LES CINQ INFIRMIÈRES et le médecin palestinien détenus en Libye auraient pu être libérés depuis des années si l’opinion publique s’était mobilisée plus tôt en leur faveur. C’est l’intime conviction du Dr Snejina Bankova-Freche, présidente d’Amitié médicale France-Bulgarie, une association constituée selon la loi de 1901 il y a deux ans, qui revendique une cinquantaine d’adhérents, des médecins d’origine bulgare exerçant en France, de nationalité française ou bulgare, ainsi qu’une centaine de sympathisants issus de la communauté médicale bulgare établis dans l’Hexagone. «Mais aujourd’hui, plus de sept ans après les arrestations, la prise de conscience est générale dans l’opinion, observe le Dr Bankova-Freche. Elle déclare d’ailleurs avoir reçu le 19 décembre plusieurs appels de patients qui voulaient, le jour du verdict inique de Tripoli, lui exprimer leur soutien.
« Une atteinte insupportable à l’éthique médicale ».
Ce jour-là, le monde, partagé entre l’incrédulité, l’effroi et l’indignation, apprenait la nouvelle. Après des aveux extorqués sous la torture et une première condamnation à mort, le 6 mai 2004, pour «dissémination délibérée de virus», après l’acceptation du recours des condamnés, le 25 décembre 2005, après une instruction uniquement à charge et un nouveau procès inique, les cinq infirmières étaient une deuxième fois condamnées, ainsi que le médecin, à la peine capitale.
«En tant que médecins, qui avons prêté le serment d’Hippocrate et qui nous battons tous les jours pour faire gagner la vie contre la mort, ce verdict constitue une atteinte insupportable à notre éthique», souligne le Dr Ivan Sotirov, de nationalités bulgare et française, cardiologue, attaché à la Pitié-Salpêtrière et exerçant en libéral à Chevilly-Larue (Essonne).
Le déni médical et scientifique des autorités libyennes est total, archiconfirmé par les plus grandes sommités internationales. En dernier lieu, c’est l’université d’Oxford (Royaume-Uni) qui est montée au créneau avec une étude réalisée par ses chercheurs, publiée dans la revue « Nature ». «L’analyse de l’arbre généalogique des souches du virus du sida et du virus de l’hépatiteC en cause dans ces contaminations démontre la présence de ces souches et leur transmission hospitalière dans cet établissement avant l’arrivée de l’équipe bulgare», résume le Pr Oliver Pybus, l’un des coauteurs de l’étude. Avant lui, l’Association médicale mondiale (AMM), la Société royale britannique (Académie des sciences), les revues « Science » et « The Lancet » et pas moins de 114 lauréats du prix Nobel, qui ont écrit en novembre au colonel Kadhafi, tous ont exprimé leur protestation devant une instrumentation juridique et politique dépourvue du moindre fondement scientifique. Premier à avoir donné le signal de cette insurrection scientifique contre une justice parfaitement inique, le Pr Luc Montagnier, missionné en 2002 par les autorités libyennes, avec son confrère italien Vittorio Colizzi, avait formellement conclu que la contamination des 426 enfants de l’hôpital de Benghazi était imputable aux calamiteuses conditions d’hygiène de cet établissement et à elles seules.
«Nous avons nous-même pris contact avec M.Montagnier, raconte le Dr Bankova-Freche, qui s’est longuement entretenue au téléphone avec le codécouvreur du virus du VIH, en mars 2005. C’est à partir de cette époque que notre association a engagé plusieurs actions: un courrier à l’ambassadeur de Libye en France, resté sans réponse; un appel au président de la Commission européenne, M.Barroso, qui, en retour, s’est déclaré “profondément engagé à mener cette tragique situation à une solution positive” ; une participation à plusieurs manifestations organisées par les associations de lutte contre la peine de mort et de la communauté bulgare de France [estimée à quelques milliers de membres], devant le centre Beaubourg, ou l’ambassade de Libye.»
L’impression de prêcher dans le désert.
«Pendant des mois, nous avons eu le sentiment de prêcher dans le désert, poursuit le Dr Bankova-Freche. Le scandale absolu du jugement du 19décembre a fini par faire bouger tous les médias, en France et dans le monde. Il nous faut à présent mettre à contribution le grand public et, pour commencer, le corps médical.»
Selon l’association Avocats sans frontières, qui suit de près le déroulement des événements judiciaires à Tripoli, le recours interjeté en appel par les condamnés devrait donner lieu à un troisième procès sur le fond et sur la forme, devant la Cour suprême libyenne, mais pas avant 2008, voire 2009.
«Elles ne tiendront jamais jusque-là, s’emporte le Dr Freche. Si l’on ne parvient pas à les sauver, à les extirper rapidement de cette situation atroce, elles vont mourir. Leur vie est fragile, déjà brisée, après sept ans d’enfermement et de mauvais traitements. Certaines ont d’ailleurs tenté de mettre fin à leurs jours.»
Ce sentiment d’urgence est dans tous les esprits. Une nébuleuse d’associations se mobilise ces jours-ci dans un certain désordre : Association des étudiants bulgares en France, Mission Bulgarie, Echanges franco-bulgares, Entraide franco-bulgare, Amicale des avocats bulgares en France. Un collectif Sibel* (Soutien aux infirmières bulgares emprisonnées en Libye) a mis en ligne une pétition, un modèle de lettre destiné aux maires de France ; il propose aussi d’envoyer des courriers aux prisonniers. L’association Ensemble contre la peine de mort** bat de son côté le rappel ; des réunions se sont tenues en particulier au Sénat, à son initiative, avec la participation de l’ancien ministre de la Justice Robert Badinter.
L’AMM (Association médicale mondiale) et le CII (Conseil international des infirmières) font circuler des appels. En Belgique, des associations appellent à un arrêt de travail de deux minutes à midi, dans toutes les institutions de santé, le 19 janvier, jour du huitième anniversaire des arrestations des infirmières.
Des médecins prennent individuellement des initiatives, comme le Pr Raphaël Pitti, auteur d’un appel dont nous publions des extraits ci-dessous.
«Pour notre part, explique le Dr Sotirov, forts de notre double légitimité, en tant que professionnels de santé venus de Bulgarie, nous souhaitons doter tous ces mouvements de mobilisation d’un socle médical. Nous allons prendre des initiatives qui puissent nous rallier les diverses composantes protestataires sans perdre notre spécificité.»
L’association médicale France Bulgarie ne peut compter que sur l’énergie de ses adhérents, mue par la certitude que l’engagement des militants peut soulever des montagnes et renverser le cours d’une histoire monstrueuse. Elle convie le samedi 20 janvier prochain les médecins à une réunion qui se déroulera à l’ambassade de Bulgarie à Paris***. Des initiatives seront prises à cette occasion pour que l’échéance du 19 février prochain donne lieu à un formidable élan de solidarité du monde médical. Pour arracher les infirmières et le médecin du couloir de la mort.
* Collectifsibel.missionbulgarie.org.
** www.abolition.fr.
*** Renseignements : 01.40.28.30.66 et freche9@orange.fr.
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