ROSELYNE BACHELOT à la Santé, à la Jeunesse et aux Sports, Eric Woerth pilote du Budget, des Comptes publics (et donc de la « Sécu »), Xavier Bertrand héritant de la Solidarité, en plus du Travail et des Relations sociales... : la composition et l'architecture du gouvernement de François Fillon a soulevé, depuis quelques jours, d'innombrables réactions dans les milieux médicaux.
Si les responsables des organisations de médecins libéraux et de praticiens hospitaliers affichent leur neutralité en «prenant acte» de la liste des ministres nommés, avec lesquels ils souhaitent nouer très rapidement des contacts, une inquiétude perce déjà quant à la répartition des compétences gouvernementales.
Quels seront les interlocuteurs des médecins ? Qui arbitrera en dernier ressort ? Beaucoup appréhendent la toute-puissance de Bercy sur les affaires de santé. Quant aux dossiers eux-mêmes, les attentes sont multiples et fortes.
Des ministres jugés «sur pièces».
Aucun procès d'intention contre les nouveaux ministres en charge des questions médico-économiques et sociales : cette réaction est unanimement partagée, souvent agrémentée de commentaires flatteurs. Désormais aux manettes de la santé, la pharmacienne Roselyne Bachelot ne laisse personne indifférent. «Elle connaît bien le milieu, c'est un atout, elle s'est occupée des questions de santé au RPR», rappelle le Dr Michel Chassang, président de la Csmf, qui loue une femme «sympa, ouverte, qui a les qualités requises, une vraie libérale». Le Dr Dino Cabrera (SML) n'a lui non plus «aucun a priori négatif ni opposition»,même si ce leader se souvient que Roselyne Bachelot avait soutenu le plan Juppé «par fidélité». Le Dr Martial Olivier-Koehret (MG-France) n'a «pas d'avis» sur la personne. «J'attends sa politique.» D'autres responsables apprécient son courage, son caractère volontiers iconoclaste. «MmeBachelot a le coeur gros comme ça, elle est sympathique et a son franc-parler»,juge Jean-Claude Régi (FMF). «Elle a la réputation de savoir écouter», ajoute Espace Généraliste, qui souhaite la «bienvenue à Madame la Ministre».
Le Dr Pierre Faraggi, président de la Confédération des praticiens des hôpitaux (CPH), est persuadé que «Roselyne Bachelot saura s'entourer». A l'Inph (Intersyndicat national des praticiens hospitaliers), le Dr Rachel Bocher voit les choses avec pragmatisme : «Par sa formation, Roselyne Bachelot connaît bien les problèmes de santé, c'est une femme dynamique et volontaire. Si elle veut prendre à bras le corps les problèmes hospitaliers, nous serons à ses côtés.»
Les commentaires sont moins diserts sur Eric Woerth, 51 ans, qui a hérité du Budget et des Comptes publics et devrait à ce titre tenir les cordons de la bourse de la Sécurité sociale. «C'est d'abord un financier»,analyse froidement Michel Chassang. Le Dr Régi est encore plus sec : «Que voulez-vous que je vous dise, je ne le connais pas.»
Du côté de la CMH (coordination médicale hospitalière), le Dr François Aubart relève que les nouveaux ministres «sont des personnalités fortes qui disposent déjà d'une expérience ministérielle. C'est utile». Au Snam-HP (Syndicat national des médecins des hôpitaux publics), le Pr Roland Rymer juge que la fonction prime sur les personnes : «Ces nominations s'inscrivent dans une continuité. La réforme de l'assurance-maladie perdurera, la tarification à l'activitécontinuera à s'appliquer, et la convergence [des tarifications publique et privée, Ndlr)] restera un objectif gouvernemental. Il n'y a pas de scoop à attendre, nous travaillerons avec plaisir avec ces nouveaux ministres.»
Périmètre, attributions: flou et inquiétudes.
C'est peu de dire que la nouvelle architecture du gouvernement a désarçonné le monde médical.
Avec trois ou quatre ministres susceptibles d'intervenir, à des degrés divers, sur les dossiers médico-sociaux (Bachelot, Woerth, Bertrand et même Pécresse sur les études médicales), et des périmètres encore incertains, les responsables du monde médical sont plongés dans le doute. Tous attendent une clarification sur les attributions. Mais beaucoup ont déjà leur analyse.
Michel Chassang (Csmf) imagine un jeu de billard «à plusieurs bandes» mais estime que le «pôle majeur du pouvoir» sera... à l'Elysée avec «un personnage clé», Raymond Soubie, ancien artisan du plan Juppé, nommé conseiller social de Nicolas Sarkozy. Beaucoup s'interrogent sur les marges de manoeuvre dont disposera Roselyne Bachelot à la Santé dans la mesure où le budget de la Sécurité sociale (donc l'assurance-maladie) est placé sous l'autorité directe d'Eric Woerth. Autrement dit, le « poids » de la santé dans le nouvel organigramme est source d'inquiétude. «Le lobby de la santé est moins puissant que celui de l'agriculture: plus de ministres pour nous tout seuls», déplore Espace Généraliste. «Il faudra négocier à Bercy,déclare sans fard Michel Chassang . Avec un risque de voir surgir des difficultés pour concilier les besoins de santé et les exigences comptables.» Une analyse que n'est pas loin de partager le Dr Jean-Claude Régi (FMF). «Cela pourrait signifier qu'on va parler d'un côté (Bachelot) , et décider de l'autre (Woerth). » Le Dr Régi redoute que «la maîtrise médicalisée n'ayant pas donné les résultats escomptés, les nouveaux objectifs en matière de santé ne deviennent essentiellement économiques».
Même réticence de Pierre Faraggi (CPH) : «Dans le passé, nous avons eu des ministres de la Santé qui n'avaient pas la responsabilité des comptes, tout devenait plus long et compliqué: je crains que ce ne soit une mesure contre-productive.» Difficile, sans doute, d'être plus clair. Pour Roland Rymer (Snam-HP), «le ministre de la Santé sera déconnecté du financement, ce qui nous contraindra à avoir deux interlocuteurs». Une architecture que Roland Rymer met sur le compte de la volonté sarkozyenne de «résorber la dette» mais qui risque de «compliquer les choses». Peu surprise par l'affectation des comptes sociaux à Bercy, Rachel Bocher (Inph) juge elle aussi que « cette organisation peut faire craindre des difficultés». Mais, ajoute-t-elle, «si les choses sont claires, au moins saura-t-on à qui s'adresser en fonction du problème».
Le rôle de Bertrand.
Ultime incertitude : le rôle exact de Xavier Bertrand, chargé du Travail, des Relations sociales mais aussi… de la « Solidarité ». «La Sécurité sociale, c'est de la solidarité!», veut croire Dino Cabrera, qui ne fait pas mystère d'avoir beaucoup apprécié le mandat de Xavier Bertrand avenue de Ségur. Et ne bouderait donc pas des retrouvailles. Le Dr Régi s'interroge lui aussi : «Qui sera notre interlocuteur? Avec ces nouveaux découpages ministériels, ce pourrait être… Xavier Bertrand. C'est dit en forme de boutade, mais pas tant que ça.» Reste que Xavier Bertrand aura largement de quoi s'occuper avec ses dossiers « sociaux » urgents dont les régimes spéciaux de retraite, la représentativité syndicale, ou encore le droit du travail.
Le Dr Aubart (CMH) complète, à juste titre, le tableau : «A la dualité Bachelot-Woerth, il faut ajouter… Valérie Pécresse, nommée ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche.» Et qui aura évidemment son mot à dire sur les études médicales et l'organisation de la nouvelle filière universitaire de médecine générale. Ce responsable hospitalier redoute que, avec «ces trois ministres distincts, de nombreux sujets importants soient traités... directement à Matignon».
En revanche, à de rares exceptions, les responsables syndicaux ne trouvent pas illogique le regroupement de la Santé et des Sports dans le même maroquin. Pierre Faraggi (CPH) n'est pourtant pas de cet avis. «Les affaires de santé sont assez sérieuses pour que nous ayons un ministre spécifique.»
Dossiers: déjà l'impatience.Nul répit accordé aux nouveaux ministres : les représentants des syndicats veulent engager le dialogue très rapidement tant les dossiers en suspens sont nombreux.
Chez les médecins libéraux, les opposants à la convention actuelle sont déjà sur le pont. MG-France réclame au gouvernement une «rencontre immédiate» avec «les représentants des syndicats majoritaires chez les médecins généralistes». Offensif , le président du syndicat Martial Olivier-Koehret demande une «loi d'orientation qui définisse les missions des soins primaires» et se dit prêt à «négocier tout de suite les moyens pour que les généralistes puissent remplir leurs missions». Il souligne que la démographie en médecine générale «ne permet plus de garantir un égal accès aux soins». Autre opposant, Jean-Claude Régi (FMF) prêche dans la même veine : «MmeBachelot serait bien inspirée de s'adresser aux syndicats majoritaires, car nous avons des choses à demander.» Il souhaite que soit promue la médecine de première intention : «Les Français seront-ils encore soignés demain par une médecine de proximité de première ligne?» Jean-Claude Régi demande pêle-mêle qu'on «revoie à la hausse la valeur des actes médicaux, qu'on définisse la part des mutuelles dans les remboursements, qu'on crée un secteur optionnel, et qu'on fasse un plan Alzheimer à l'image de ce qui a été fait pour le cancer».
L'impatience n'est pas moindre dans le camp des soutiens à la convention. Le SML veut nouer «dans les meilleurs délais» des «relations constructives» avec Roselyne Bachelot et «reprendre un dialogue» avec Xavier Bertrand. Quant à Michel Chassang (Csmf), il rencontrera les nouveaux ministres «dans les prochains jours» et les invite à prendre en compte le «pacte de confiance» en dix mesures que le syndicat a déjà adressé au président de la République (« le Quotidien » du 10 mai). Avec une «urgence» dès cet été pour la Csmf : le relèvement du budget 2007 des soins de ville «dans le collectif budgétaire de juillet». Et une exigence : pas de mesures «intempestives» qui casseraient la dynamique en cours.
A l'hôpital, les premières orientations du gouvernement sont également très attendues car le discours de Nicolas Sarkozy a parfois inquiété le monde hospitalier. Pierre Faraggi, le président de la CPH, demande des gages : «Le candidat Sarkozy avait insisté sur la maîtrise des dépenses, sur la convergence des tarifs public-privé et avait manifesté son soutien à l'activité libérale. Nous allons avoir besoin de garanties sur les missions et les moyens du service public.» Il souhaite que des mesures soient prises très rapidement en matière de démographie médicale «dont les perspectives sont catastrophiques». Une priorité également fixée par la présidente de l'Inph: «La première tâche de Roselyne Bachelot devrait être de s'attaquer au problème de la démographie médicale, dont on parle depuis dix ans sans résultat.» Rachel Bocher juge également impératif de régler «au plus vite» le problème du compte épargne-temps à l'hôpital : «Si on ne fait rien, un grand nombre de médecins et de personnels soignants partiront à la retraite un ou deux ans plus tôt que prévu, ce qui aggravera encore les problèmes de démographie médicale.»
Le Dr Aubart (CMH) suggère de son côté que l'on «revisite la dualité public-privé», en précisant le rôle de chaque secteur . «La santé traverse une crise profonde, démographique et financière: sans nouvelle donne, sans clarification des missions respectives du public et du privé, nous irons vers de grosses difficultés.»
Le Pr Rymer (Snam-HP) se place d'emblée sur le terrain financier : «Régler le déficit des comptes sociaux est le plus urgent des problèmes à régler.»
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