Les maladies à prion sont dues à l'accumulation dans le cerveau d'une forme anormale de la protéine prion. Les versions anormales de la protéine prion induisent la déformation des protéines prions normales qui s'agrègent à leur tour. Toutes les maladies à prions, telles le kuru et la maladie de Creutzfeldt-Jakob chez l'homme, ou encore l'encéphalopathie bovine spongiforme et la scrapie chez les animaux, sont caractérisées par une neurodégénérescence transmissible toujours fatale.
Dans une précédente étude, Collinge et coll. ont montré que des individus hétérozygotes étaient mieux protégés que des homozygotes pour certaines mutations du gène de la protéine prion. C'est le cas du polymorphisme M129V (mutation d'un acide aminé au niveau du codon 129 de la protéine prion) et également, chez les Japonais et d'autres populations du continent indo-asiatique, du polymorphisme E219K. Une des explications est que cet effet protecteur serait dû à l'inhibition des interactions entre protéines homologues.
Le phénomène, qui donne aux hétérozygotes de meilleures chances de survie que les homozygotes, est appelé « sélection compensatoire » ; il serait une des explications de la protection contre les maladies infectieuses.
Rites mortuaires
Dans la nouvelle étude publiée dans « Science », Collinge et coll. ont cherché à démontrer ce phénomène chez des survivants de l'épidémie de Kuru qui, entre 1920 et 1950, a dévasté la population Fore dans les hauts-plateaux de la Papouasie - Nouvelle-Guinée. L'origine de cette épidémie est attribuée au rite apparu à la fin du XIXe siècle, selon lequel les femmes et les enfants devaient manger le parent défunt au cours de festins mortuaires. Au milieu des années cinquante, les autorités australiennes ont interdit le cannibalisme dans la région, ce qui a permis de faire disparaître l'épidémie.
Les chercheurs ont donc étudié 30 femmes fore âgées qui ont survécu à l'épidémie de kuru malgré des expositions répétées lors des festins mortuaires. La majorité d'entre elles sont hétérozygotes pour le polymorphisme M129V (23 sur 30), ce qui n'est pas le cas de la population plus jeune qui n'a pas participé aux festins mortuaires. Selon les chercheurs, « le kuru a imposé une forte sélection compensatoire sur les Fore, en éliminant principalement les homozygotes au codon 129 de la protéine prion ».
Forts de cette découverte, Collinge et coll. ont voulu étudier la répartition du polymorphisme dans le monde. Ils ont séquencé et analysé le gène de la protéine prion dans plus de 2 000 échantillons provenant d'individus sélectionnés, de façon à représenter la diversité génétique de la population mondiale. Ils ont ainsi retrouvé dans toutes les populations la présence du polymorphisme protecteur M129V ou E219K.
Grâce à l'analyse des variations de séquences d'un fragment d'ADN contenant le gène de la protéine prion dans diverses populations (européenne, africaine, japonaise et Fore), ils ont pu évaluer la date d'apparition de ces polymorphismes M129V et E219K. Ces variations seraient anciennes et remonteraient à plus de 500 000 ans, selon leurs estimations. Ce résultat suggère « qu'une forte sélection compensatoire est survenue au cours de l'évolution des hommes modernes ». Il démontre « que la sélection des polymorphismes est intervenue à grande échelle ou très tôt dans l'évolution, avant que l'homme ne se répartisse sur l'ensemble de la planète ».
Comme ce fut le cas du kuru en Papouasie - Nouvelle-Guinée, où la fréquence des polymorphismes est la plus élevée, la maladie à prion acquise est un facteur de sélection compensatoire.
Comment la maladie s'est-elle transmise à l'homme dans la préhistoire ? Il n'est pas exclu qu'une maladie à prion endémique chez l'animal ait pu franchir la barrière des espèces et se serait transmise aux hommes carnivores. Cependant, l'explication la plus plausible, selon les chercheurs, est le cannibalisme préhistorique : « Il existe maintenant de solides preuves en faveur de pratiques cannibales répandues dans de nombreuses populations préhistoriques, telles les incisions et marques de brûlures sur les ossements néandertaliens et l'analyse biochimique des matières fécales humaines fossilisées. » Les épidémies répétées de maladies à prions liées au cannibalisme dans les populations humaines anciennes pourraient expliquer, selon eux, la sélection compensatoire observée aujourd'hui.
« Science », 10 avril 2003, sciencexpress.org.
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