Les médecins libéraux méfiants ou vigilants

Publié le 03/06/2004
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« LE RETOUR À LA MAITRISE comptable pure et dure » du plan Juppé de 1995, c'est ce que craint le Dr Michel Chassang à la lecture de « certaines dispositions » du projet de loi de réforme de l'assurance-maladie. Le texte « prévoit que tout s'arrête dès lors que le comité d'alerte clignote ». « Il faut supprimer ce bazar », lâche le président de la Confédération des syndicats médicaux français (Csmf), dès lors que l'accélération imprévue des dépenses peut être liée à « une épidémie » ou à « l'utilisation de techniques innovantes ». Quant à l'hôpital, trop épargné selon lui par la réforme, « c'est le scandale des scandales ». Le président de la première centrale syndicale de médecins libéraux fustige de même le dispositif du médecin traitant ( « simple filtre administratif » sans la prise en compte des protocoles de soins), la possibilité d'une évaluation par l'assurance-maladie (Urcam), « la nomenclature mise sous la coupe de la convention » et surtout « la remise en cause de la prise en charge des cotisations sociales » des médecins conventionnés de secteur I.
Michel Chassang commet une « erreur de négociateur », estime pour sa part le président du Syndicat des médecins libéraux (SML). « Tenir des propos exagérés n'arrange pas la négociation et la bloque au contraire », fait valoir le Dr Dinorino Cabrera. Ex-allié de la Csmf depuis la fin de l'été 2003, le Dr Cabrera fait preuve d'une prudence de Sioux : « Pour le moment, les textes ne seraient pas définitifs, donc je ne donne pas d'avis définitif. » Le président du SML reconnaît cependant qu'il y a des « points sur lesquels (il) a besoin de rectificatifs ou de précisions ».

« Border les écueils ».
« L'interface avec l'hôpital n'est pas probante », note par exemple le Dr Cabrera. Et s'il approuve « la chasse aux comportements aberrants ou délictueux » en matière d'arrêts de travail, il « ne veut pas qu'on croie que tous les médecins sont des crapules ». Il relève aussi que le projet de loi renvoie « peut-être trop » de choses à la négociation conventionnelle, « avec des risques certains ». Mais la négociation « en juin et juillet » d'amendements du gouvernement devrait permettre de « border les écueils » au Parlement. En attendant, Dinorino Cabrera n'est « ni optimiste, ni pessimiste, ni béat » et souligne que, comme dans toute réforme douloureuse, « les médecins n'auront pas tout ce qu'ils demandent, c'est une évidence ».
A l'instar du Dr Cabrera, le président de MG-France ne donnera « un jugement final que sur une position finale » du gouvernement. Mais Pierre Costes relève d'ores et déjà qu' « en l'état actuel (le projet de loi) est insuffisant ». Reçu mardi prochain par Xavier Bertrand, MG-France « pense raisonnablement pouvoir faire avancer le texte », que ce soit sur la représentation des professionnels de santé dans la gouvernance, au niveau national et régional, ou sur « la réintroduction de plus de syndicalisme, de convention et de contrat ». Le Dr Costes note néanmoins que « des éléments vont dans le bon sens ». En particulier, il se félicite que la réforme prévoie « une variation du remboursement en fonction du comportement des assurés, enfin ! »
A l'Alliance, le Dr Félix Benouaich, qui doit être reçu ce matin encore par le secrétaire d'Etat à l'Assurance-maladie, « reste très vigilant ». Il n'est « pas encore rassuré » par le projet de réforme du gouvernement. « Il y a encore des choses à éclaircir, notamment sur le parcours de soins car tout dépendra des honoraires », précise le Dr Benouaich. De plus, l'Alliance « ne veut pas que les caisses deviennent toute-puissantes en donnant des sanctions sans l'avis du corps médical ».
Alors qu'elle souhaitait voir le gouvernement « prendre réellement ses responsabilités dans la gouvernance de l'assurance-maladie », la Fédération des médecins de France (FMF) constate « malheureusement qu'(il) a fait le choix contraire en s'en dégageant et en renforçant l'autorité et le pouvoir des caisses alors qu'il en avait récemment stigmatisé l'incompétence et le défaut de gestion ». En outre, la FMF rappelle « les échecs chroniques de négociations(médecins/caisses)depuis plusieurs années » et se demande s'il est « possible de négocier éternellement avec ceux qui agressent si injustement notre profession » par des sanctions financières et des déconventionnements en réponse aux dépassements tarifaires des médecins spécialistes de secteur I. La Fédération prône une fois de plus « la création d'un secteur unique à honoraires librement modulables », seule solution selon elle « pour sortir par le haut de cette crise ».
Quoi qu'il en soit, seul le Syndicat de la médecine générale (SMG, proche du mouvement Attac et exclu de la concertation) battra le pavé demain au côté des syndicats de salariés qui appellent à manifester partout en France.

> AGNÈS BOURGUIGNON

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7553