DE NOTRE CORRESPONDANTE
GOOGLE HEALTH a ouvert au public, en forme bêta, sa nouvelle plate-forme santé, qui donne aux Américains la possibilité de constituer des dossiers médicaux personnels très complets en ligne. Ils peuvent non seulement y introduire les informations qu'ils possèdent eux-mêmes, mais également y faire télécharger, sous forme standardisée, les dossiers médicaux en provenance de leur médecin, de l'hôpital, des pharmacies et des laboratoires d'analyses qu'ils utilisent, à condition que ces partenaires, ou l'institution à laquelle ils appartiennent, aient conclu un accord avec le site. Des outils informatiques de Google Health rassemblent ensuite ces données d'origines diverses dans des tableaux récapitulatifs, au sein du profil de santé. Ces logiciels permettent également des recherches d'interaction de médicaments, de lancer des alertes en cas d'allergies, de gérer les prises de médicaments et le renouvellement des prescriptions et des rendez-vous en ligne avec, si nécessaire, des messages de rappel. Par l'intermédiaire de Google Health les patients peuvent aussi solliciter une deuxième opinion ou recevoir des conseils d'hygiène de vie personnalisés. Il peuvent encore y rechercher un médecin en fonction de sa spécialité ou de sa situation géographique.
Transformer la pratique.
La Cleveland Clinic, un centre hospitalier basé dans l'Ohio, a participé au pilote du projet de Google. Le Dr Martin Harris, généraliste et directeur des technologies de l'information, explique au « Quotidien », pourquoi : «Depuis huit ans, indique-t-il, nous utilisons les technologies de l'information pour transformer vraiment notre pratique médicale. À la Cleveland Clinic, nous avons installé des outils informatiques qui nous permettent de collaborer avec des médecins qui ne sont pas associés à l'hôpital. Ces outils sont “Dr.Connect”, qui permet aux médecins de nous envoyer des patients et d'échanger avec nous des informations sur la pathologie concernée, et “My Practice Community”, qui donne aux médecins privés les mêmes outils que ceux dont nous disposons à la Cleveland Clinic. Nous avons également créé des profils santé pour nos 135000patients. “MyChart” leur permet de rassembler et de gérer leurs différents traitements, leurs rendez-vous et de recevoir des rappels pour leurs visites de contrôle ou les examens qu'ils doivent subir.»
«En dépit de ces efforts, constate le Dr Harris, nous nous sommes aperçu que, parmi les 8000patients qui consultent quotidiennement, plus d'un tiers voient un médecin non connecté à notre système ou ne le sont pas eux-mêmes à partir de leur domicile.»
«Comment pouvons-nous nous connecter aux 800000médecins et plus de 5000hôpitaux américains? Et bien plus de 100millions d'américains utilisent Google. Nous avons donc établi des contacts avec Google il y a 14mois et avons commencé ce projet pilote en février. Nous avons échangé des idées. Nous les avons aidés à affiner l'interface pour l'usager en la rendant plus transparente et plus claire.» Et le Dr Harris d'ajouter : «Jusqu'à présent, nous devions nous contenter de dossiers médicaux papier souvent incomplets, et qui n'arrivaient pas toujours à temps. Le 5juin, la Cleveland Clinic va recevoir le premier patient de chirurgie cardiaque qui nous a fait parvenir son histoire médicamenteuse et ses résultats d'analyses médicales par l'intermédiaire de Google Health). Ce procédé a des avantages au niveau de la sécurité. Il devrait permettre d'éviter des erreurs par omission, des effets indésirables dus aux médicaments. Il assurera également une réduction des coûts d'intervention en supprimant la répétition d'examens médicaux.»
D'ailleurs, le pilote a déjà permis au Dr Harris deux observations bénéfiques. La participation à Google Health a en effet résulté en une consultation accrue par les patients de la Cleveland Clinic de leurs profils santé basés à l'hôpital, constate-t-il, «ce qui en fait de meilleurs moyens de communication» ; et a aussi permis une réception accélérée des dossiers des patients admis. «Nous avons reçu le dossier de notre patient du 5 juin. Cela nous permet de prendre des décisions différentes.»
Des risques pour la confidentialité.
Un autre supporter de Google Health est le Dr John Halamka, urgentiste, directeur des technologies de l'information au centre médical Beth Israel Deaconess (BIDMC). Membre de la commission consultative du portail santé, il a mis «la totalité de son dossier médical sur Google Health», indique-t-il au « Quotidien », et encourage les patients de BIDMC à en faire autant.
Mais le Dr Rory Jaffe, de l'université de Californie, où il a notamment la responsabilité d'assurer que la pratique médicale s'effectue en conformité avec les réglementations, n'est pas encore prêt, lui, à confier son profil santé à Google Health ou à un autre portail commercial. «Je préfère attendre», dit-il au « Quotidien ».
Il voit à la fois du bien et du mal dans l'association d'une compagnie comme Google ou Microsoft avec le domaine de la santé. «L'avantage, précise-t-il, est que ces compagnies ont l'expertise nécessaire pour construire des systèmes sécurisés. L'inconvénient est qu'elles constituent de grosses cibles pour des entités qui voudraient voler les informations.» Il s'inquiète également du manque d'expérience de ces compagnies dans un domaine aussi sensible que celui de l'information médicale.
Sur le plan pratique, il ne voit pas vraiment l'intérêt de la démarche. «Est-ce utile ou non, questionne-t-il. Est-ce valide? Comment sait-on d'où l'information provient? Dans quelle mesure peut-on s'y fier? La plupart des institutions médicales n'ont pas besoin d'utiliser Google. Ce serait bien de pouvoir faire circuler les dossiers des patients mais le problème est de pouvoir s'assurer de l'identité du patient. Nous n'avons pas de moyen d'identifier un patient au niveau national.»
Le Dr Harris offre des réponses à certaines de ces objections. La question d'identité est résolue, dit-il, par le fait que le patient lui-même prend l'initiative de transporter les dossiers et doit s'identifier à la fois dans Google et dans son dossier électronique médical, à l'hôpital par exemple, pour assurer le transfert de ce dernier vers Google Health. De son côté, le Dr Halamka indique que les dossiers des hôpitaux et des pharmacies ne peuvent qu'être « vus » sur Google Health et non modifiés, même si le patient a la possibilité de les supprimer s'il le désire. Quant aux données personnelles introduites par le patient lui-même sur Google Health, il ne serait pas question de les faire apparaître dans le dossier de l'hôpital.
Cela ne suffit pas à rassurer le Dr Jaffe : «La possibilité qu'ils (Google ou Microsoft) puissent vendre leur info m'inquiète… Il y a un débat au sujet de ce qui est vraiment une exploitation anonyme des données. Ils gagnent de l'argent grâce à ça… L'autre problème est que tout repose sur une question de confiance. Il n'y pas de protection légale.»
Le manque de protection légale est aussi la préoccupation majeure de Pam Dixon, directrice de World Privacy Forum, une organisation à but non lucratif. En effet, la loi qui protège la confidentialité des dossiers médicaux aux États-Unis ne s'applique que lorsque ces informations sont détenues par une institution médicale, une assurance ou une organisation servant d'intermédiaire entre les deux. Le Dr Halamka, qui a participé à l'élaboration des règles de confidentialité du site Google Health, ainsi que le Dr Harris insistent sur le fait que les règles gouvernant la confidentialité de cette plate-forme sont au moins aussi «fortes» si ce n'est «plus fortes» que celles de la loi américaine. Mais Pam Dixon n'est pas convaincue. «Cela signifie, dit-elle, que la seule chose qui protège les droits à la confidentialité des patients (sur Google Health) est une règle de confidentialité qui peut être changée sur un coup de tête.» Et elle craint que les usagers des portails santé en ligne ne le réalisent pas. Rory Jaffe est d'accord : «J'ai des questions pour les utilisateurs de Google Health, conclut-il. À quelle sorte de confidentialité s'attendent-ils? Que savent-ils de Google?»
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