« Depuis des mois et des mois, nous avons attiré l'attention des pouvoirs publics sur la situation des maisons de retraite. Ça ne pouvait pas durer. Le très grand âge des résidents, porteurs de polypathologies, bronchopulmonaires et cardiaques en particulier, associées à un niveau de dépendance élevé, a été par trop négligé, faute de crédits suffisants pour l'embauche de personnel paramédical. La canicule a fait exploser le problème, qui, un jour ou l'autre, aurait éclaté », commente le Dr Jean-Claude Marian, vice-président du Syndicat national des établissements et résidences privés pour personnes âgées - SYNERPA (1). Pour sa part, le secrétaire d'Etat aux Personnes âgées, Hubert Falco, déclarait en mars dernier (« le Quotidien » du 6) que sur 10 000 structures « 5 % devraient être fermées », tandis que « 20 % des lits étaient totalement inadaptés ».
« Il y a dix ans, les pensionnaires étaient peu dépendants et peu malades. Aujourd'hui, c'est tout le contraire, fait remarquer le Dr Jean-Claude Marian. A l'échelon national, la moyenne d'âge des personnes dépendantes en institution est de 86 ans. On estime que de 20 à 25 % des 1,2 million de Français âgés de 85 ans et plus relèvent de maisons de retraite médicalisées. Or ces femmes et ces hommes en phase de fin de vie, toujours à la limite de la décompensation, ont été particulièrement exposés aux conséquences néfastes de la poussée thermique du 3 au 16 août. A domicile, ce sont les personnes décompensées qui sont allées mourir à l'hôpital. »
Le nombre des victimes est variable d'une structure à l'autre, et dans tous les cas « les gens du sud, plus habitués à la chaleur, ont été les moins touchés ». Françoise Toursière, directrice de la Fédération nationale des associations de directeurs d'établissements pour personnes âgées (2), relève que, dans le nord du pays, les fenêtres des logements sociaux sont dépourvues de volets. A domicile, les sujets très âgés non dépendants, isolés, ne peuvent prétendre à l'Aide personnalisée d'autonomie (APA), « ce qui les prive d'une aide paramédicale ». « En effet, là où une infirmière est intervenue, les perfusions sous-cutanées ont sauvé des vies », souligne-t-elle. Malheureusement, on compte 0,35 agent pour un résident en institution, contre 1/1 en Suisse et en Allemagne, ou, en France, dans les maisons d'accueil spécialisées (polyhandicapés), qui ont échappé au drame de l'été. « Depuis quinze ans, les sous-effectifs sont récurrents », affirme Françoise Toursière.
Au total, le Dr Jean-Claude Marian parle de « 30 à 50 % de décès de plus qu'en temps normal ». A ORPEA, société privée commerciale, cotée en bourse, gestionnaire de 60 établissements (6 500 lits), dont il est le président, le praticien dénombre « ici deux décès de plus, et là, à Paris, dans une structure de 115 lits, 10 de plus en raison de la très grande fragilité des pensionnaires ».
A-t-on cherché à alerter les autorités, à un moment ou à un autre ? « Vous savez, tirer la sonnette d'un conseil général ou d'une DDASS ne change rien ; dans le médico-social, nous avons l'habitude de nous entendre dire "Débrouillez-vous, comme vous savez le faire" . D'ailleurs, les premiers retours vers Hubert Falco, qui datent du 10 août, font état du manque de places dans les funérariums », précise Françoise Toursière.
Crédits gelés
Selon les professionnels, il faut appliquer, sans plus attendre, la loi de 1999 réformant les maisons de retraite. D'ici à fin 2004, les 10 000 établissements concernés (3) devraient avoir passé une convention avec l'assurance-maladie. Ce qui leur permettra d'avoir leur propre personnel paramédical grâce à une enveloppe globale annuelle de 183 millions d'euros sur cinq ans. En janvier dernier, l'Etat a gelé ces crédits, consentant toutefois à libérer 80 millions d'euros après deux manifestations nationales, les 18 mars et 18 juin. « C'est une évidence, s'il y avait eu plus de personnel soignant paramédical - les auxiliaires de vie peuvent donner à boire ou de la glace, mais ils ne sont pas aptes à faire des perfusions sous-cutanées -, les décès auraient été moins nombreux », dit le Dr Mariam. « Le quatrième âge est un problème national à traiter en tant que tel, ajoute-t-il. N'oublions pas que dans dix ans, la population des 85 ans et plus aura doublé. En Allemagne, on a créé, à la fin des années 1990, un fonds consacré à la dépendance, alimenté par les entreprises qui versent une journée de travail par an et les salariés qui renoncent à une journée de congé. » Pour Françoise Toursière, « il faudrait instituer un cinquième risque de la Sécurité sociale relatif à la dépendance, à l'instar de la maladie, de la vieillesse, de la famille et du décès, qui nécessiterait une majoration soit de la CSG, soit des cotisations de l'URSSAF. »
Un plan vermeil
« Le chef de l'Etat semble avoir pris conscience de la gravité du problème, et nous attendons de voir ce qui va se passer », conclut le Dr Jean-Claude Mariam. Un plan Vermeil, inspiré du plan Blanc (dispositif de veille et d'alerte en cas de crise), des hôpitaux est promis, ainsi qu'une conférence sur le vieillissement et une campagne de sensibilisation pour « changer le regard porté sur les personnes âgées par la société ». En revanche, il n'est pas question de retoucher la loi du 1er avril 2003 réformant l'allocation personnalisée d'autonomie, qui prévoit une participation financière plus importante des personnes dépendantes à domicile (de 5 à 12 %) et une modification du plafond de ressources en dessous duquel les prestataires sont exonérées d'une contribution (de 949 à 623 euros par mois). On parle, enfin, de porter les crédits d'Etat annuels pour l'embauche de personnel dans les maisons de retraite de 183 millions à 250 millions d'euros. « Attendons de voir les réalités », insiste le Dr Jean-Claude Mariam.
(1) Le SYNERPA regroupe 1 500 établissements privés commerciaux (80 000 lits);
(2) La FNADEPA compte 1 000 maisons de retraite accueillant 45 000 personnes.
(3) 50 % des structures relèvent du public, 30 % du secteur associatif et 20 % du
privé commercial.
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