«LA MÉTHODE est un peu scolaire (...). On regarde cela avec le sourire et une certaine circonspection», commente le Dr Michel Chassang, leader de la CSMF (Confédération des syndicats médicaux français). La procédure d'évaluation ministérielle «n'enthousiasme pas» non plus le Dr Pierre Faraggi. Le président de la Confédération des praticiens des hôpitaux (CPH) y voit en effet «un dispositif un peu gadget et poudre aux yeux, enfantin et dérisoire, alors que les vrais problèmes dans le domaine de la santé nous paraissent graves».
«Noter les ministres, c'est bien, ça leur met un peu la pression!», se réjouit au contraire le Dr Martial Olivier-Koehret, même si le chef de file des médecins généralistes de MG-France remarque aussi que Roselyne Bachelot n'a curieusement «pas d'objectifs fixés», faute d'avoir reçu une lettre de mission après sa nomination.
Le système de notation des différents ministères traduit «une technicisation ou professionnalisation du politique», observe pour sa part l'économiste en santé Claude Le Pen. Selon cet expert, ce «critère de compétence» vient s'ajouter aux critères classiques (affinité idéologique, séduction…) pour «éclairer l'opinion des électeurs» dans le processus démocratique.
Reste à savoir, bien sûr, quels seront exactement les fameux 30 critères retenus pour la Santé. Devant le silence radio de Matignon et de l'Elysée à ce propos, le CISS (Collectif interassociatif sur la santé) reste «dans le brouillard» pour donner sa propre appréciation sur la procédure en cours, précise son directeur Marc Morel. Il craint que les critères jugés essentiels au CISS – «accès aux soins, restes à charge plus bas pour les patients, plus de bénéficiaires de couvertures complémentaires» – ne soient «pas forcément ceux retenus». Les critères peuvent relever simplement «de la démagogie ou de la communication», ajoute Marc Morel. Claude Le Pen, lui, souhaite que la fiche d'évaluation du ministère de la Santé mesure prioritairement «l'amélioration de l'équilibre financier du système, la qualité des soins, l'équité d'accès aux soins et l'efficience dans la gestion».
Le Pr Gérard Dubois, du CHU d'Amiens, rappelle que des indicateurs officiels existent déjà, puisque la loi de santé publique de 2004 a fixé 100 objectifs sanitaires. En l'occurrence, les résultats ne semblent pas fameux, d'après un point d'étape de l'INSERM. Certes, grâce à l'application du décret de 2006, «on va se rapprocher de la cible en matière de lutte antitabac», explique ce « sage » de la santé publique qui a participé à l'étude de l'INSERM. En revanche, «l'alcool suit sa pente naturelle, tandis que l'évolution tendancielle de l'obésité va dans le mauvais sens».
Mais plus d'un relève qu'on devrait tenir compte des handicaps de départ du ministère de la Santé. Ainsi, la constitution du ministère «sans le budget de l'assurance-maladie» fut une «erreur politique», aux yeux du Pr Dubois. Autre élément à décharge pour Roselyne Bachelot : les responsabilités politiques sont partagées. «La créativité (en santé) est monopolisée par Nicolas Sarkozy», fait remarquer Claude Le Pen. «Les leviers se sont déplacés: c'est la première fois qu'un président de la République s'inscrit autant dans le champ de la santé de manière volontaire», renchérit Pierre Faraggi. «La politique menée (notamment le PLFSS 2008) engage l'ensemble du gouvernement», souligne aussi Michel Chassang.
Enfin et surtout, la période de six mois choisie pour l'évaluation paraît «un peu courte». «On ne souhaite pas changer de ministre tout le temps, déclare le Pr Guy Vallancien, président du Conseil national de la chirurgie. Il faut durer cinq ans pour impulser une vraie politique de réforme.»«La santé est l'un des secteurs où les changements sont les plus lents», plaide de même Claude Le Pen. Et il y a la part d'héritage, puisque «des dossiers sont en déshérence depuis des années», rappelle le Dr Rachel Bocher, à la tête de l'INPH (Intersyndicat national des praticiens hospitaliers).
Les bons et mauvais points du terrain.
Du côté des médecins de terrain, les réactions sont tout autant mitigées. Et si le Dr Emmanuel Monrosier, généraliste à Grenoble, cite un grand nombre de critères d'évaluation, tous positifs à ses yeux, comme le pragmatisme, le suivi des dossiers, la présence sur le terrain, la souplesse et la flexibilité, les autres sont plus nuancés dans leurs propos. Dans la Drôme, le Dr Geneviève Royannez est médecin généraliste ; elle juge «un peu ridicule» cette volonté de noter les ministres, mais estime que «si Roselyne Bachelot arrive à mettre en musique les états généraux de l'organisation de la santé, ça sera un bon point pour elle». Un point de vue que partage un autre généraliste, le Dr Claude Landos, qui officie dans la Creuse, et qui estime en outre que «le dialogue ouvert sur la PDS avec les syndicats non signataires de la convention» est à mettre à l'actif de la ministre de la Santé. Ce médecin regrette en revanche l'instauration des franchises médicales et des déremboursements, qu'il classe dans la rubrique «critères négatifs». Pas sûr, cependant, qu'il soit en phase avec François Fillon et Nicolas Sarkozy sur ce point. Un autre généraliste, du Calvados, qui tient à garder l'anonymat, juge pour sa part que si Roselyne Bachelot parvient à venir à bout du dossier de l'EPP, «ça sera un très bon point pour elle, car il est plus urgent d'évaluer les médecins que les ministres». Côté démographie médicale et accès aux soins, enfin, le Dr Landos décerne un mauvais point à Roselyne Bachelot, qui «ne prend pas les choses dans le bon sens».
Le précédent des « indicateurs » Bertrand
Ce n'est pas la première fois que l'on parle « évaluation », « audit » ou « suivi » du côté du ministère de la Santé. Comme on n'est jamais mieux servi que par soi-même, Philippe Douste-Blazy, en avril 2005, alors ministre des Solidarités et de la Santé, avait annoncé la mise en place d'un «tableau de bord» précis pour évaluer, non pas son action ministérielle, mais les effets concrets de la réforme de l'assurance-maladie. Le ministère avait instauré une batterie d' «indicateurs» sur l'accès aux soins, la montée en charge du dispositif du médecin traitant, l'aide à la couverture complémentaire, le développement des génériques... Trois mois plus tard, Xavier Bertrand, aux manettes du ministère de la Santé, avait repris et complété ces indicateurs de suivi, jugeant qu'ils évoluaient «favorablement». Un des indicateurs retenus à l'époque fait rétrospectivement sourire : le nombre d'assurés sociaux disposant d'un dossier médical personnel (DMP). En juillet 2005, l'objectif retenu était le «déploiement total à la mi-2007» dudit DMP. Comme quoi, instaurer des indicateurs sur la santé et l'assurance-maladie présente toujours quelques risques.
> C. D.
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