Il eut été paradoxal qu’Élisabeth Hubert, en charge d’une mission sur la médecine de proximité, ne se déplace pas sur le terrain, pour faire l’état des lieux de la médecine de premier recours, à « proximité » des professionnels de santé, médecins généralistes en tête. Après la région Champagne-Ardenne, et celle du Nord-Pas-de-Calais, l’ancienne ministre de la Santé, actuelle présidente de la Fnehad1, a accordé une journée début juin à la région Paca. « Contrairement à la région Nord-Pas-de-Calais, qui comporte de nombreuses zones blanches, la région Paca est beaucoup plus contrastée. Elle est à la fois sous-densifiée et surdensifiée », explique Élisabeth Hubert. À la fois surmédicalisée sur la Côte d’Azur et sous-médicalisée en région montagneuse, la région Paca doit aussi faire face à des problèmes de permanence des soins et son corollaire, l’engorgement des urgences. Un problème de taille, auquel les professionnels de santé tentent de trouver des solutions pratiques.
10 000 passages annuels
Comme au centre hospitalier d’Avignon, dans l’enceinte duquel une maison médicale de garde a ouvert ses portes en 2004. Une cinquantaine de médecins libéraux y exercent, aidés de trois aides-soignantes détachées par le centre hospitalier d’Avignon. « Quand les urgences adultes font 80 000 entrées par an, la maison médicale en fait 10 000 maintenant », informe Bernard Muscat, président de cette maison médicale, qui travaille en symbiose avec les urgences hospitalières. « Nous couvrons l’ensemble du territoire Avignon/Sorgues. Mais des patients viennent nous voir de Carpentras, même s’il y a dans cette ville un centre d’urgence », poursuit le Dr Muscat. Un beau succès pour un projet qui a été conduit à la force du poignet. « Nous nous sommes battus pour obtenir des financements. La mairie de Sorgues nous a accordé un financement de 20 000 euros pour trois ans au titre de la permanence des soins (PDS) et le bâtiment a été mis à notre disposition par la mairie. » Le budget de fonctionnement de la maison médicale est abondé par le versement des forfaits d’astreinte de tous les médecins qui y exercent et, dans une moindre mesure, par une cotisation d’adhésion à l’association loi 1901 qui fonde juridiquement la maison médicale, d’un montant de 57 euros. « Quand l’activité est soutenue, le forfait d’astreinte n’a pas de raison d’être », explique le Dr Muscat. Le bilan plutôt satisfaisant augure de jours meilleurs : le Dr Muscat espère ainsi employer dans les années qui viennent 80 médecins, établir un réseau avec les infirmiers libéraux, et relancer la formation des médecins sous forme de DPC2. Au-delà du confort de travail, les MG présents à la maison médicale trouvent plaisir à y pratiquer la médecine, car ils sont confrontés à des populations diverses.
Pédiatrie
« Au cabinet, souvent, nous traitons principalement des personnes âgées. Ici, nous avons la chance de faire de la pédiatrie. » Autre fait étonnant : la bonne collaboration entre les MG de la maison médicale, et les urgentistes de l’hôpital. Mais leurs rôles sont-ils interchangeables. Élisabeth Hubert rêve d’une maison médicale construite au sein de l’hôpital, à l’accueil, et qui jouerait le rôle de hub. Un rêve éveillé, pense le Dr Stéphane Bourgeois, urgentiste. « Ce sont aux urgentistes de faire le tri des patients qui arrivent à l’hôpital, rappelle-t-il. Qui plus est, la présence de MG à l’hôpital peut entraîner une inflation d’examens complémentaires. Je l’ai vécu lorsque je travaillais à l’hôpital de Villeneuve-Saint-Georges. Enfin, très souvent, les personnes âgées qui viennent pour des problèmes bénins doivent être traitées aux urgences, car elles sont porteuses de polypathologies. » Il n’empêche : selon Élisabeth Hubert, les maisons médicales de garde ont vocation à désengorger les urgences hospitalières, dont la fréquentation monte en pic, avec l’explosion de la précarité. « Nous constatons en effet, depuis deux ou trois ans, une augmentation des populations précaires. Et, très souvent, elles attendent la fermeture de la maison médicale de garde, pour accéder aux urgences », remarque le Dr Muscat. Autre problème : le directeur médical peine à recruter des médecins pour la tranche 18-20 heures. Élisabeth Hubert propose alors de forfaitiser cette tranche horaire pour pallier à cette carence médicale. Une proposition qui sera retenue dans son rapport ? De même, le financement de ces maisons médicales de garde devrait, selon l’ancienne ministre de la Santé, émarger au titre des missions de service public, sur l’enveloppe des missions d’intérêt général (Mig). Des MG rémunérés sur un budget traditionnellement dévolu aux hôpitaux, cela ne va-t-il pas créer la polémique ? Force est de reconnaître, dans tous les cas de figure, la place prépondérante que prennent les maisons médicales, en appoint aux centres hospitaliers. Lors du débat organisé à Marseille dans la soirée avec des professionnels de santé, aussi bien médecins, étudiants, infirmiers ou encore kinésithérapeutes, Élisabeth Hubert a une nouvelle fois pu constater la pertinence de la présence de maisons de garde à proximité d’hôpitaux : « Nous avons monté une maison de garde dans le SAU3 de l’hôpital militaire Laveran en 1983. Résultat : non seulement les médecins généralistes qui y pratiquent se sentent valorisés, mais nous avons aussi réussi à absorber 13 000 passages par an. »
Rémunérations en vacations
Autre expérience : la création d’une SEL4, qui permet de nouveaux types de rémunération, par vacation. Typiquement, les médecins perçoivent des forfaits payables en journée ou demi-journée. Un autre médecin fait part d’une expérience innovante sur la prévention du vieillissement pathologique, grâce, entre autres, à une étude de risques en iatrogénie : un plan de prévention a ainsi été mis en place. Mais, pour intéressantes qu’elles soient, ces expériences ne font l’objet d’aucun soutien institutionnel. Pis, les quelques aides apportées à la médecine rurale ont été supprimées les unes après les autres. « Les contrats de bonne pratique en milieu rural ont été supprimés pour les médecins isolés, les 20 % de majoration des actes ont également été supprimés », se plaint un médecin d’une quarantaine d’années. Aurélie, interne en médecine, se plaint quant à elle de la formation initiale, hospitalocentrée. « Sur neuf ans d’étude, nous ne passons que six mois de stage chez le généraliste ! » Jean-Claude Regy, ancien responsable syndical, rebondit : « Les changements doivent commencer par l’université. On attendait 50 professeurs, et il n’y en a que dix qui ont été nommés. » La question de la coopération avec les professionnels de santé a aussi été posée : les MG doivent-ils abandonner certains actes pour se concentrer sur leur cœur de métier ? Comment utiliser les forfaits ? Pourra-t-on s’en servir pour permettre l’informatisation d’un cabinet ? Élisabeth Hubert devra rendre sa copie à la rentrée. D’ores et déjà, il semble acquis que les maisons de santé seront sollicitées pour répondre au problème prégnant de la permanence des soins et de l’engorgement des urgences hospitalières.
2. Développement professionnel continu.
3. Service d’accueil des urgences.
4. Société d’exercice libéral.
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