Le succès du bio doit beaucoup à l'inquiétude soulevée par les problèmes d'obésité croissante ou les risques supposés de crises sanitaires. Néanmoins, ramener le choix du bio à une angoisse plus ou moins irrationnelle est très réducteur.
Les travaux de Claire Lamine mettent en avant une réflexion du mangeur bio dans sa démarche. Les comportements alimentaires diffèrent entre le domicile, où l'on a fait les choix des achats et des menus, et la restauration hors foyer, où, au contraire, le mangeur ne maîtrise rien.
D'autres paramètres entrent en ligne de compte ; notamment la notion de seuil dont les mangeurs bio sont conscients. S'agissant de la lécithine de soja, par exemple, on n'achètera pas forcément sous le label AB les biscuits industriels qui en contiennent une faible proportion. L'exigence apparaîtra, en revanche, pour des aliments dont le soja est une composante importante.
La notion de prévention est également présente. Comme l'indique Claire Lamine, puisque concernant l'ESB, le risque n'a été détecté qu'après coup, faire attention aux OGM avant que des problèmes ne surgissent est une motivation forte pour certains consommateurs qui ont choisi le bio. Ainsi, des pratiques correspondant clairement à des ruptures technologiques, telles que les OGM ou l'usage de farines animales dans l'alimentation des vaches, suscitent une inquiétude que les risques « familiers » et bien circonscrits, comme la listeria, ne suscitent pas.
Un souci éthique
Reste enfin une motivation où l'inquiétude ne joue aucun rôle : la recherche de meilleures qualités gustatives. Sur ce point, le bio n'est pas en soi une garantie. Mais ses adeptes avancent des arguments, ici encore, raisonnés. Pour certains, les intrants chimiques enlèvent leur goût naturel aux produits ; pour d'autres, plus nombreux, les producteurs bio ont tendance à choisir des variétés de meilleure qualité gustative, et à les cultiver différement – par exemple, à ne récolter qu'à un degré de murissement adéquat. Cette attention au mode de production est une autre motivation des mangeurs bio, qui ont aussi des préoccupations environnementales et sociétales. S'y ajoute une préoccupation que l'on peut qualifier d'éthique, et qui renvoie au type d'agriculture et de filières favorisé par les actes d'achat.
La participation à une AMAP (Association pour le maintien de l'agriculture paysanne) est l'exemple type de l'implication active. «De tels systèmes, en instituant un engagement réciproque et durable, permettent de réduire, tant du côté des consommateurs que du côté des producteurs, les incertitudes qui les affectent: incertitudes quant à la fraîcheur, à l'origine, au mode de production des aliments côté consommateurs, incertitudes quant à l'écoulement de la production du côté des producteurs», indique encore Claire Lamine.
La mise en place de tels réseaux implique des négociations et des apprentissages. Et de ce fait même, ils seraient porteurs d'une forme de « démocratie alimentaire » consistant à étendre au domaine de la nourriture l'exercice de la citoyenneté.
«De ce point de vue, les AMAP sont, parmi d'autres sytèmes alternatifs, une proposition intéressante pour considérer les changements à une échelle plus large que les seules pratiques agricoles, et viser des changements simultanés dans les pratiques de production, de distribution et de consommation», conclut Claire Lamine, en relevant toutefois que «la question de l'accessibilité sociale de ces systèmes reste entièrement posée».
* Claire Lamine. « Agriculture et alimentation biologiques : sous le regard du sociologue ». Colloque organisé par l'IFN (Institut français de la nutrition).
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