«JE SUIS SURTOUT choquée par la violence de certains», confie le Dr Marie Galy-Normand, généraliste installée à Aspet (Haute-Garonne). De ce chef-lieu de canton situé au milieu de la chaîne pyrénéenne, on est à une dizaine de kilomètres d’Arbas, le petit village de 300 âmes par lequel la polémique est arrivée avant même que ne débarque l’ours slovène Palouma. Arbas est l’une des communes qui se sont portées candidates pour recevoir les cinq plantigrades, quatre femelles et un mâle, qui sont attendus dans les prochaines semaines, comme en a décidé le mois dernier la ministre de l’Ecologie, Nelly Olin.
Et la violence qui préoccupe la généraliste d’Aspet, on l’aura compris, n’est pas tant celle commise par l’ours lui-même sur les troupeaux d’ovins, mais celle des manifestants pro- et anti-ours. Des manifestants de plus en plus échauffés. A Arbas, à Saint-Gaudens et à Foix, des blessés ont parfois été signalés. «C’est grave», confirme le Dr Laurent Haman, généraliste à Saint-Gaudens, le chef-lieu d’arrondissement, qui note que les deux camps deviennent «incroyablement opposés. Les tensions ont atteint un tel degré d’exaspération que la peur est palpable dans les villages. Certains n’osent plus s’exprimer. Et on peut craindre que quelques arriérés n’hésitent pas à aller décrocher leurs fusils».
Les ours envoyés au massacre.
«Mais ce qu’il faut redouter, estime le Dr Daniel Despis, autre généraliste installé à Saint-Gaudens, ce n’est pas le coup de feu entre manifestants, car on n’en est quand même pas là, mais ce sont les ours eux-mêmes qui risquent d’être pris pour cibles. Sous prétexte de défense de la nature et des espèces animales, on va les arracher à leur paisible Slovénie pour les envoyer au massacre chez nous, pronostique le praticien. C’est ce qui va inévitablement se passer bientôt, lorsqu’un ours se trouvera trop près d’un chasseur. Tout cela témoigne d’une absurdité sans nom», fulmine le Dr Despis, qui dénonce «la gabegie d’argent public et l’écologisme de salon. C’est l’idée de Parisiens qui ne connaissent rien à la montagne. De toute manière, sitôt débarqués ici, s’ils échappent aux fusils des chasseurs, les ours franchiront comme d’habitude la frontière espagnole et on n’entendra plus parler d’eux».
Le généraliste se déclare résolument anti-ours, estimant la présence du plantigrade incompatible avec le pastoralisme aussi bien qu’avec le tourisme : «L’idée que l’ours attirerait les randonneurs est un pur non-sens», proteste-t-il. «Moi-même, je ne l’ai jamais vu en face, mais j’ai identifié il y a quelques années ses crottes et je l’ai entendu arriver dans ma direction.» Un souvenir qu’il n’est pas prêt d’oublier et qui l’a dissuadé durablement d’aller se promener avec ses enfants partout où la présence de la bête est suspectée. Bref, pour ce médecin adversaire de ce qu’il appelle la ré-réintroduction (dix ans après l’arrivée des premiers ours dans les Pyrénées), «sous le fallacieux prétexte de faire de l’écologie, on s’abstient de régler les vrais problèmes environnementaux dont souffrent nos vallées, avec en particulier un fort taux de dioxines lié aux usines d’incinération. Que les Parisiens réintroduisent le rat dans le quartier des Halles, si tel est leur plaisir, mais qu’ils s’abstiennent de se mêler de la vie dans nos montagnes!»
La photo d’un ours mort chargé dans une remorque.
Dans le cabinet du Dr Jean-François Gaillard, autre omnipraticien de Saint-Gaudens, une impressionnante photo est exposée, avec un ours mort chargé dans une remorque. «Le cliché a été pris en 1946 dans la vallée toute proche de Loudenviel et, par les temps qui courent, il interpelle tout le monde et fait parler. C’est vrai, constate-t-il, ça chauffe. Mais dans cette polémique, la plupart des gens réagissent à partir d’a priori . On navigue dans le ressenti bien plus que dans le réel, comme ces éleveurs qui soutiennent que leurs brebis font des fausses couches sous l’effet de la peur de l’ours! En fait, nous avons affaire à des comportements phobiques. On risque bien davantage de se casser une jambe lors d’une randonnée que d’être attaqué par l’ours! Et il faut rendre justice au très dynamique maire d’Arbas qui a fait le choix de la réintroduction pour tenter de réinsuffler un peu de vie touristique à un canton moribond!»
En attendant, le maire, François Arcangeli, a déposé plainte pour menaces de mort, dégradations de biens privés et port d’armes, après la manifestation qui a mal tourné le 1er avril dernier contre sa mairie et son domicile. Pour cet élu, la cause reste entendue et les comptes sont vite faits, « l’ours n’est responsable que de 1% des 15000 à 20000brebis perdues chaque année par les éleveurs des Pyrénées, soit infiniment moins que celles qui sont victimes des chiens errants».
Face à la montée des passions, certains s’emploient encore à calmer les esprits. C’est le cas du Dr Jean-Richard Dugast, généraliste à Aspet et qui compte des patients dans les deux camps. «Il faut commencer par tirer le bilan de la première réintroduction faite il y a dix ans, et ce bilan, affirme-t-il, que cela plaise ou non, est objectivement négatif: trois ours ont péri, Cannelle a été tuée par un chasseur en 2004, Melba et Claude sont mortes en 1997 et en 1994, dans des conditions mal élucidées. Cela nous rappelle que nous sommes dans une région où la chasse est profondément ancrée dans la mémoire collective, l’affrontement entre les bergers et les ours est inéluctable et, inéluctablement, il tourne au massacre de l’ours. Dès lors, la question des mesures d’accompagnement est cruciale pour envisager d’infléchir cette tendance. Or j’ai assisté à des réunions où on insiste surtout sur la protection des cheptels par les chiens patous; il s’agit d’animaux particulièrement agressifs. A raison d’un patou pour 80brebis, cela représente un risque sérieux d’agression pour les randonneurs qui passent à proximité, certainement bien supérieur à celui auquel les exposent les ours eux-mêmes.»
Pour le Dr Dugast, qui présida dans la région un club de randonneurs, il faut vite mettre un terme au détestable climat de violence qui est en train de s’emparer de la population et qui dessert l’une et l’autre cause. «Tout le monde sur-réagit, alors qu’on est en présence d’un phénomène de toute manière très limité. Une fois libéré, l’ours disparaît en effet dans la montagne, au sein d’un sanctuaire sauvage où le randonneur lui-même n’a guère de chances de le surprendre, le chasseur étant à peu près le seul à pouvoir croiser un jour son chemin.»
Que faire pour ramener la paix dans les vallées ? «Au moins, que la décision finale ne nous soit pas imposée d’en haut, qu’elle procède d’un choix collectif, plaide le généraliste. Or, soupire-t-il, dans cette affaire, depuis la mort de Cannelle, nous n’avons cessé de subir sans discussion le fait du prince.»
A l’époque, rappelle laconiquement le Dr Dugast, «le président de la République avait évoqué lui-même la mort de l’ourse en conseil des ministres comme si la République toute entière devait prendre le deuil». Avec l’ours, même l’Etat sur-réagit.
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