AVANT DE COMPARAÎTRE en qualité de simples témoins devant le tribunal correctionnel de Nanterre (Hauts-de-Seine), des médecins ont été plusieurs fois mis en cause par des prévenus. Ces coureurs, ou anciens coureurs, répondaient, tout au long de la semaine dernière, non pas d’un trafic de produits dopants, mais d’ «une somme de comportements individuels illicites dans un milieu fortement marqué par la prise de médicaments et de substances interdites», au terme de l’enquête du juge d’instruction Richard Pallain. Salarié de Cofidis entre 1997 et 2004, Philippe Gaumont, dénonçant l’ «hypocrisie générale» du milieu sportif, s’en est pris au Dr Armand Mégret, médecin de la Fédération française de cyclisme. Il l’a accusé de lui avoir «injecté (son) premier produit dopant de (sa) carrière, en 1994».
Le même coureur et son équipier Robert Sassone s’en sont pris aussi au médecin de l’équipe, démissionnaire en 2004, le Dr Jean-Jacques Menuet. Le premier l’accusait notamment de lui avoir injecté du Kenacort (un corticoïde classé produit dopant), lors du Tour de France 2003. L’ancien médecin de l’équipe espagnole Euskaltel, le Dr Jesus Losa, quant à lui, a été désigné par David Milar, ex-champion du monde du contre-la-montre, comme l’un de ses fournisseurs d’EPO.
Addictions aux somnifères et addictions sexuelles.
Intervenant à son tour devant le tribunal, le Dr Jean-Jacques Menuet a « affirmé haut et fort qu’en fonction des législations nationales et internationales, il a fait (son) boulot dans les limites qui (lui) étaient imparties», confirmant ce qu’il avait signalé lors de l’instruction : dès son arrivée chez Cofidis, il avait rencontré «des difficultés avec cinq ou six coureurs» (qu’il n’a pas nommés pour respecter le secret médical), lesquels présentaient notamment une «addiction au Stilnox» ainsi que des «addictions sexuelles». «Dans toutes les équipes françaises, a poursuivi le médecin du sport, il y a de telles addictions», car «le milieu est cruel». En l’occurrence, les difficultés observées étaient suffisamment graves pour qu’il ait jugé nécessaire de faire appel à un psychiatre.
Cela dit, le Dr Menuet a catégoriquement nié qu’il ait jamais aidé des coureurs à user de substances dopantes : «J’ai tout fait pour certains, a-t-il assuré, enleur disant “Pense à ta femme, à tes gosses” (...) Je pense être le seul médecin en France à avoir pris le risque un jour de signaler la conduite dopante d’un de mes coureurs.»
Le médecin de Cofidis ne disconvient pas qu’il a prescrit de nombreux produits aux coureurs, mais toujours des produits autorisés et, affirme-t-il, pour lesquels il attendait surtout un effet placebo, «en jouant sur la couleur ou le parfum».
Prédécesseur du Dr Menuet, démissionnaire en 1998 après le scandale Festina qui a éclaboussé Richard Virenque, le Dr Michel Provot a admis qu’il avait constaté pour sa part des traces d’injection sur les coureurs. «Ça arrivait, oui, a-t-il répondu au juge, mais comment intervenir lorsque l’on a exclusivement un rôle de surveillance et absolument pas de préparation des coureurs?»
Le Dr Provot avoue qu’il s’est «senti impuissant par rapport à la problématique».
Médecin fédéral, le Dr Armand Mégret a de son côté démenti avoir «jamais fait de piqûre de Kenacort», «ni à Gaumont ni à aucun autre coureur».
«La culture de la seringue», selon la formule de la présidente du tribunal, semble prégnante, à entendre l’ensemble des prévenus, qui racontent comment ils ont «sniffé» des médicaments en les arrosant d’alcool, et comment ils s’arrêtaient dans les camping-cars avant les contre-la-montre, là où chacun passe à tour de rôle pour se faire piquer. Piqûres de produits dopants pour lesquels les coureurs se débrouillaient par leurs moyens « propres », mais également injections de substances autorisées : vitamines, glucose, Guronzan, Dafalgan, caféine.
Ces ordonnances autorisées ont atteint chez Cofidis pour la seule année 2003 la somme de 37 000 euros, comme l’a révélé l’instruction du dossier. « On se dit, commente la présidente du tribunal, que tous ces coureurs doivent être gravement malades pour dépenser autant en médicaments.»
De fait, lance à la barre Philippe Caumont, «dans les 200premiers du classement de l’UCI (Union cycliste internationale), il n’y a pas plus de 5% de coureurs qui n’ont jamais eu recours au dopage».
Appelé à fournir des précisions sur les données recueillies dans le cadre du suivi longitudinal des coureurs, le Dr Mégret a tempéré ce catastrophisme, tout en notant que lors de la mise en place du suivi, en 1999, «pratiquement 60% des coureurs professionnels accusaient un taux de fer anormalement élevé, les prises de fer permettant notamment de couvrir la prise d’EPO, mais aussi d’améliorer l’oxygénation du sang». «Aujourd’hui, ajoute le médecin fédéral, le taux de fer est retombé à 20 ou 22%, alors que, précise-t-il, on suspecte des risques cancérigènes» liés à l’excès de fer. La lutte antidopage, dans un contexte exécrable, commencerait-elle à porter enfin ses fruits ?
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