Les manifestations ORL au cours de l'infection à VIH et du SIDA avéré

Publié le 19/03/2001
Article réservé aux abonnés

PRATIQUE

• Il faut y penser
Il n'y a pas de symptomatologie spécifique au cours de la primo-infection, ou lors d'un SIDA déclaré quant aux manifestations ORL. Il faut donc penser à faire une recherche de séroconversion devant tout sujet à risque, d'autant que peuvent coexister les manifestations générales (fièvre, diarrhées, amaigrissement), des manifestations neurologiques, un syndrome lympho-adénopathique.
• Les pathologies buccales
- Les candidoses oropharyngées
Elles sont particulièrement fréquentes et récidivantes au cours de l'infection par le VIH.
Ces candidoses provoquent dysphagie et dénutrition, et prennent un aspect de muguet avec plage maculaire érythémateuse et piquetée blanchâtre diffus.
Le traitement repose essentiellement sur les antifongiques locaux (Fungizone ou Mycostatine). Le recours aux antifongiques oraux (Nizoral ou Triflucan) est justifié dans les formes résistantes ou associées à des localisations œsophagiennes ou bronchiques. Dans les formes résistantes, un traitement parentéral par amphotéricine B est nécessaire.
- La leucoplasie chevelue
C'est une pathologie particulière à l'infection par le VIH. On observe une plicature blanchâtre (plaque leucoplasique hypertrophique) en relief du bord libre de la langue, ne disparaissant pas au grattage. Les autres localisations muqueuses sont rares. Ces lésions sont indolores, sauf en cas de surinfection par Candida albicans.
Le traitement n'est en général pas nécessaire en l'absence de surinfection candidosique. Les lésions volumineuses régressent sous aciclovir (Zovirax à forte dose : 2 g/jour).
- Les ulcères récidivants
Ces lésions sont très douloureuses, le plus souvent situées au niveau du voile, de la langue ou de la région amygdalienne, d'aspect fissuré, aphtoïde, ulcéreux ou ulcéro-bourgeonnant. Elles s'observent en particulier au stade de SIDA. Une biopsie est nécessaire pour éliminer une ulcération à cytomégalovirus ou un lymphome. Le traitement des ulcérations non spécifiques repose sur les corticoïdes locaux (Betneval). Dans les formes très dysphagiantes, résistant au traitement, le thalidomide est souvent efficace (5 mg/jour pendant cinq jours) mais possède des effets secondaires hématologiques et neurologiques. Dans les formes résistantes, une corticothérapie par voie générale, malgré un risque infectieux, peut être préconisée.
- Les hémorragies muqueuses diffuses
Elles sont le plus souvent associées à une thrombopénie, provoquant gingivorragies et plages de purpura ecchymotique.
- Les gingivostomatites
Elles sont liées aux germes de la plaque dentaire, particulièrement évolutive au cours du SIDA. Elles se manifestent par une gingivite qui peut devenir nécrosante et ulcérante et dont le traitement repose sur les soins dentaires, les bains de bouche et l'antibiothérapie antianaérobies.
- Autres pathologies buccales
L'herpès buccal est à l'origine d'éruptions vésiculaires multiples des muqueuses gingivolinguales et jugales rapidement nécrotiques, hémorragiques, hyperalgiques. Il peut s'associer un herpès anogénital, pulmonaire ou encéphalique. Le zona peut entraîner des atteintes isolées des paires crâniennes touchant le V, le VII, parfois le IX et le X.

Les localisations buccales d'un sarcome de Kaposi ou d'un lymphome

• Les pathologies rhino-sinusiennes
- Les sinusites
Elles peuvent se présenter sous toutes les formes : sinusite aiguë, sinusite chronique, surinfection d'une sinusite chronique. Dans tous les cas, les signes cliniques sont pauvres en dehors des épisodes de surinfection associant une rhinorrhée, une obstruction nasale et parfois des céphalées. Le bilan radiologique montre des images le plus souvent diffuses, en particulier chez les patients présentant une sinusite chronique. L'interprétation des images scanographiques est particulièrement difficile. La documentation bactériologique des sinusites est utile, compte tenu des multiples germes possibles et de leur fréquente résistance aux antibiotiques dans cette population. Le traitement repose sur une antibiothérapie à large spectre en première intention, adaptée aux résultats bactériologiques. La résistance au traitement médical peut faire discuter l'opportunité d'une intervention chirurgicale de drainage par voie endoscopique endonasale.
Des affections fongiques invasives (aspergillose, mucormycose, candidose) avec nécrose rhino-faciale extensive sont parfois notées, notamment chez les patients présentant une leucopénie et pouvant mettre en jeu le pronostic vital, justifiant un diagnostic et une prise en charge thérapeutique rapides. Le traitement associe un débridement chirurgical large et un traitement par antifongique (amphotéricine B) par voies générale et locale.
- Les rhinites allergiques
Elles proviennent de la dérégulation immunitaire. Le traitement repose, comme chez le sujet immunocompétent, sur les corticoïdes locaux et les antihistaminiques.
- Les localisations nasales d'un sarcome de Kaposi ou d'un lymphome sont rares.
- L'hypertrophie des végétations adénoïdes responsable d'une obstruction nasale et d'une otite séreuse. Des biopsies du cavum sont nécessaires au moindre doute pour éliminer un lymphome. Le traitement repose sur l'adénoïdectomie et la pose d'aérateurs transtympaniques, et sont parfois indiquées chez les patients invalidés (hypoacousie).
• Pathologie des glandes salivaires
Il s'agit essentiellement de la pathologie parotidienne, beaucoup plus rarement sous-maxillaire. Cliniquement, on constate une augmentation de volume de la parotide sous forme de multiples kystes intraparotidiens. L'atteinte est le plus souvent bilatérale, indolore, esthétiquement gênante. La pathologie est dominée par des lésions lympho-épithéliales bénignes dénommées HLK (hyperplasie lymphoïde kystique). Le problème est, là aussi, d'éliminer une tumeur maligne. Un scanner et une cytoponction sont souvent nécessaires. L'hyperplasie lymphoïde kystique réagit le plus souvent sous traitement antirétroviral. Sa persistance peut faire discuter une parotidectomie superficielle à visée principalement esthétique.
• Pathologie otologique
Les otites externes sont rares dans la population infectée, mais les otites moyennes aiguës sont fréquentes chez l'enfant séropositif.
• Pathologie neurologique
- Les paralysies faciales sont plus fréquentes dans la population séropositive que dans la population générale. La corticothérapie sur ce terrain doit être discutée et peut être contre-indiquée en présence d'infections opportunistes associées. Cette paralysie faciale, a frigore, régresse le plus souvent spontanément en trois semaines à trois mois comme dans la population générale.
- Les surdités de perception sont fréquentes, en particulier au stade SIDA. Leur mode d'installation est le plus souvent progressif, mais des cas de surdité brusque ont été rapportés. Un scanner cérébral peut être nécessaire au diagnostic étiologique (méningo-encéphalite, lymphome ?).
- Les vertiges sont plus rarement observés.
• Les adénopathies cervicales
Elles sont fréquemment observées au cours de l'évolution de la maladie. Il faut différencier les adénopathies entrant dans le cas du syndrome de lympho-adénopathie persistante généralisée (multiples, symétriques, indolores, mobiles) des adénopathies reflétant une infection opportuniste ou une tumeur maligne (volumineuses, douloureuses, fixées).
La tuberculose est la manifestation inaugurale du SIDA chez 12 % des patients, avec une fréquence équivalente de forme pulmonaire et extrapulmonaire (notamment ganglionnaire). La radiographie pulmonaire est souvent révélatrice. Les cultures des produits de ponction ganglionnaire sont positives dans l'immense majorité des cas, et le traitement identique à celui entrepris chez les patients séronégatifs avec une efficacité similaire.
• Affections malignes de localisation ORL et SIDA
- Le syndrome de Kaposi est la tumeur maligne le plus souvent rencontrée chez les patients infectés par le VIH. Il s'agit d'une tumeur angiomateuse violette sous-muqueuse, siégeant préférentiellement sur le palais et le voile, associée le plus souvent à des localisations cutanées (ne disparaissant pas à la vitropression).
Le traitement n'est indiqué que dans les formes muqueuses symptomatiques ou dans les formes cutanées posant un problème esthétique. Il repose sur la radiothérapie à faible dose, la chimiothérapie ou l'interféron alpha. L'exérèse chirurgicale instrumentale ou laser n'est envisagée que lorsque la taille ou la localisation de la tumeur l'impose.
- Les lymphomes malins non hodgkiniens (LMNH) sont observés chez 5 à 10 % des patients et sont aussi l'un des premiers signes cliniques du SIDA sur près de 5 % des patients.
Actuellement, il n'y a pas de preuve d'une plus grande fréquence des autres cancers ORL, en particulier les carcinomes épidermoïdes, en cas d'infection par le VIH.
• Conclusion
La découverte de manifestations ORL évocatrices d'infection par le virus VIH impose une sérologie car elles peuvent être révélatrices de la maladie. La prise en charge doit être multidisciplinaire entre le médecin généraliste, l'infectiologue et l'ORL.

Dr Philippe MILLION ORL, CHRU Strasbourg

Source : lequotidiendumedecin.fr: 6880