LES MÉDECINS du travail du centre médical de la Bourse (CMB) ont la responsabilité des enfants du spectacle (cinéma, musique, télévision, théâtre et cirque). C'est à eux que revient d'évaluer l'aptitude d'un moins de 16 ans à participer à une production, en fonction de son état de santé et des exigences du rôle. Après examen de l'enfant, leur avis est transmis à la commission préfectorale, qui, sous la houlette du président du tribunal pour enfants, prend la décision finale.
Actuellement, c'est le sort des jeunes acteurs de cinéma qui inquiète le plus les médecins du CMB. Dans une étude réalisée à la demande de leur médecin de tutelle, les Drs Marie-Françoise Devineau, Jean-Marie Millot, Claudine Offenstadt et Sylvie Thibault en expliquent les raisons avec de nombreux exemples.
Le scénario doit être lu avec la plus grande attention car il peut receler des dangers en raison des antécédents de l'enfant. Il faudra «déceler une fragilité liée à une cardiopathie, une néphropathie, une insuffisance staturo-pondérale, pour un scénario impliquantun travail long et fatigant: conditions météorologiques particulières, déplacements, travail dans l'eau, travail nocturne». Il faudra chercher (carnet de santé, éventuel protocole d'accueil individualisé à l'école) des antécédents d'allergie ou d'asthme : un jeune comédien devait participer à un tournage avec des chevaux, alors qu'il était allergique aux poils de ces animaux, un autre devait grignoter des cacahuètes dans une scène d'apéritif, alors qu'il était allergique à l'arachide.
Prudence aussi en cas d'antécédents orthopédiques. En tout cas, décision au cas par cas. Un avis favorable pour un film a été donné malgré une fracture récente car l'enfant circulait en calèche et «le réalisateur faisait preuve d'une grande vigilance».
Les antécédents neurologiques et psychiatriques seront de même examinés avec soin. Attention en cas de comitialité : «Un enfant épileptique fatigué ou privé de sommeil présentera un haut risque de crise.» Un enfant instable, en difficulté scolaire, a été jugé inapte. Tandis qu'un autre, traité pour autisme et qui suivait une scolarité adaptée, a été déclaré apte – «cela peut le valoriser»–, les conditions de tournage faisant cependant l'objet d'une prudence particulière. Quant à un enfant qui présentait somnambulisme et terreurs nocturnes, il a été déclaré inapte pour un film impliquant des scènes violentes, qui auraient pu aggraver son angoisse, d'autant que le réalisateur estimait que, pour faire pleurer un enfant à l'écran, il fallait le maltraiter un peu.
En l'absence d'antécédents, le danger peut être lié au scénario lui-même. Il faut penser à tout. Un enfant a été victime d'hypothermie en répétant des scènes se déroulant dans un torrent au Canada. Dans un autre film, le jeune acteur devait traverser une rivière à la nage, alors qu'il ne savait pas nager. Pour le même film, les temps de tournage étaient trop longs. Ce facteur n'est pas facile à évaluer lors de la visite médicale, soulignent les médecins du CMB, même en lisant soigneusement le scénario.
Mort plusieurs fois.
Les praticiens doivent aussi se pencher sur la question des gifles, parfois fictives, parfois tout à fait réelles, voire très fortes, comme s'en est plaint le père d'un enfant acteur. Dans une série, une adolescente qui devait être giflée avait demandé un petit morceau de moquette à appliquer sur sa joue, le réalisateur a refusé. Dans un film, la mère avait donné son accord et pourtant la jeune actrice était très maigre. «Il ne s'agit pas de sadisme pour le réalisateur, reconnaissent les praticiens, mais du désir d'une scène réaliste alors que des fonds importants sont engagés. A nous, médecins du travail, de demander qu'aucune violence ne soit faite à l'enfant, même d'une manière fugace et sans méchanceté.»
Les violences psychologiques sont non moins à prendre en compte. Que penser d'un scénario dans lequel un enfant est tué ou dans lequel il est lui-même un assassin ? Une petite fille avait été examinée par un pédopsychiatre car elle avait peur de son rôle, qui lui faisait assassiner son père. Une longue négociation a eu lieu avec le metteur en scène, qui a, autant que faire se pouvait, modifié les scènes. Un autre jeune acteur avait beaucoup changé après un rôle d'enfant martyrisé. Le pédopsychiatre a demandé à le revoir, un suivi psychothérapeutique pouvant atténuer les effets négatifs d'un tournage. D'autres enfants ne sont guère atteints, comme celui dont sa mère dit avec le sourire qu'il est mort plusieurs fois et qui, selon le réalisateur qui le fait tourner actuellement, est un grand professionnel.
Au chapitre des violences psychologiques figurent les pressions exercées sur les enfants, parfois par des parents fascinés par le monde du spectacle et les bénéfices financiers possibles. Les médecins du CMB citent deux cas. Celui du choix d'une fillette pour un rôle d'anorexique, une enfant d'ailleurs trop jeune par rapport à la description classique de l'anorexie ; entre deux petites filles, les médecins ont poussé la production à choisir la moins vulnérable. Ils sont de même intervenus alors qu'une mère était prête à faire encore grossir son enfant déjà obèse, mais pas assez aux yeux du réalisateur. Il a été décidé que l'enfant ferait un régime sérieux après le tournage mais qu'on ne « l'engraisserait » pas pour le film.
Les scènes liées à la sexualité font bien sûr l'objet d'un examen attentif. Le principe de base : pas de nu ni de scène d'amour en dessous de 16 ans. Mais, notent les médecins, la pédophilie est un thème à la mode. Ils ont dû intervenir, avec décision d'inaptitude, pour un film avec des images de nécrophilie. Et pour une pièce sur le même thème, ils ont demandé une modification du rôle.
Parfois, l'appréciation de l'aptitude est plus subtile. Dans un court métrage récent, une fillette de 8 ans est amoureuse de son père et déteste sa mère handicapée. Le pédopsychiatre a lu le texte avec l'enfant en lui parlant de « Peau d'âne » et des difficultés de communication du père.
Enfin, les médecins du centre médical de la Bourse s'interrogent sur le retentissement à moyen ou long terme, sur lequel ils préparent une étude, avec la collaboration de pédopsychiatres. L'enfant fait la part entre fiction et réalité vers 8-10 ans, notent-ils. Au-dessous de cet âge, le danger est plus grand. Un suivi psychiatrique sera utile pour les enfants qui ont joué leur propre mort ou dont le personnage a été victime de violences.
En concluant leur bilan, les médecins évoquent l'accusation de censure qu'on leur oppose parfois. «On doit bien avoir à l'esprit que le CSA* détermine l'aptitudeà voirdes images, d'où l'interdiction aux moins de 10, 12, 16 ou 18ans. Le CMB, lui, détermine l'aptitude de l'enfantà fairedes images, enfant mineur, entouré, sollicité, et souvent vite oublié.»
* Conseil supérieur de l'audiovisuel.
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