Le Dr Jacques Broche, 60 ans, généraliste à Bagnols-sur-Cèze, petite ville du Gard qui compte 25 000 habitants, avait déjà vu l'eau monter plus haut. En 1958, se souvient-il, le niveau excédait d'environ 40 cm celui mesuré au plus gros de la crue. « Mais, cette fois-ci, observe le praticien, l'étendue de l'inondation dépasse tout ce qu'on a jamais connu. C'est la totalité de la vallée de la Cèze qui a bu la tasse. Murs effondrés, arbres arrachés, rues transformées en torrents, où que porte le regard, c'est un spectacle d'apocalypse. »
L'émotion du Dr Broche est à son comble. Il vient tout juste d'apprendre, à peine son téléphone rétabli, le décès d'un de ses patients. Probablement l'une des dernières victimes retrouvées parmi les 19 officiellement recensées mardi et la douzaine de disparus. « C'était un homme seul de 85 ans. Lundi soir, par trois fois, les pompiers ont tenté de le convaincre d'évacuer sa maison. Mais rien n'y a fait. Comme on dit en provençal, c'était un reboussier. Plus on insistait, plus il s'opposait. Alors quand, peu après, l'eau est brutalement montée jusqu'à son toit, à trois mètres, on a compris qu'il était perdu. D'autant que, handicapé de la hanche, le vieil homme avait une mobilité réduite. »
De fait, le lendemain matin, dès que la décrue a permis d'accéder à la maison, les pompiers n'ont pu que constater le décès.
Le cas d'une noyade à domicile est rarissime. Les naufragés piégés chez eux sont récupérés par les hélicoptères qui les hélitreuillent depuis leurs toits. La plupart des victimes et des disparus ont en fait été surpris, happés par la violence des éléments alors qu'ils s'aventuraient sur les routes devenues mortelles. Comme ce touriste ardéchois dont la voiture a été emportée sur la commune de Saint-Christol-lès-Alès, à quelques kilomètres au sud d'Alès. « C'est mon père, médecin à la retraite, qui a retrouvé son corps dans les vignes, lundi matin, raconte le Dr Pierre-Henri Hourcade, généraliste qui a pris la relève de son père. Il n'y avait plus rien à faire. »
Autre victime probablement emportée par les flots déchaînés, ce motard de 20 ans dont on est sans nouvelle depuis son départ de Saint-Quentin-la-Porterie (Gard). « Nous avons eu aussi une personne âgée qui a été repêchée trop tard », déplore le Dr Claude Besset-Prat, généraliste dans ce bourg situé au sud-est d'Alès.
Il y a eu encore le cas de ce médecin urgentiste nîmois, colonel des pompiers, parti pour une urgence à bord d'un véhicule lourd et qu'on a cru perdu pendant plusieurs heures, lundi (voir encadré).
Files d'attente à la boulangerie
Mais, hormis la trentaine d'urgences vitales qui ont été traitées durant quarante-huit heures dans le cadre du plan ORSEC déclenché par la préfecture, en liaison avec les pompiers, la Croix-Rouge, les SAMU et les SMUR, les généralistes que « le Quotidien » a pu joindre téléphoniquement, sous le choc, constatent, à l'instar du Dr Hourcade, qu'avec la décrue enfin intervenue les gens font plutôt massivement la queue à la boulangerie que chez le médecin. Avec, au dehors, un réseau routier sinistré qui empêche d'aller s'approvisionner dans les centres commerciaux, et, chez soi, des provisions qui ont pris l'eau, les petits commerçants sont en effet pris d'assaut quand ils ont pu sauver leurs marchandises.
« Quand l'eau a cessé de monter, lundi, témoigne le Dr Raymond Fermaud, généraliste à Orange, j'ai reçu quelques visites de patients souffrant de crises d'angoisse. Mais nous n'avons pas à faire face à une situation épidémique ou pré-épidémique. Et les gens, aujourd'hui, sont plus focalisés sur les dégâts matériels que sur des problèmes de santé. »
Comme un vent de panique
Il y a tout de même eu « comme un vent de panique qui a soufflé pendant plusieurs heures, estime le Dr Broche. Et l'atmosphère qui règne dans la ville, depuis, est bizarre. Les gens sont traumatisés. Beaucoup ont tout perdu. Ils ont besoin d'un soutien psychologique. Parfois, de légers tranquillisants doivent être prescrits ».
Lundi, tous les cabinets médicaux étaient fermés dans la sous-préfecture du Vaucluse.
A fortiori, dans tout le département voisin, le Gard, le plus durement touché par l' « épisode cévenol », ce phénomène d'arrivée d'air chaud et humide sur les contreforts du Massif central. « A Alès, explique le Dr Pierre Feuillade, généraliste, nous n'avions plus d'eau, d'électricité, ni de téléphone. L'eau était montée jusqu'à un mètre. Toutes les caves étaient inondées. Hors de question de sortir dans ces conditions. Les consultations ? Quelques rares patients sont passés au cabinet. En général pour des problèmes sans rapport direct avec la catastrophe. »
« C'est paradoxal, confirme le Dr Frédéric Martin, omnipraticien nîmois. Nous avons moins de consultations qu'en période normale. »
Même constat du Dr Pierre Boulot, généraliste à Lunel (Hérault), où une digue s'est rompue, entraînant une immédiate montée des eaux d'un mètre et qui juge « impressionnant le spectacle des gens en larmes, hagards, épuisés ».
« Les gens sont sous le choc, évidemment ils sont très affectés, remarque le Dr Besset-Prat, mais ils s'épaulent, ils sont solidaires ; pour les secours, pour reconstruire ce qui est tombé et aussi pour se soutenir le moral. Contre une pareille fatalité, tout le monde participe. C'est vrai que nous avons l'habitude des inondations. Chaque année, Saint-Quentin-la-Porterie y a droit. Mais cette fois, c'est tout le département qui est sous les eaux. »
Mardi, en fin de journée, quelque 150 000 lignes téléphoniques restaient coupées, essentiellement dans les 120 communes qui entourent Alès. Le réseau mobile ne se porte pas mieux, les 43 antennes relais qui assurent le maillage des portables étant privées d'énergie.
A Sommières, ce bourg médiéval construit pour moitié dans le lit du Vidourle, fleuve côtier torrentueux du Languedoc et qui a connu, dit-on, sa plus forte crue depuis quarante-quatre ans, les 3 600 habitants sont coupés du monde depuis dimanche.
Mais nombreuses sont les petites agglomérations plongées dans le même silence, « en raison des circonstances exceptionnelles », comme le répète le disque mis en place par France Télécom. Ainsi Piolenc et ses 5 0000 habitants, dans le Vaucluse. Seule des 6 médecins à pouvoir être jointe, le Dr Malika Addala. « C'est parce qu'en fermant mon cabinet, samedi, sous un beau soleil, j'avais renvoyé ma ligne sur mon domicile, à Orange, explique-t-elle. Depuis, malgré la décrue bien amorcée mardi, impossible de rentrer à Piolenc. Ni même de joindre les confrères restés sur place. » Les seules nouvelles que le Dr Addala a reçues, c'était mardi, en regardant le journal télévisé régional de France 3 : « J'ai reconnu la façade de mon cabinet. J'ai peur pour mes dossiers et pour mon ordinateur. Et je ne peux rien faire. C'est cette totale impuissance qui est plus déprimante que tout. »
Appels de la Croix-Rouge et du Secours catholique
La Croix-Rouge a mobilisé dès mardi un dispositif de plus de 150 volontaires, déployés dans le Gard, l'Hérault et le Vaucluse, autour d'une douzaine de centres d'hébergement. Un millier de sinistrés y sont accueillis, notamment à Sommières, Uzès, Nîmes et Orange. Un poste de commandement avancé a également été installé à Nîmes, avec une cellule de soutien psychologique.
De son côté, le Secours catholique participe à l'organisation d'un préaccueil d'urgence médico-psychologique à la base aéro-navale de Nîmes-Garons. Trois cents personnes, dont la plupart ont été hélitreuillées, y ont été traitées dès l'ouverture.
Les deux organisations caritatives lancent un appel à la générosité du public pour soutenir et intensifier leurs efforts en faveur des populations sinistrées.
Croix-Rouge française - Inondations Sud France, BP 100, 75008 Paris.
Secours catholique/Caritas France - Inondations Sud-Est France, 106, rue du Bac, 75007 Paris.
Un médecin porté disparu pendant quatre heures
Lundi, 14 h. Le téléphone sonne chez le Dr Jean-Claude Deslandes, réanimateur et médecin-chef des pompiers de Nîmes. C'est le cabinet du ministre de l'Intérieur qui lui annonce que son confrère, le Dr Thierry Prunet, est porté disparu depuis trois heures. Ce réanimateur libéral, médecin-colonel des pompiers nîmois, avait été appelé à 11 h pour une urgence, dans une village sinistré, quelque part entre Nîmes et Alès, là où les éléments se sont déchaînés avec la plus grande violence. Une parturiente avait appelé au secours. Le Dr Prunet avait aussitôt pris place à bord d'un véhicule lourd des pompiers, avec un chauffeur et un infirmier.
Tout à coup, le camion a été happé par les flots. Le chauffeur et l'infirmier s'en sont extraits à temps et ils ont réussi à se mettre à l'abri en grimpant aux branches d'un arbre. Mais, dans la tourmente, on a perdu toute trace du médecin colonel.
Le Dr Deslandes, ses amis et confrères sont sous le choc quand, vers 16 h 30, l'improbable nouvelle arrive : un hélicoptère qui quadrillait le secteur, alerté par le mouvement suspect des branches d'un arbre alors que le vent était retombé, repère un rescapé accroché dans la ramure, à un kilomètre du lieu où a été emporté le camion. Le Dr Prunet est sain et sauf !
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