AU XIXe SIÈCLE, la médecine « libérale » est précaire : les médecins demandent certes des honoraires à leurs patients, dont ils définissent eux-mêmes le montant, mais, en l’absence de toute assurance sociale, seuls les malades aisés sont en mesure de les payer. Les médecins ruraux sont souvent payés en nature et acceptent des paiements échelonnés sur de longues périodes. D’une façon générale, près d’un acte sur six n’est jamais payé, parce que le patient n’a pas les moyens, et les médecins hésitent à entreprendre des procédures de recouvrement. En pratique, ce sont les patients riches qui, en payant des honoraires plus élevés, compensent les impayés ou les faibles honoraires des malades démunis.
Certains médecins proposent des abonnements à leurs patients.
Vers 1900, Paris compte 2 500 médecins, dont la moitié gagnent moins de 8 000 francs par an, somme considérée comme permettant de vivre «honorablement», mais beaucoup atteignent à peine le revenu d’un ouvrier, soit entre 2 500 et 3 000 francs (1 franc de 1900 équivaut à 3,50 euros). Ils doivent déduire de ces sommes d’importants frais généraux et un impôt fixe, la patente, si bien que certains sont au seuil de la pauvreté. Les faillites ne sont pas rares, et il n’est pas exceptionnel que des médecins soient condamnés pour des vols de produits de première nécessité.
Au-delà des clientèles impécunieuses ou rares, les médecins peuvent sombrer dans la misère à la suite d’un accident ou d’une maladie qui les empêche de travailler. C’est pour prévenir ces situations que les associations de prévoyance médicale voient le jour vers 1850, à l’image de l’Agmf.
A l’autre bout de l’échelle des revenus, les médecins des beaux quartiers, les ténors de la profession, les chirurgiens connus et les professeurs de la faculté de médecine affichent un train de vie somptueux, avoisinant les 50 000, voire 100 000 francs, quelques dizaines d’heureux élus gagnant plus de 300 000 francs par an, soit plus de 1 million d’euros. Les professeurs cumulent leurs traitements d’enseignants avec des émoluments hospitaliers et, surtout, leurs honoraires privés, proportionnels à leur notoriété.
Revenus annexes.
Entre ces extrêmes, beaucoup de médecins tentent d’améliorer l’ordinaire de leurs consultations avec des revenus annexes : charges administratives et médicales diverses, comme médecine des prisons, des douanes, campagnes de vaccination ou postes de médecin des pauvres, mais aussi fonctions hospitalières. Nombre de médecins de campagne complètent leurs revenus par des activités agricoles. Les médecins qui possèdent une fortune familiale tirent de leurs placements ou de leurs propriétés des compléments substantiels de revenus, ce que ne peuvent faire ceux qui partent de rien, et qui sont confrontés, dès le début, à de nombreuses difficultés, dont le coût élevé des études.
Dès le milieu du XIXe, les sociétés de secours mutuelles, ancêtres des caisses de maladie, prennent en charge les soins médicaux des ouvriers, mais à des tarifs extrêmement bas. Les médecins qui soignent ces patients n’ont guère d’autre choix que d’accepter ces montants, même s’ils se rattrapent ensuite sur les patients aisés. Vers 1890, les premiers syndicats médicaux définissent des tarifs d’honoraires, mais qui restent souvent purement indicatifs en l’absence de partenaires légaux. Il faut attendre la loi sur les assurances sociales de 1928 pour que les tarifs opposables et les lettres clés se mettent en place, avec notamment les C, les CS, les V et les K. Les lois de 1928 et de 1932 sont un premier pas vers la création de la Sécurité sociale, qui se généralisera à presque tous les Français en 1946. Dès les années 1920 aussi, les médecins se demandent s’il est dans leur intérêt de se conventionner, c’est-à-dire de travailler avec des tarifs opposables remboursés par les caisses, ou de rester totalement libéraux. Le débat sur les conventions, individuelles ou collectives, a gardé aujourd’hui toute son actualité.
La consultation à 3 francs.
Le prix d’une consultation, vers 1900, oscille à Paris entre 3 et 5 francs (de 10 à 18 euros), une visite coûtant le double. A cela s’ajoutent de nombreux suppléments en fonction de l’acte effectué, les prix étant en général majorés pour les patients riches et réduits pour les autres. Les spécialistes estiment que leur acte vaut le double d’un acte de médecine générale, en raison de la technicité et du matériel utilisé, et ils établissent des tarifs selon ces principes.
Alors que la médecine libérale est considérée aujourd’hui comme beaucoup plus économique que l’hôpital, l’inverse prévaut jusque dans les années 1950, car l’hôpital soigne d’abord les pauvres, à des tarifs très modérés. Les honoraires libéraux sont donc nettement plus élevés que les salaires à l’hôpital, mais les hospitaliers ont le droit d’avoir des consultations privées, dont les montants sont parfois très élevés.
Après 1946, l’avènement de la Sécurité sociale a contribué à niveler les revenus des médecins, tant vers le haut que vers le bas. Le montant des honoraires opposables, certes trop peu élevé aux yeux des médecins, a été compensé par une forte augmentation de leur activité en volume : aller chez le médecin n’est plus un luxe, et les praticiens ont profité, eux, de l’afflux de patients. Si la situation économique des médecins d’aujourd’hui est effectivement plus difficile qu’il y a trente ou quarante ans, époque de prospérité générale en France comme ailleurs, elle est nettement plus stable, et généralement meilleure que ce qu’elle était il y a une centaine d’années.
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