Par le Pr Thierry Molina*
LES LYMPHOCYTES T sont divisés selon leur profil de production de cytokines en type 1 (interféron gamma, IL2, Tumor Necrosis Factor bêta) ou type 2 (IL4, 5, 6, 10, 13). Les lymphocytes T de type 1, dans les modèles précliniques, présenteraient des capacités effectrices plus importantes contre les cellules tumorales que ceux de type 2 et la présence dans de nombreux cancers d'une polarité en faveur de lymphocytes de type 2 pourrait expliquer certains déficits fonctionnels des lymphocytes T. Chris Parish (Canberra, Australie) a cependant démontré sur des modèles murins de mélanome métastatique que les lymphocytes T CD4+ de type 2 (TH2) sont capables d'induire une régression importante des métastases (alors que ceux de type 1 ne le sont pas). Cet effet est médié par les polynucléaires éosinophiles qui infiltrent de façon massive la tumeur alors qu'aucune régression n'est notée chez les animaux K.-O. (knock-out) pour l'éotaxine (protéine chimiotactique pour les éosinophiles). Martin Gasser (Wurzburg, Allemagne) a rapporté que dans les carcinomes colo-rectaux humains, certains épitopes de la protéine P53 induisent une réponse plutôt de type TH1 alors que d'autres sont responsable d'une réponse de type TH2. Dans les carcinomes de stade étendu (UICC, stade III), la réponse observée est plutôt de type TH2 (forte production d'interleukine 10). Ainsi, la protéine P53, souvent mutée dans les carcinomes pourrait-elle directement moduler la polarité de la réponse immune antitumorale. Asma Gati (Villejuif) a signalé que, parmi des lymphocytes intratumoraux de carcinome humain à cellules rénales, l'isolement de lymphocytes T CD8+, spécifiques de la tumeur et exprimant des récepteurs inhibiteurs de type immunoglobulines (KIR). La transduction de signal par ces récepteurs (KIR 2DL) inhibe la lyse tumorale, réduisant l'apoptose induite par fas et induisant une surexpression de c-FLIP (protéine anti-apoptotique). Ces récepteurs modulent ainsi l'activité des lymphocytes cytotoxiques intratumoraux. Guillaume Dorothée (Villejuif) a rapporté l'isolement de lymphocytes T spéciques de tumeurs ; intratumoraux et sanguins, chez un patient ayant un carcinome à grandes cellules broncho-pulmonaire. Alors que certains des clones sanguins et intratumoraux ont la même avidité, le même récepteur T, seuls les clones intratumoraux sont capables de lyser les cellules tumorales. Parmi les facteurs pouvant l'expliquer, l'expression de CD5, plus forte sur les clones sanguins et délivrant un signal inhibiteur pourrait être impliquée. Gabriel Bricard (Lausanne, Suisse) a signalé dans des carcinomes hépato-cellulaires humains la présence de lymphocytes cytotoxiques intratumoraux spécifiques de la tumeur, reconnaissant des antigènes testiculaires de la famille MAGE, et capable d'induire in vitro une lyse des cellules tumorales. Les lymphocytes T régulateurs (Tr) sont impliqués dans l'inhibition ou la « suppression » des réponses lymphocytaires T antitumorales. Parmi ces populations Tr, la plus connue exprime CD4 et CD25. Dans un modèle murin de cancer de prostate, Cheryl Hegason (Vancouver, Canada) a démontré qu'il existe, durant la progression tumorale, une augmentation du nombre de lymphocytes T CD4+ CD25+ CTLA4+, sécrétant de l'interleukine 10 et que la déplétion de cette population rétablit une réponse normale à l'anti-CD3 des autres lymphocytes T. Un prétraitement par anti-CD25 diminue la croissance des cellules tumorales et induit une augmentation de l'infiltrat lymphocytaire autour des cellules tumorales. Wang (Houston , Etats-Unis) a rapporté que des T régulateurs sont isolés parmi les clones spécifiques de tumeur, qu'ils peuvent reconnaître des antigènes de la famille Lage, et qu'ils inhibent la réponse proliférative des lymphocytes CD4+ naïfs après anti-CD3, indépendamment de l'interleukine 10 et du TGFbêta. Le niveau d'expression des antigènes tumoraux reconnu par ces lymphocytes T régulateurs est souvent faible dans les cellules tumorales.
Masaki Terabe (Bethesda, Etats-Unis) a démontré dans un modèle murin qu'une population lymphocytaire particulière, les NKT, inhibe l'immunosurveillance antitumorale induite par les cellules T cytotoxiques. En effet, les cellules tumorales activent les cellules NKT qui produisent de l'interleukine 13. Cette interleukine 13 va induire la production de TGFbêta par des cellules myéloïdes (granulocytes, monocytes), aboutissant à une inhibition des lymphocytes T cytotoxiques spécifiques de tumeur.
Le rôle l'interféron gamma dans l'immunité antitumorale a été démontré dans de nombreux modèles murins, de tumeurs, notamment dans des modèles de sarcomes induits par le méthylcholantrène. En effet, des animaux K.-O. pour le gène codant pour le récepteur de type 1 à l'interféron gamma (Ifngr1) développent trois fois plus de sarcomes que les animaux témoins. Il a été montré que c'est la cellule tumorale elle-même qui est une cible de l'interféron gamma dans le rejet de la tumeur. Cette action de l'interféron gamma semble passer par l'augmentation de l'expression du complexe majeur d'histocompatibilité de type 1 au niveau des cellules tumorales, augmentant l'immunogénicité de la tumeur. R. D. Schreiber (Saint-Louis, Etats-Unis) a fourni des données nouvelles concernant le rôle de l'interféron alpha-bêta dans l'élimination des cellules tumorales. L'interféron alpha augmente également l'expression du MHC de classe I par les cellules tumorales et l'expression de P53 ; l'administration d'anticorps anti-interféron alpha augmente la croissance tumorale. En utilisant des modèles murins double K.-O. pour les interférons alpha et gamma et en induisant par infection rétrovirale soit l'expression d'interféron alpha ou gamma par des cellules sarcomateuses, il a mis en évidence que la cible de l'interféron gamma est bien la cellule tumorale car la tumeur est rejetée par l'hôte, mais ce n'est pas le cas pour l'interféron alpha. De plus, en reconstituant des cellules hématopoïétiques produisant de l'interféron alpha, il a démontré que ce sont les cellules de l'hôte qui dépendent de l'interféron alpha pour avoir leur action antitumorale. Ainsi, les interférons sont impliqués dans l'immunité antitumorale, mais alors que la cellule cible de l'interféron gamma est la cellule tumorale, la cellule cible de l'interféron alpha est la cellule hématopoïétique de l'hôte.
NKG2D est un récepteur qui active les cellules Natural Killer (NK) et délivre un signal de costimulation aux lymphocytes T CD8+. Il est exprimé par environ 30 % des lymphocytes T ab mais également par les lymphocytes gd. Les ligands de NKG2D sont induits par le stress cellulaire et font partie de la famille MIC (MICA, MICB). Cette voie jouerait un rôle important dans l'immunosurveillance antitumorale par la lyse des cellules tumorales exprimant mic par les cellules immunes exprimant NKG2D. Mark Smyth (Melbourne, Australie) rapporte que, dans les modèles murins de traitement des cancers par cytokines (IL2, IL12, IL18), la voie NKG2D/MIC potentialise in vivo la cytotoxicité médiée par la perforine. Chez l'homme, les cellules carcinomateuses, mais également les cellules de leucémies, de lymphomes T, de myélome, expriment MIC. V. Groh (Seattle, Etats-Unis) a montré l'existence de mécanismes d'échappement à cette voie par les cellules tumorales. En effet, on observe une diminution d'expression de NKG2D chez les patients ayant une tumeur MIC+. Le MIC soluble dérivé de cellules tumorales diminue l'expression de NKG2D et l'activation des lymphocytes T. D'autre part, les métalloprotéases induisent un relargage (« shedding ») de MIC exprimé par la cellule tumorale.
L'activation constitutive de la voie stat-3 est une voie oncogénique classiquement observée dans les cancers (transduction des oncogènes de la famille c-src, EGF). Cette activation de stat-3 induit une croissance cellulaire, inhibe l'apoptose, stimule l'angiogénèse et inhibe l'expression par la tumeur de molécules pro-inflammatoires comme rantes ou le TNF alpha, ainsi que la maturation fonctionnelle des cellules dendritiques. L'activation de stat-3 dans les cellules tumorales conduit à la production d'interleukine 10 qui induit la production de stat-3 par les cellules dendritiques empêchant ces dernières de maturer. Drew Pardoll (Baltimore, Etats-Unis) a rapporté l'intérêt du ciblage de cette voie stat-3. Dans des modèles murins, d'inactivation de stat-3 dans les cellules hématopoïétiques, les tumeurs sont rejetées, les cellules dendritiques sont matures et fonctionnelles et l'immunité innée est stimulée comme en témoigne la présence de nombreux neutrophiles et cellules NK. Ainsi, des inhibiteurs de la voie stat-3 représentent une approche thérapeutique nouvelle de l'immunomodulation des tumeurs.
Parmi les nouvelles approches thérapeutiques d'immunomodulation des cancers, deux, plus ou moins combinées, ont surtout été évoquées : l'inhibition de la voie Ctla-4 par J. P. Allison (Los Angeles, Etats-Unis) et l'approche vaccinale utilisant le Gm-CSF par G. Dranoff (Boston, Etats-Unis).
Ctla-4 est une molécule immunorégulatrice, exprimée par les lymphocytes T activés et par une sous-population de lymphocytes T régulateurs, capable de diminuer l'activation des cellules T. L'administration d'anticorps anti-Ctla-4 chez la souris induit la régression de carcinomes du côlon transplantable et, associée à une vaccination antitumorale, inhibe la croissance de modèles de mélanome. Des essais de phase I-II chez l'homme d'anticorps humanisé anti-Ctla-4 dans des mélanomes métastatiques a entraîné quelques régressions tumorales, mais également des hépatites auto-immunes. Une approche vaccinale associée permettrait de diminuer les doses et potentiellement de diminuer les stigmates d'auto-immunité.
Parmi d'autres essais vaccinaux dans les mélanomes, une vaccination à base de cellules de mélanomes métastatiques autologues irradiées et sécrétant du GM-CSF, après transfert de gènes par adénovirus, a permis de montrer que 30 % des patients survivent à long terme. Parmi les antigènes reconnus par les lymphocytes T, des protéines anti-apoptotiques de la famille des IAP (ML-IAP) ont été identifiées. Une réponse anticorps et la présence de cellules T CD4+ et CD8+ spécifiques de l'antigène ont été retrouvés. Néanmoins, au fur et à mesure des vaccinations, les cellules tumorales perdent l'expression des IAP, ce qui témoignerait probablement d'une pression de sélection des cellules tumorales en faveur des variants n'exprimant plus l'antigène. L'association de vaccination et d'anticorps anti-Ctla-4 dans les mélanomes a induit un rash cutané. Chez 5 des 7 patients, ce rash serait lié à une réaction inflammatoire vis-à-vis des mélanocytes sans pathologie auto-immune sévère. Pour 1 patient sur 7, une lyse tumorale massive intracérébrale a été observée alors qu'il n'y avait pas d'effet net de régression tumorale chez les autres patients.
* Hôtel-Dieu, Paris.
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