après mois en médecine libérale, il appelle le gouvernement à ne pas briser la dynamique de maîtrise en imposant un objectif « pénalisant » à la ville. « Celle-ci n'acceptera pas de supporter les conséquences de la non-maîtrise des dépenses hospitalières », ajoute-t-il.
Appliquer le programme de la convention.
Dans le camp des non-signataires de la convention, MG-France, qui plaide pour une revalorisation du C à 25 euros, n'est pas en reste. « Alors qu'il faut investir massivement sur les soins primaires, un Ondam serré pour la médecine de ville condamnerait tout espoir, serait le signal que la revalorisation des généralistes n'est qu'un discours et que la médecine générale restera une sous-spécialité ». Attention, ajoute-t-il, à ne pas « allumer la mèche d'une nouvelle révolte ».
Quant au Dr Jean-Claude Régi, président de la Fédération des médecins de France (FMF), il n'a « aucune information précise sur l'Ondam », mais constate, lui aussi, que Xavier Bertrand a désigné l'hôpital comme sa « priorité de la rentrée ». « On peut donc s'inquiéter », résume-t-il.
Faut-il y voir un indice de la mobilisation ? Le Centre national des professions de santé (Cnps, qui réunit 24 organisations syndicales et 12 professions de santé libérales) y est allé de son couplet en se disant « très préoccupé » par les bruits sur l'Ondam, qui laissent penser que « le taux proposé à l'hôpital serait disproportionné par rapport à celui de la médecine de ville ». Appelant à un « rééquilibrage », le Cnps rappelle que les transferts de l'hôpital vers le secteur ambulatoire « progressent à un rythme soutenu ». Même du côté de la Cnam, certains commencent à s'inquiéter d'une ventilation de l'Ondam qui serait trop déséquilibrée entre la ville et l'hôpital. « Des évolutions tarifaires ont été prévues dans la convention médicale, rappelle un chef de file du conseil. Il faut au minimum appliquer le programme, sinon, on prend le risque de décourager ceux sur qui repose la maîtrise des dépenses. »
Le gouvernement dévoilera ses intentions sur l'Ondam à la fin du mois. Hier, à l'initiative de la FHF, la communauté hospitalière devait se réunir pour discuter des besoins du secteur. Le Dr Chassang (Csmf) s'est lancé de son côté dans une « tournée des popotes », qui passe par l'Elysée la semaine prochaine. La partie d'échecs continue.
(1) S'agissant de l'Ondam médico-social, un sous-objectif suivra les dépenses relatives aux personnes âgées, un autre, celles qui ont trait aux personnes handicapées.
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