«JE NE VISITE plus mes patients le soir sans mon petit Taser, confie le Dr L., pneumologue libéral installé dans un quartier de la banlieue de Meaux(Seine-et-Marne). Il faut dire, explique-t-il, qu'on m'a tout fait: on m'a cambriolé, piqué la bagnole, caillassé le pare-brise, j'en passe. À plusieurs reprises, j'ai donc déposé à la préfecture des demandes de port d'arme, qui ont systématiquement été rejetées, au motif que seuls les professionnels transportant des valeurs ont le droit de s'armer. Du coup, il y a six mois, j'ai contacté la firme Taser et j'ai fait l'acquisition du modèle StoperC2. Depuis, je suis tranquillisé et je peux me rendre à neuf ou dix heures du soir chez mes patients pour brancher des polygraphes dans des quartiers où même la police évite de s'aventurer.»
Le Dr L. se garde bien de jouer les cow-boys. Il assure qu'il n'a qu'une envie : ne pas se servir de son arme. Et il ne tient pas particulièrement à faire sa promotion, s'exprimant sous le sceau de l'anonymat. Pour lui, «le StoperC2 n'est pas forcément le remède miracle au problème de l'insécurité des praticiens. Si je tombe sur plusieurs agresseurs, avec ou sans Taser, je suis foutu, note-t-il. Mais c'est sa détention qui me permet de continuer à exercer ici sans arrière-pensée». La dangerosité du Taser ? «A priori, répond-il, les agresseurs sont des jeunes en bonne santé et les études semblent montrer qu'il n'y pas de risque particulier avec ce voltage.»
« Réconforté ».
Généraliste en région dans la Seine-Saint-Denis, le Dr B. a lui aussi été confronté à la violence des banlieues. C'est après avoir été tabassé il y a quelques années dans son parking qu'il s'est résolu à acheter une arme électrique. En l'occurrence un électrochoc Power 200, à quatre électrodes, acheté dans une armurerie. Pour lui aussi, le bénéfice de cette acquisition est avant tout psychologique : «Je me sens réconforté; quand je fais mes visites, je mets mon arme dans ma poche en espérant ne jamais avoir à m'en servir. Au cabinet, elle est rangée dans une armoire. Quand je repère dans la salle d'attente un patient au profil un peu inquiétant, je la mets dans le tiroir de ma recette.»
Le Dr Guy Fontaine, cardiologue hospitalier à la Pitié-Salpêtrière, sans s'être lui-même équipé, comprend, dit-il, les confrères qui ont fait ce choix. Selon lui, «le Taser, c'est l'arme bioélectronique de demain, l'arme écologique par excellence, qui provoque la saturation sans risque pour les fonctions neuromusculaires. Au nom de quel principe, demande-t-il, les médecins n'auraient-ils pas le droit à la légitime défense, de même que n'importe qui, facteur, commerçant ou simple particulier victime d'une agression qui peut mettre sa vie en danger?»
Le directeur de Taser France, Antoine Di Zazzo, ne cache pas son intérêt pour le marché des blouses blanches. «Aux États-Unis, assure-t-il, les services de sécurité des hôpitaux et des services d'urgences ont des Taser. Pourquoi les praticiens français confrontés aux mêmes situations à risques ne s'équiperaient-ils pas comme eux? Nous sommes en contact avec de plus en plus de professionnels de santé et d'urgentistes qui voudraient disposer de nos produits.» Pour l'importateur, le débat éthique est donc clos : «Quand on utilise un Taser, professe-t-il , on sauve des vies.»
Choquant.
Tout le monde ne partage pas cet avis péremptoire. «On ne répond pas à la violence par la violence », s'insurge par exemple le Dr Gérald Kierzek, PH à l'Hôtel-Dieu, et coauteur d'une publication sur les implications cliniques de l'utilisation du Taser (lire ci-dessous). « Nous sommes déjà assimilés aux policiers, aux pompiers, nous nous devons de rester neutres. Cette idée d'un médecin armé me choque. Elle risque de compromettre le respect toujours attaché aux blancs, un respect que nous ressentons heureusement quand le SMUR intervient dans des quartiers difficiles.»
Au Conseil national de l'Ordre des médecins, le sujet est pris très au sérieux. «Avec les 1600 déclarations que recueille chaque année notre Observatoire national de la sécurité, explique un membre du CNOM, nous ne pouvons qu'être très préoccupés par les phénomènes de violence dont sont victimes les médecins. Avec les ministères de l'Intérieur et de la Justice, en liaison avec la Direction de la sécurité civile, nous sommes arrivés à une conclusion: si les moyens de défense rapprochée, comme les matraques ou les bombes à gaz incapacitant, peuvent être des recours légitimes en cas d'agression, les armes projetées sont bannies. Avec tous les experts, nous estimons qu'elles aggraveraient d'un grade les violences, en transformant le médecin en cible potentielle.»
Par armes projetées, l'Ordre entend armes à feu, mais aussi les pistolets électriques Taser et autres, version policière ou légère. «Car, même avec une décharge de 15000volts, comme le Stoper, insiste le conseiller national, on ne saurait qualifier l'effet produit de petite chatouille. En l'état actuel de la littérature, la preuve de l'innocuité de ces armes n'est pas établie.»
Selon l'enquête du « Quotidien », moins d'une dizaine de praticiens auraient à ce jour passé commande d'un Stoper C2. Suffisamment pour que les médias grand public s'emparent du sujet, tant il est vrai que la présence d'une arme dans la trousse médicale, entre stéthoscope et ordonnancier, fait débat. «Les médecins, prochaine cible» (de Taser), titrait il y a peu « le Journal du Dimanche ». TF1 a programmé pour son magazine dominical « 7 à 8 » un dossier sur les médecins et le Taser (lire encadré). Les médecins qui s'y exprimeront pourraient avoir à s'expliquer devant les instances ordinales et «assumer leurs responsabilités».
Taser X26 et Stoper C2
– Le Taser X26 envoie jusqu'à 10 m deux dards qui administrent une décharge de 50 000 volts, avec une intensité de 2 milliampères. Il est équipé d'une caméra qui se déclenche dès qu'il est activé, les films étant gardés en mémoire avec l'identification du tir (date, heure, durée). Selon Taser, tout futur utilisateur doit suivre une formation de deux jours qui comprend des tests physiques et psychotechniques. La ministre de l'Intérieur, Michèle Alliot-Marie, a annoncé que les policiers municipaux seraient formés au maniement du Taser par des moniteurs de la police nationale. Il est vendu aux détenteurs d'autorisation 1 500 euros (arme de catégorie 4).
– Le Stoper C2 délivre une décharge de 15 000 volts. Une formation, obligatoire pour obtenir le code de déblocage de l'appareil, est dispensée à Paris ou par DVD (avec un test téléphonique). Le C2, qui ne nécessite pas d'autorisation administrative, est vendu au prix de 499 euros (arme de catégorie 6).
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