LA RÉFORME de la médecine du travail achevée, cinq syndicats de praticiens dressent un bilan très sombre de l'évolution de leur métier.
En premier lieu, le Syndicat national des professionnels de la santé au travail (Snpst) et les fédérations santé des syndicats CFE-CGC, Cftc, CGT et FO ne décolèrent pas contre la circulaire du 7 avril 2005 de la Direction des relations du travail (DRT du ministère de l'Emploi, du Travail et de la Cohésion sociale). Cette circulaire a parachevé la transformation de la médecine du travail en services pluridisciplinaires de santé au travail en augmentant considérablement le nombre de salariés que doit surveiller chaque médecin du travail. Alors que chaque praticien avait auparavant environ 2 900 salariés sous sa responsabilité, il en a désormais officiellement 3 300. En réalité, « on est plus près des 6 000 salariés couverts », selon Pierre-Yves Montéléon de la Cftc, puisque les salariés précaires ou à temps partiel ne sont plus comptabilisés à part entière, mais seulement au prorata de leur temps de présence dans les douze derniers mois, selon la circulaire. Quant aux jeunes salariés de moins de 26 ans embauchés depuis le 22 juin 2005, ils ne sont « pas pris en compte » dans le calcul des effectifs des entreprises (depuis l'ordonnance du 3 août 2005 applicable jusqu'à fin 2007).
« La réforme "charge la mule" en partant du principe que la productivité des médecins du travail peut être accrue. Jusqu'où ? », s'interroge Pierre-Yves Montéléon. « On nous met dans l'incapacité de faire correctement notre travail », renchérit le Dr Mireille Chevalier, du Snpst.
Objectifs manqués.
La réforme lancée par les partenaires sociaux en septembre 2000 visait en théorie à alléger la charge des médecins du travail, d'une part, en espaçant de 12 à 24 mois les visites des salariés les moins exposés aux risques et, d'autre part, en faisant intervenir en renfort d'autres experts de la prévention des risques professionnels (ingénieurs, ergonomes, hygiénistes...).
Mais pour les syndicats Snpst, CFE-CGC, Cftc, CGT et FO, la réforme a manqué ses objectifs. « En pratique, raconte le Dr Chevalier, la visite tous les deux ans n'a pas donné l'oxygène escompté pour le tiers-temps », c'est-à-dire les actions de prévention en milieu de travail, auxquelles chaque médecin à temps plein est censé consacrer 150 demi-journées par an. Le nombre de visites n'a pas été divisé par deux, selon elle, puisque les salariés placés en surveillance médicale renforcée ont toujours droit à une visite annuelle.
Par ailleurs, les syndicats observent un « turnover accéléré dans les entreprises » et par conséquent une « multiplication des urgences » : visites de reprise (après une suspension du contrat de travail) et visites d'embauche successives pour les salariés qui accumulent les emplois précaires. Dans ces conditions, le Dr Annie Charpin, de FO, se demande si, faute de temps, elle arrivera à recevoir les autres salariés employés en CDI « non pas tous les deux ans, mais tous les trois ou quatre ans ». Or l'espacement des visites obligatoires « ne permet pas de voir surgir les problèmes de harcèlement », fait remarquer le Dr Sylvina Gélin, de la CFE-CGC.
Pénurie.
Les intervenants en prévention des risques professionnels (Iprp) ont fait leur apparition au côté des médecins dans les services de santé au travail devenus pluridisciplinaires, mais leur nombre serait insuffisant. Selon Pierre-Yves Montéléon, « les 600 Iprp recensés au niveau national ne vont pas combler les besoins », d'autant que « leur indépendance se limite à une déclaration d'intention ». « La pluridisciplinarité, nous sommes tous pour, précise André Causse de la CGT, à condition que les Iprp interviennent en plus et non à la place des médecins du travail. »
La pénurie de médecins spécialistes dans cette discipline, qui existait déjà avant la réforme, « n'arrange rien », souligne Pierre-Yves Montéléon, qui dénombre « 300 départs de médecins du travail par an contre 114 entrées cette année ». Parmi les nouveaux praticiens de la spécialité, quatre-vingt-quatre passent par l'internat et le concours européen (sur 100 postes ouverts) et trente sont d'anciens médecins généralistes libéraux reconvertis. Or « dans dix ans, les médecins du travail seront moitié moins nombreux », rappelle Pierre-Yves Montéléon, compte tenu de l'accroissement prévisible des départs en retraite dans les prochaines années.
Les syndicats plaident donc en faveur d'une « revalorisation de la santé au travail et de la prévention » et regrettent « l'absence de moyens » du nouveau plan (voir encadré) présenté en février dernier par le gouvernement.
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