C'EST SOUS LE HAUT PATRONAGE de l'Inserm qu'a été organisé un colloque autour du thème « Innovation et principe de précaution », à la faculté de pharmacie de Paris. Ce colloque a été notamment l'occasion d'aborder les limites du principe de précaution en matière de recherche, de diffusion des aliments ou de traitements médicaux.
Le principe de précaution est un principe à double tranchant qui repose sur le calcul d'un rapport bénéfices/risques souvent difficile à évaluer. Son application ou sa non-application peuvent être lourdes de conséquences, à la fois sanitaires, économiques, sociales, politiques et environnementales. Deux exemples, cités par Alain-Jacques Valleron, de l'Inserm, en illustrent les implications paradoxales.
Aux Etats-Unis, dans l'Etat du Massachusetts, la Toxic Use Reduction (TUR, réduction des produits à effets toxiques) a incité les entreprises à trouver des alternatives à toute une série de substances présumées toxiques, dans un délai de dix ans. Résultat : 80 % d'émissions toxiques en moins. Un gain pour l'environnement, donc, mais également un gain économique lié aux innovations produites par la TUR. Le bannissement du DDT constitue, selon le chercheur, un parfait contre-exemple. Le DDT est, certes, un insecticide nuisible sur le plan écologique, mais c'est surtout un moyen très peu coûteux et efficace pour lutter contre le paludisme et les moustiques. « On estime à 100 millions le nombre de vies sauvées par le DDT depuis 1948. En comparaison, la préservation d'espèces telles que le grand aigle de mer de la baie de Chesapeake apparaît dérisoire... Je trouve plus important de sauver des vies humaines que cette espèce d'oiseau ! », s'offusque le Pr Valleron, qui insiste sur la nécessité d'énumérer les alternatives, les coûts et les conséquences de telles mesures, en établissant des colonnes pour et contre.
Le chercheur pointe du doigt les limites de l'épidémiologie dans la connaissance et la gestion des risques. A l'instar des estimations sur lesquelles ont été fondées les mesures de prévention face au nouveau variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. On évaluait à 136 000, dans la fourchette supérieure, le nombre de personnes pouvant être infectées. « Des mesures très coûteuses ont été prises alors que ce chiffre est aujourd'hui estimé à quelques centaines », déplore le chercheur, qui regrette par ailleurs que l'on maintienne l'interdiction sur les farines animales. « On n'investit pas assez dans la mise en place de systèmes de suivi après les décisions politiques », conclut-il.
Incertitude scientifique et réversibilité.
« L'une des notions cardinales du principe de précaution, c'est l'incertitude scientifique. Moins on en sait, plus on est obligé de prendre des mesures lourdes et coûteuses, argumente Martin Hirsh, directeur général de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa). L'une des notions clés attachées au principe de précaution est la réversibilité. » Ainsi, on a interdit les ris de veau par précaution, avant de les réintroduire une fois que les risques avaient été écartés. « En revanche, avec un rythme de diffusion inégalé dans l'innovation technologique, on peut faire manger des OGM à deux milliards de personnes en trois ans... sans pouvoir revenir en arrière. Si les risques sont considérés comme faibles, il y a peu d'arguments scientifiques et les bénéfices pour le consommateur sont purement théoriques. Mais surtout, accepter les OGM, c'est renoncer définitivement à une alimentation sans OGM : il y aura dès lors forcément un pourcentage d'OGM dans tout, fut-il minime », prévient Martin Hirsh. Face aux enjeux économiques qui sous-tendent des questions telles que celle des OGM, « les mesures doivent être prises en indépendance des pouvoirs économiques », plaide Martin Hirsh. La diffusion de l'innovation doit être « contrôlée par paliers », afin d'éviter d'en découvrir les effets délétères trop tard - comme ce fut le cas avec l'amiante.
Pour Catherine Vergely, directrice générale de l'association Isis (Association des parents et amis des enfants traités à l'Institut Gustave-Roussy), les limites du principe de précaution sont fonction d'une question : « Qui doit être protégé ? » Réponse : le malade avant tout. Selon elle, une application trop stricte du principe de précaution interdit notamment l'accès aux nouveaux traitements. Ce qui est intolérable pour les malades et leurs familles. Elle plaide pour davantage d'écoute des malades au sein des organes décisionnaires, et pour une individuation du principe de précaution. Ainsi que pour davantage d'audace et de transparence.
Transparence : tel est le mot que retiendra François Hirsch, de l'Inserm, en conclusion. « Et qui dit transparence, dit éducation », affirme-t-il.
* Pour reprendre les propos de Martin Hirsh, directeur général de l'Afssa.
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