Le temps de la médecine
« SCIENCE étudiant les techniques de recherche de la preuve des crimes et de leurs auteurs et les procédés d'investigation policière propres à les mettre en pratique », la criminalistique, selon « le Petit Robert », est l'affaire des « juristes spécialisés dans le droit criminel ». Les criminalistes seraient donc des pénalistes. Faux : ce n'est pas en faculté de droit, mais au sein de la faculté de médecine René-Descartes, qu'est enseignée à Paris cette discipline. D'autres formations similaires sont également dispensées, à Marseille, Lille et Lyon, notamment, toujours dans des cadres médicaux.
A Paris-V, l'histoire du DU de criminalistique remonte à la fin des années 1980. Michèle Rudler et le Pr Lionel Fournier en furent les pères (et mère) fondateurs. Depuis deux ans, c'est le Pr Christian Hervé qui dirige cet enseignement au sein du département universitaire de médecine légale et de droit médical. Il a confié la coordination du diplôme de criminalistique à un médecin militaire, le Dr Yves Schulliar, sous-directeur scientifique de l'Institut de recherche criminalistique de la gendarmerie nationale, basé à Rosny-sous-Bois (Seine-Saint-Denis). Car le DU est le fruit d'une convention passée entre Paris-V et la gendarmerie, à l'instar de l'accord conclu à Lyon entre la faculté de pharmacie et le laboratoire de la police nationale.
Mixité étudiante.
Le caractère hybride de la discipline, tout à la fois juridique, scientifique, médical, se reflète aussi dans la « mixité » étudiante. Deux sur trois sont médecins ou issus du monde de la santé (pharmaciens, chirurgiens dentistes...). Les autres se recrutent parmi des avocats, des magistrats, des commissaires de police ainsi que des officiers de gendarmerie (grade de capitaine, au minimum). Mixité également dans les cours, puisqu'ils sont assurés aussi bien par des scientifiques de la gendarmerie ou de la police et aussi par des enseignants universitaires
« La démarche criminalistique, explique le Dr Schulliar, consiste à utiliser diverses sciences pour exploiter des indices en vue de la manifestation de la vérité. »
La palette des investigations est considérable, empruntant à des sciences et techniques aussi diverses que l'entomologie, l'odontologie, la biologie moléculaire, les empreintes digitales, la balistique, la graphologie, l'acoustique, l'informatique, l'expertise automobile, la toxicologie, les explosifs, les faux documents (aperçu non limitatif).
Le rôle clé du médecin-légiste.
« Evidemment, parmi tous ces spécialistes, poursuit le médecin-chef du Service de santé des armées, le médecin légiste a un rôle clé. Lorsqu'un cadavre est découvert et qu'on ne connaît pas la cause du décès, c'est lui bien souvent qui sera un des premiers intervenants sur la scène et saura repérer le caractère suspect des faits, ce qui déclenchera la suite des investigations techniques. »
Au final, au-delà de l'étude des indices eux-mêmes, c'est la valeur probante de ceux-ci qui va faire l'objet d'un travail d'interprétation et d'évaluation, dans l'environnement juridique de la chaîne pénale.
C'est ainsi que l'approche probabiliste des indices est conduite très certainement à prendre de plus en plus d'importance dans le procès pénal. Elle repose sur la théorie dite de Bayes, selon laquelle « la valeur de la preuve scientifique doit être étudiée à travers un rapport de vraisemblance qui rend compte de la force probante de la preuve considérée sous deux hypothèses (alternatives) opposées. »
En application de cette théorie, les résultats des analyses biologiques pratiquées, par exemple, sur des traces de sang vont être interprétés différemment selon que ces traces auront été collectées sur la scène du crime d'une manière plus ou moins compatible avec la nature de l'action criminelle. En d'autres termes, ce n'est plus la seule analyse de sang qui permettra de conclure qu'une personne est bien l'auteur d'un crime, l'expert doit la paramétrer avec tout un ensemble d'observations.
Les étudiants du DU de criminalistique sont donc appelés à s'exercer à ce délicat travail de l'interprétation, sans tout sacrifier dans leurs conclusions à la religion de la preuve scientifique. Cette perspective méthodologique nouvelle concerne, au-delà des seuls légistes, l'ensemble des spécialités de l'expertise médico-judiciaire.
« Les besoins de criminalistes sont très importants et ils ne cessent de croître », observe le Dr Schulliar. Le DU suit le mouvement, avec des bataillons d'étudiants en pleine expansion, passés de 30 l'an dernier à 50 cette année.
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