À LA VEILLE DU 100e anniversaire de la première convention internationale sur les stupéfiants, le plan gouvernemental 2008-2011 de lutte contre les drogues et les toxicomanies se veut adapté à de «nouveaux défis». Ceux, selon François Fillon, «d'un niveau beaucoup trop élevé d'usage régulier de cannabis (1,2 million de fumeurs, dont 550 000 quotidiens) , d'un développement rapide de la consommation de cocaïne mais aussi d'ecstasy, des conséquences sanitaires et d'ordre public de la montée en puissance chez les jeunes d'une recherche d'ivresse alcoolique express, ainsi que de l'enracinement d'une économie souterraine liée au trafic de substances illicites et de tabac.»
Le Pr Jean-Philippe Parquet, psychiatre, spécialiste en addictologie, salue un programme qui «couvre l'ensemble des déterminants des conduites addictives, et poursuit le travail amorcé en matière de réduction des risques». «Il comporte en outre une avancée extraordinaire, souligne-t-il : désormais les crédits alloués, ne passant plus par la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (MILDT) , relèvent directement de Matignon.» Sur les 87,5 millions d'euros prévus, 36,4 millions sont cependant abondés directement par les ministères concernés, et pour 8,7 millions au titre de la loi de financement de la Sécurité sociale et du Fonds d'intervention pour la qualité et la coordination des soins. En matière de formation initiale, des enseignants universitaires font défaut, note le psychiatre, qui déplore aussi une trop faible implication de la FMC chez les médecins de famille.
Du côté de l'association Médecine générale et conduites addictives, son responsable, le Dr Philippe Binder, estime que les pouvoirs publics tardent à reconnaître les compétences des omnipraticiens pour la méthadone. Un certain nombre d'entre eux sont vacataires ou partenaires de centres spécialisés de soins aux toxicomanes (CSST), de centres de cure ambulatoire en alcoologie (CCAA)*, de centres d'accueil et d'accompagnement à la réduction des risques chez les usagers de drogues, ou encore membres des réseaux de santé addictions (RSA) départementaux qui atteindront les 300 en 2011, contre 49 actuellement**. Sur 30 000 patients sous méthadone, 8 000 fréquentent 200 CSST, 4 000 passent par les 90 services hospitaliers primo-prescripteurs de méthadone et 18 000 sont suivis par des généralistes. «Il serait judicieux qu'ils figurent comme prescripteurs sur des listes départementales et régionales, ce qui désengorgerait les futurs CSAPA» (voir encadré).
La banalisation de l'alcool négligée.
Didier Touzeau, chef du département addictions de l'hôpital Paul-Guiraud de Villejuif (Val-de-Marne), membre du comité scientifique de la MILDT, souhaite, pour sa part, que les campagnes médiatiques grand public annoncéesn'infléchissent pas une stratégie de prévention qui se doit d'être ciblée. «La France connaît toujours des problèmes d'alcoolisation foetale», rappelle le psychiatre, qui regrette par ailleurs une circulaire du ministère de l'Intérieur demandant la constitution de listes de généralistes habilités à prendre en charge des toxicomanes sous main de justice relevant d'injonction thérapeutique, «alors que ça marche bien dans l'état actuel des choses».
«Globalement, le volet sanitaire va dans le bon sens», commente pour « le Quotidien » le Pr Michel Reynaud, responsable de la Fédération française d'addictologie. La filière hospitalière en est le pilier central, avec ses unités ambulatoires d'addictologie, aux lits fléchés dans tous les hôpitaux de ville de taille moyenne, ou dotées d'hôpital de jour et d'équipe mobile (1 pour 500 000 habitants), complétées par des services régionaux d'évaluation hospitalo-universitaire, avec désormais une dimension enseignement-recherche.
Là où le bât blesse, c'est avec les boissons alcooliques, craint le psychiatre. «L'accent porte exclusivement sur l'usage à problème, mais rien n'est suggéré quant aux dangers de la banalisation. Pour l'essentiel les efforts vont à la lutte contre les drogues et les toxicomanies illicites, et du coup rien n'apparaît en direction du tabagisme, sachant qu'il n'entraîne pas de dommages sociaux.»
Dans l'esprit d'Étienne Apaire, responsable de la MILDT, le plan gouvernemental donne à «l'ensemble de la société la force de dire non», en particulier «en clarifiant le discours public par des campagnes de communication» destinées aux jeunes et aux parents.
* Les 270 CSST et 230 CCAA ont jusqu'à la fin 2009 pour se constituer en centres de soins, d'accueil et de prévention en addictologie (CSAPA).
** Sur les 49 RSA, financés par le Fonds d'intervention pour la qualité et la coordination des soins (assurance-maladie), un couvre une région, Champagne-Ardenne.
Le budget
«Pour le plan 2004-2008, ce sont environ 150millions d'euros sur près de 5ans qui ont été effectivement dépensés, incluant en grande partie la mise en place de structures sanitaires, indique la MILDT . Pour 2008-2011, dans le cadre de la loi organique relative à la loi de finances, la programmation devient triennale, ce qui assure une plus grande sécurité budgétaire. Sur 2009-2011, le budget du plan est de 77,6millions d'euros, auxquels s'ajoutent 10millions d'euros du budget de 2008, sans tenir compte des 70millions d'euros du plan addictions. Si tel était le cas, le cumul serait nettement supérieur au budget du plan 2004-2008.»
Prescription de la méthadone par les généralistes
Le plan addictions 2007-2011 s'inscrit dans la politique de réduction des risques. Il prévoit, entre autres, une étude de faisabilité sur la primoprescription de la méthadone par certains généralistes, et porte création d'un numéro indigo sur les addictions, 0820.03.33.33.
Les mesures clés du plan
Prévention
•Campagnes sur les produits psychoactifs, dont l'alcool, et sur le rôle des parents. Mobilisation-formation au repérage précoce des personnels de santé et d'éducation •En entreprise, états généraux sur les conduites addictives •Programme national sur les bonnes pratiques sportives non professionnelles •Groupes de parole pour les personnes relevant de la justice •Guide pour les élus sur les drogues et les toxicomanies au regard de la délinquance.
Soins - réduction des risques - insertion
•Formation aux addictions pour les personnels des services hospitaliers d'urgence, de psychiatrie et de maternité, et en médecine générale (CNAMTS) •Correspondant local d'addicto-vigilance dans chaque établissement de santé, chargé de collecter les cas d'abus et de dépendance •Consultations pour jeunes usagers de substances psychoactives : de 280 à 330, soit 120 000 patients en 2011, contre 40 000 •Référentiel de prise en charge (mars 2009) •Programmes ambulatoires expérimentaux pour cocaïnomanes et usagers de crack •Création de 3 communautés thérapeutiques •Prison : prise en charge des addictions par les unités de consultations et de soins ambulatoires, et référentiel multiprofessionnel •Promouvoir l'hébergement social des femmes dépendantes avec enfant (appel à projets) •Procédures de validation des outils de réduction des risques •Campagnes d'information spécifiques dans les milieux festifs •Formation au dépistage des hépatites •Guides des bonnes pratiques de l'insertion •Prévention et répression de l'usage détourné des médicaments.
Législation - Répression
•Mieux lutter contre la cybercriminalité •Alcool : interdiction de vente aux mineurs et de consommation sur la voie publique à proximité des écoles, suppression des open bars (entrée payante, boissons à volonté) •Clarification de la réglementation sur le commerce des graines de cannabis (200 000 cannabiculteurs) •Tests innovants pour contrer le trafic des précurseurs chimiques de drogues •Tabac : verbalisation des contrevenants par les polices municipales •Test salivaire de détection des drogues au volant •Stages de sensibilisation à l'usage des drogues pour les personnes interpellées.
Formation - Recherche - Observation
•Plan interministériel de formation des formateurs •Module d'addictologie dans la 1re année du 1er cycle universitaire •Module d'incitation aux pratiques addictologiques dans le 2e cycle •Référent addictologie dans chaque fac •Formation de type licence professionnelle d'addictologie pour les praticiens en exercice •Introduction d'une dizaine de questions sur l'addictologie dans l'examen classant national de l'internat de médecine •Dispositif d'appel d'offres pour recherche/action/évaluation sur les addictions •Master recherche interuniversitaire en addictologie et stages postdoctoraux •Développement de la recherche clinique en addictologie (réseaux INSERM/neurosciences) •Étude de cohorte en épidémiologie clinique relative aux 100 000 patients sous substitution aux opiacés •Expertise collective INSERM sur la surconsommation de médicaments psychotropes •Dispositif d'observation et appel d'offres sur l'usage d'alcool chez les seniors et les pratiques de jeux (OFDT, MILDT).
À l'international
•Renforcement de la coordination intraeuropéenne, et stratégie en matière d'alcool •Création d'un observatoire méditerranéen des drogues et des toxicomanies.
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